par sophie » 14 Fév 2004, 22:36
article du Monde
Laïques et musulmans "hors intégrismes" tentent de manifester ensemble contre la loi antivoile
LE MONDE | 14.02.04 | 12h10 • MIS A JOUR LE 14.02.04 | 19h48
Une trentaine d'associations, rassemblées non sans difficultés dans le collectif "Une école pour tous-tes", appellent à défiler samedi 14 février pour la tolérance sur le port de signes religieux.
L'équilibre est encore instable. Une petite trentaine d'organisations, réunies au sein du collectif "Une école pour tous-tes", appelait à défiler samedi 14 février, place de la République à Paris et dans de nombreuses villes contre la loi sur le port de signes religieux à l'école. C'est la première initiative nationale d'un nouveau pôle où se mêlent laïques et musulmans qui tentent, non sans difficultés, de faire émerger une opposition à la loi sur la laïcité, "hors intégrismes". Dans un texte commun, les organisations et personnalités signataires refusent "que des femmes soient tenues de porter le foulard sous la contrainte". Elles contestent aussi "que d'autres femmes soient tenues de le retirer sous la contrainte". "On ne s'émancipe pas par la répression mais par la conquête des droits", ajoutent-elles.
L'idée de mettre autour d'une table la Ligue des droits de l'homme (LDH), le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), l'Association des travailleurs maghrébins de France ou la Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives, des associations de lutte comme Droit au logement ou le Mouvement de l'immigration et des banlieues (MIB) ou encore des collectifs féministes, avec des organisations musulmanes dont le Collectif des musulmans de France (CMF), proche de Tariq Ramadan, tenait de la gageure. C'est le Centre d'études et d'initiatives de solidarité internationale (Cedetim) qui est à l'origine de la démarche. "Les gens n'ont pas l'habitude de travailler ensemble, explique Marie Joubert du Cedetim. Le but était d'être le plus mixte possible : hommes et femmes, Français et immigrés, musulmans et laïques, pratiquants et non pratiquants. C'est cette alchimie qu'on a recherchée."
L'objectif n'a été que très partiellement atteint puisque la LDH et le MRAP, présents lors des réunions préparatoires, ont finalement décidé de ne pas appeler aux manifestations par peur d'éventuels "dérapages". La concertation a duré plus d'un mois. Entre-temps, le Parti des musulmans de France (PMF) de Mohamed Latrèche a occupé le terrain en réunissant le 17 janvier près de 10 000 personnes à Paris, lors d'un défilé marqué par des discours antisémites et homophobes. Ce précédent a refroidi les ardeurs militantes.
RHÉTORIQUE FÉMINISTE
"On ne sait jamais qui va être là lors de ce genre de rassemblement", remarque Catherine Teule, secrétaire générale de la LDH. Le débat a d'ailleurs été vif au sein de cette association. Si le collectif de Nantes a souhaité qu'elle participe à la manifestation, d'autres partisans de la loi s'y sont opposés. Son président, Michel Tubiana, a donc préféré s'abstenir pour éviter une crise interne majeure. La prudence est la même du côté du MRAP, confronté lui aussi à une sensibilité minoritaire favorable à l'interdiction du voile.
La polémique n'a pas épargné la mouvance féministe. La Coordination des associations pour le droit à l'avortement et à la contraception, plutôt opposée à la loi, n'a pas souhaité s'afficher de peur, là aussi, d'éclater. Pour les figures historiques du féminisme, le voile ne "passe décidément pas" - à l'exception de Christine Delphy, la fondatrice de la revue Questions féministes, qui a pris vigoureusement parti contre l'exclusion des élèves voilées. Les plus jeunes, elles, ne voient pas forcément de contradiction entre défense des élèves voilées et égalité. L'association Les Sciences potiches se rebellent, collectif de l'Institut d'études politiques de Paris, refuse ainsi qu'on utilise la rhétorique féministe pour exclure des jeunes musulmanes.
Du côté des organisations politiques, les hésitations ont été aussi grandes. La direction des Verts s'est associée dès le début au Cedetim mais n'a pas voulu que son sigle apparaisse en tant que tel, afin de ménager, en interne, certaines militantes. "Nous serons à la manif parce que c'est plutôt une bonne nouvelle de voir des jeunes femmes voilées déterminées à défendre leurs droits et à être actrices de leur vie", assure Francine Bavay, membre du collège exécutif.
Le Parti communiste n'a pas signé, mais certains de ses élus - Patrick Braouezec ou Jean-Claude Lefort - s'y sont associés. Des personnalités du mouvement syndical comme José Bové ou Annick Coupé (Groupe des Dix) y appellent "à titre personnel". Seules, les Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR, organisation de jeunesse de la LCR) invitent leurs militants à manifester le 14 février. La LCR, en revanche, s'y est refusée. "Nous ne souhaitons pas participer à une manifestation qui peut apparaître ambiguë sur le port du voile", explique Christian Picquet, membre du bureau politique. Ce qui n'empêchera pas certains militants, signataires d'une résolution intitulée "Refuser les exclusions discriminatoires" de se joindre au rassemblement parisien du 14 février.
Chez les musulmans, la manifestation a provoqué une rupture qui risque d'être durable. L'Union des organisations islamiques de France (UOIF) a tout fait pour décourager ses militants de participer, tandis que ses branches jeunes, Jeunes musulmans de France (JMF) et Etudiants musulmans de France (EMF), se sont rapprochées de la mouvance de Tariq Ramadan. Pour Yamin Makri, du CMF, "l'affaire du foulard marque une cassure entre ceux qui raisonnent avec la mentalité de nos parents et les autres, pour qui être laïques et citoyens ce n'est pas dire oui à tout, c'est aussi s'opposer".
Caroline Monnot, Xavier Ternisien et Sylvia Zappi