(François Delpla @ mardi 27 avril 2004 à 17:33 a écrit :Apparemment personne n'est arrivé à une synthèse chiffrée pour l'ensemble du Reich et des branches, et les données sont assez disparates. Certaines branches n'ont pas retrouvé le niveau de salaire de 1929, comme les mineurs, d'autres l'ont largement dépassé, notamment dans la métallurgie. Les congés payés ont été généralisés en 1937, à raison d'une semaine. Quelques historiens supposent que les nazis ont cultivé les disparités, pour mieux diviser. L'emploi féminin, contrairement à ce qu'on croit souvent, n'a globalement pas baissé, il n'y a donc pas eu de surexploitation ni de paupérisation par ce biais-là. Au niveau des revenus donc, aucune baisse d'ensemble n'apparaît -même si Elser, à partir d'exemples locaux, a pu en diagnostiquer une de bonne foi.
Effectivement, le chômage a baissé et l'emploi féminin n'a pas baissé, et cela pour une bonne raison : la militarisation de l'industrie, puis la guerre elle-même. Difficile de ne pas faire travailler les femmes lorsque les hommes se font trucider sur le front.
En fait, sur la question du travail féminin, le décret du 28 août 1934 donne plein pouvoir aux offices de travail pour retirer leurs emplois aux femmes et aux jeunes hommes célibataires, et pour les remplacer par des ouvriers adultes et masculins. Selon Daniel Guérin, 130.000 jeunes travailleurs sont licenciés suite à cette mesure. Mais, les ouvriers nouvellement embauchés
le sont avec le même salaire de misère que celui qui était versé auparavant aux femmes et aux jeunes. Il y a donc par ce biais une politique de baisse généralisée des salaires. Et effectivement, quelques années plus tard, par suite des besoins en main d'oeuvre pour préparer le réarmement, 370.000 femmes sont réembauchées en 1937.
Pour ce qui est des "emplois" forcés pour les chômeurs, F. Delpa cite le chiffre de 400.000 personnes, chiffre qui correspond à celui des ouvriers employés aux travaux auxiliaires (en 1934) et qui reçoivent pour tout salaire que l'allocation chômage et quelques avantages en nature. Mais à ces 400.000 ouvriers, on peut ajouter 250.000 jeunes gens affectés au "Service de Travail" qui n'ont qu'une solde militaire (50 pf./jour), et toujours pour ce qui est de salaires au rabais on peut aussi citer les 500.000 ouvriers affectés à la construction des Autostrassen en mars 1936 qui ont un taux de salaire largement inférieur à celui des ouvriers terrassiers, la suppression de toute obligation de payer un salaire fixe aux jeunes filles qui sont embauchées comme "bonnes à tout faire" dans les familles bourgeoises, la mise à disposition à partir de mai 1936 de "main d'oeuvre bon marché" aux industriels de la Ruhr avec des chômeurs payés entre 1,50 et 2 marks par jour.
Pour les ouvriers agricoles, la "loi pour la réglementation du travail national" (1 mai 1934) provoque l'annulation de nombreux contrats collectifs, si bien qu'un peu partout en Allemagne on observe des baisses de salaire pouvant aller jusqu'à -25%. Aussi, les salaires des journaliers descendent en dessous du minimum vital, les salaires étant souvent inférieur de 50% à 70% des allocations-chômage des ouvriers de l'industrie. Et les jeunes gens licenciés par le décret du 28 août 1934 sont envoyés à la campagne où ils travaillent comme ouvriers agricoles pour une durée de travail indéterminé et avec un petit salaire qui est souvent impayé. La situation des ouvriers agricoles est telle qu'ils sont nombreux à vouloir fuir la campagne pour travailler en ville, mais la loi du 15 mai 1934 interdit toute embauche dans les usines urbaines de travailleurs qui, lors des trois années précédentes, ont travaillé dans l'agriculture. De même le décret du 28 février 1935 prévoit que tous les ouvriers agricoles doivent être expulsés des villes et renvoyés à la campagne sous peine de sanction pénale.
Et en plus du seul salaire net, il faut prendre en considération les caisses de mutuelles et les allocations sociales détruites en cause par les nazis.
Voilà donc quelques exemples dans divers secteurs d'activité ou catégories de travailleurs, où l'on peut remarquer une brutale dégradation des conditions de vie de la classe ouvrière sous le régime nazi.
D'une façon générale, le troisième Reich a mené une politique brutale de baisse du prix de la force de travail, d'abord à l'encontre de la classe ouvrière allemande, mais aussi par l'utilisation de la main d'oeuvre des camps de concentration, le STO ou les travailleurs-esclaves de Pologne ou d'Union Soviétique soumis au travail obligatoire dans les entreprises du Reich.
Quant à "l'organisation des loisirs" sous le Troisième Reich, elle consistait en une généralisation de la propagande nazie pour la population (les Hitlerjungen pour les jeunes étant l'organisation la plus connue). Et il faut souligner qu'avant 1933, il existait de nombreuses associations ouvrières de loisirs (La Fédération du Sport Rouge, associations de musiciens ou de chanteurs ouvriers, associations culturelles, scientifiques...) qui toutes ont été interdites par les nazis. Aussi, "l'organisation des loisirs" par les nazis a consisté à détruire les associations, basées sur la libre adhésion, qui permettaient aux travailleurs de se détendre et/ou de s'instruire, par des officines de propagande de l'Etat nazi.
Enfin, on ne peut oublier ce qu'a été le nazisme pour les millions d'ouvriers et de paysans qui se sont fait tuer ou amputer sur le front, pour les militants ouvriers arrêtés et enfermés dès 1933, ou pour ceux qui ont été déportés et assassinés simplement parce qu'ils étaient nés juifs ou tziganes.
Et pour finir, parler "d'une classe ouvrière assagie au moins autant par la satisfaction de certaines revendications que par la répression", outre que je ne vois pas de quelles revendications satisfaites il s'agit, c'est oublier ce qu'a été l'ampleur de la répression nazie. C'était une terreur généralisée, d'anciens militants ouvriers qui, après six mois ou un an de KZ, retournaient dans leurs quartiers étaient tellement marqués qu'ils effrayaient leurs proches, la terreur était palpable partout à tel point que Bettelheim parle de gens effrayés après avoir rêvé (seulement rêvé !) critiquer le régime.