(Le Figaro @ 19 janvier 2004 a écrit :
Les communistes choisissent de s'allier au socialiste sortant, Martin Malvy
Midi-Pyrénées : les altermondialistes victimes d'une semaine des dupes
Toulouse : de notre envoyé spécial Eric Zemmour
Ce fut la semaine des dupes. Pas un jour sans son vote de militants, sans sa rumeur, sans son bluff. Le Parti communiste se met de plus en plus à ressembler aux Verts. On vote sans arrêt, sur tout et n'importe quoi. Depuis un mois, les Verts l'avaient précédé dans ce happening permanent. Question d'habitude. La sacro-sainte base des Verts de Midi-Pyrénées avait décidé de s'agréger pour les élections régionales à une liste composée de militants d'Attac, responsables syndicaux, ou anciens des Motivé-es, qui avaient animé les municipales de 2001.
Dans l'ombre, l'ancien candidat socialiste aux municipales de 2001, François Simon, qui a depuis lors quitté la «vieille maison», était aux manettes. Depuis son échec face à Douste-Blazy, il tient à démontrer qu'il avait raison, que sa stratégie d'alliance avec la mouvance altermondialiste et les Motivé-es – qui a effrayé si fort les électeurs modérés de Toulouse – était la bonne. Et prendre sa revanche en 2007. Jouer les comte de Monte-Cristo du Capitole.
En début de semaine, il faisait des plans sur la comète, exigeait pour le second tour de scrutin des places «à la stricte proportionnelle» sur la liste du président de la région socialiste, Martin Malvy. Dans l'Ariège – un fief socialiste qui donnait jadis à François Mitterrand ses meilleurs scores de la France entière –, des communistes, des Verts et des altermondialistes se promettaient déjà de défendre des candidatures uniques pour les élections cantonales.
De son côté, la tête de liste de l'UMP, Jacques Godfrain, ne parvenait pas à cacher sa jubilation. Face à la dissidence de l'UDF, la montée du FN, la tradition radicale-socialiste de la région, l'émergence d'une force altermondialiste à la gauche de Malvy, en plus du Pacs trotskiste LO-LCR, était enfin un bout de ciel bleu dans une météo nuageuse. «L'idéal serait que Bové vienne les soutenir. On reconstituerait alors le combat de Millau, Godfrain contre Bové. Malvy n'existerait plus.»
Martin Malvy affichait, lui, la sérénité de façade des vieilles troupes. «Je suis un altermondialiste, moi aussi.» Mais le député socialiste Gérard Bapt riait jaune : «On commençait à s'étriper pour leur laisser des places, aux communistes. C'est pas la peine, alors !»
Car cette mouvance altermondialiste brillait de mille feux aux yeux des militants communistes. Ils voulaient en être. Mais les cadres du parti veillaient. Malvy leur avait offert neuf places éligibles. Inespéré. Les élus communistes Bernard Marquiet et Charles Marziani menaient la contre-offensive sans états d'âme. Secrétaire fédéral de sa fédération des Hautes-Pyrénées, Marie-Pierre Vieu, fidèle de Robert Hue, ne ménageait pas ses efforts : «La liste alternative, c'est la négation de la politique, c'est une psychiatrie collective, c'est une addition de soixante-huitards attardés et de venus du Larzac.»
Vendredi soir, la partie de poker menteur se dénouait enfin. Dans une petite salle municipale toulousaine, une centaine de personnes en uniforme altermondialiste (ou de prof, c'est le même) – chandail, pantalon de velours côtelé et pataugas – dissertaient doctement. On voyait que nous n'étions pas dans un parti politique traditionnel à ce que les femmes monopolisaient la parole. Ces délégués du «travail de commissions» devaient élire en fin de soirée la tête de liste régionale. D'avance, les jeux étaient faits. Jean-Pierre Bataille, le porte-parole de «Plus jamais ça», l'association véhémente des victimes de l'accident de l'usine chimique d'AZF, devait être désigné. Il le sera à l'unanimité.
Mais, le soir même, les militants communistes votaient une dernière fois. Pour une liste d'union avec le PS dès le premier tour ? Ce fut un oui, lâché à 56% des voix. Dans cinq départements sur huit, même dans la turbulente Haute-Garonne, l'alliance avec le PS l'emporta. On demanda pour le plaisir aux militants ce qu'ils auraient choisi si le non l'avait emporté, de l'altière solitude ou de l'alliance avec les altermondialistes ? Cette dernière gagna de peu. Pour rien. Pendant toute la soirée, Bataille, pendu à son téléphone portable, recevait et donnait les résultats des votes communistes. Les cadres et les élus du PCF pouvaient triompher : «On a joué la gagne pour nous et pour la gauche», disait Marie-Pierre Vieu. Bataille et ses amis étaient dépités. «S'il n'y avait pas eu la pression des cadres et des élus qui ne veulent pas perdre leurs mandats, les militants seraient déjà venus avec nous.»
Dès samedi matin, il se murmurait que les Verts, travaillés à Paris par François Hollande, changeraient d'avis. Bataille ne voulait pas le croire : «Les Verts ne s'en iront pas. Les militants ont voté pour la liste alternative. Lundi, on se réunit avec eux. Mardi, on compose les listes.»
La nouvelle tête de liste régionale se consolait comme elle pouvait en entendant la confidence d'une militante communiste dépitée : «On ne portait même plus les bagages du PS, car on était dans leurs valises, maintenant, on va disparaître.» Il hésitait à tout abandonner, puis renonçait au renoncement : «On a failli tout gagner. Mais une élection, ça s'adresse aux électeurs, au-delà des partis.»
Quand il rentrera de Bombay avec les altermondialistes, François Simon retrouvera son beau jouet cassé. Les absents ont toujours tort.