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Valeurs Actuelles n° 3499 paru le 19 Décembre 2003
France
L’épouvantail gauchiste
Arlette Laguiller et Olivier Besancenot viennent de lancer leur “campagne unitaire” pour les régionales. Même s’ils ne devraient pas franchir la barre des 10 %, LO et LCR pèseront lourdement sur le scrutin.
C’est le “signe indien” de l’extrême-gauche. Jamais celle-ci n’est parvenue à approcher, ni égaler, et encore moins dépasser, lors des élections intermédiaires, ses résultats prometteurs de la présidentielle.
En 1995, seule candidate d’extrême-gauche en compétition pour l’Elysée, Arlette Laguiller recueillait 5,3 % des voix. Deux ans plus tard, aux législatives de 1997, l’extrême-gauche, tous partis cumulés (Lutte ouvrière, Ligue communiste révolutionnaire, Parti des travailleurs) atteindra péniblement les 2,5 % – en perdant, au passage, près des deux tiers de ses électeurs…
Idem en 2002. Le 21 avril, les trois candidats d’extrême-gauche (Arlette Laguiller, Olivier Besancenot et Daniel Gluckstein) raflaient ensemble 10,4 % des suffrages. Ce sera l’autre tremblement de terre de ce scrutin. Mais deux mois plus tard, aux législatives, les mêmes plafonneront à 3 %…
Un phénomène, jamais démenti, de flux et de reflux électoral, qui s’explique, selon Jérôme Fourquet, directeur des études d’opinion de l’Ifop, par certaines des caractéristiques propres aux électeurs d’extrême-gauche. « C’est d’abord un électorat protestataire, dit-il, donc plus attiré par les scrutins nationaux que par les scrutins locaux. Il est ensuite plus jeune et plus populaire, donc plus “abstentionniste” que la moyenne, notamment dans les scrutins de moindre enjeu, comme les régionales. C’est enfin un électorat aux motivations plus “personnalistes” que partisanes, poursuit-il. Il vote pour ses “icônes”, “Arlette” ou Besancenot, mais se montre réticent à se déplacer pour les “petits candidats” LO ou LCR… »
Autre boulet, et non des moindres, accroché aux chevilles de l’extrême-gauche : le souvenir du 21 avril. Selon Jérôme Fourquet, « la crainte de voir se rééditer le “scénario catastrophe” de la présidentielle (l’absence d’un candidat de gauche au second tour) pourrait favoriser un réflexe de “vote utile” au détriment des listes d’extrême-gauche. » François Hollande ne s’y est pas trompé, qui a donné consigne aux candidats socialistes de “marteler” cet argument durant toute leur campagne : « Voter pour l’extrême-gauche, assure-t-il, c’est voter pour la droite. »
D’où vient alors, malgré l’addition de ces lourds et incontestables handicaps, à la fois structurels et conjoncturels, que l’extrême-gauche fasse encore, et même plus que jamais, figure d’épouvantail au prochain scrutin ?
Son principal atout – son capital, serait-on tenté d’écrire – peut se résumer aux impressionnants contours de la carte que publie Valeurs Actuelles – celle de la performance conjuguée, à l’échelle des régions, des trois candidats trotskistes au premier tour de la dernière présidentielle (voir ci-dessus). En avril 2001, Laguiller, Besancenot et Gluckstein ont, en effet, dépassé les 10 % – nécessaires pour se maintenir au second tour et avoir des élus aux régionales – dans pas moins de… seize régions sur vingt-deux !
Encourageants, aussi, sont leurs résultats dans les six régions restantes : partout, l’extrême-gauche franchit la barre des 5 % (permettant de fusionner avec une liste qualifiée pour le second tour) et tutoie même les 10 % en Rhône-Alpes et en Languedoc-Roussillon (9,64 %).
Dans neuf régions, surtout, les trois candidats trotskistes à la présidentielle ont dépassé les 12 %. Tel est notamment le cas dans le “grand Nord-Ouest”, où l’extrême-gauche bénéficie d’un important vivier d’électeurs : Nord-Pas-de-Calais (12,56 %), Picardie (12,58 %), Haute-Normandie (13,09 %), Basse-Normandie (12,20 %) et Bretagne (12,42 %).
A l’occasion du même scrutin, Robert Hue, ne dépassait les 5 % que dans… trois régions sur vingt-deux. Et les 10 % nulle part…
« C’est la revanche historique de Trotski contre Staline », ironise le député UMP Hervé Novelli, chef de file des réformateurs, qui prédit un « enracinement » de l’extrême-gauche en mars prochain. Selon lui, l’alliance LO-LCR va profiter de la « nationalisation du scrutin » (pour ou contre le gouvernement), mais aussi du « phénomène de mode » qui l’entoure actuellement. « La popularité de José Bové et des thèses altermondialistes peut leur profiter », dit-il. Une analyse partagée par Jérôme Fourquet : « Plus l’enjeu sera national, ce qui semble se dessiner, plus l’extrême-gauche pourra espérer tirer son score vers le haut », prédit-il.
La proximité idéologique entre une frange de plus en plus large de l’électorat de gauche, notamment les dix-huit à vingt-quatre ans, et les idées d’extrême-gauche est, elle aussi, une chance pour les listes trotskistes. Selon une enquête du Centre d’études et de connaissances sur l’opinion publique (Cecop), publié fin novembre dans le Monde, 47 % des électeurs Verts, 53 % des électeurs socialistes et… 79 % des électeurs communistes souhaitent que les listes de gauche et d’extrême-gauche fusionnent entre les deux tours.
Le “style” Besancenot, en phase avec une partie de la jeunesse, n’est pas pour rien dans cette avancée : « Le “petit facteur” a “ripoliné” l’image de l’extrême-gauche », commente Hervé Novelli…
Autres atouts dans le jeu de l’extrême-gauche : l’absence d’idées et la guerre des chefs au PS, dont elle pourrait tirer parti par “réaction”, mais aussi et surtout la stratégie unitaire suivie par les Verts – au programme rouge vif – dans la moitié des régions. « Le choix des Verts de faire liste commune avec le PS, notamment en Ile-de-France, offre à l’extrême-gauche un espace plus important », estime Bernard Lehideux, président du groupe UDF au conseil régional d’Ile-de-France.
Dans cette région, la plus riche et la plus peuplée de France, les trois candidats trotskistes n’avaient réalisé ensemble que 8,44 % (soit leur troisième plus mauvais résultat après la Corse et Paca). Mais Arlette Laguiller et Olivier Besancenot pourront compter en mars 2004 sur leur forte notoriété mise en commun : l’un et l’autre seront, en effet, respectivement numéro un et deux de la liste LO-LCR en Ile-de-France.
Reste que l’avantageuse absence de listes Vertes dans onze régions risque d’être négativement contrebalancée par la présence, pour le moins inattendue il y a encore deux mois, de listes communistes indépendantes dans une petite dizaine de régions.
Circonstance aggravante, ces listes PC indépendantes concurrenceront l’extrême-gauche dans deux des principaux “bastions” où elle espère des élus : le Nord-Pas-de-Calais et la Picardie. Futures têtes de liste communistes dans ces deux régions, Alain Bocquet et Maxime Gremetz, particulièrement bien implantés, devraient empêcher les listes LO-LCR de franchir les 10 %.
Idem en Ile-de-France. Jean-François Copé, tête de liste UMP, a d’abord secrètement espéré pouvoir profiter d’une quadrangulaire (LO-LCR, PS-Verts, UMP et FN) au second tour, grâce à l’accord entre Jean-Paul Huchon et les écologistes. Mais il lui a fallu déchanter : « La décision de Marie-George Buffet de conduire une liste communiste, qui va piquer des voix à l’extrême-gauche, ne nous arrange pas ; c’est même le moins qu’on puisse dire », reconnaît l’un de ses lieutenants. Il est vrai qu’une quadrangulaire assurait quasiment la victoire de Copé (ou de Santini), alors qu’une triangulaire favorise la gauche…
« La présence de listes PC est effectivement un coup dur, passé quasi inaperçu, pour les listes trotskistes, mais aussi, indirectement, pour la droite, qui avait tout à gagner de la présence de l’extrême-gauche au second tour », note Jérôme Fourquet, qui rappelle que « 25 à 30 % de l’électorat communiste votent pour l’extrême-gauche au premier tour lorsqu’il n’y a pas de listes PC. »
Candidat Front national derrière Carl Lang dans le Nord-Pas-de-Calais, Eric Iorio, par ailleurs compagnon de Marine Le Pen, ne dit pas autre chose : « Sans les communistes, les listes LO-LCR pouvaient atteindre les 10 % dans deux ou trois régions, dont le Nord, et provoquer des quadrangulaires. Or, avec quatre listes en présence au second tour, 25 % peuvent suffire pour être premier… et obtenir la majorité absolue dans une région. »
Sauf improbable coup de tonnerre, l’extrême-gauche, qui dispose depuis 1998 de vingt-quatre conseillers régionaux (grâce à l’ancien mode de scrutin à la proportionnelle à un tour) ne devrait donc plus avoir d’élus en mars prochain. Paradoxe : son influence sur le scrutin n’aura jamais été aussi forte…
Arnaud Folch