Ca date un peu, mais pour se donner une idée de la manière dont LO se posait alors le problème syndical, un article de la LDC de juin 1972:
a écrit :
Les MILITANTS REVOLUTIONNAIRES et les SYNDICATS
Si, dans les dix dernières années, le mouvement révolutionnaire français a connu une croissance numérique importante (compte tenu de la grande faiblesse qui était la sienne), si, depuis Mai 1968, il est apparu aux yeux de tous comme une force politique avec laquelle il faut compter, il lui reste encore - et ce n'est pas une mince tâche - à conquérir l'implantation ouvrière sans laquelle il sera condamné à demeurer un phénomène marginal de la vie politique.
C'est dire que les divergences qui se manifestent entre les différentes tendances du mouvement révolutionnaire dans le domaine de l'activité des militants révolutionnaires dans les entreprises et, en particulier, dans les syndicats, revêtent une importance particulière, parce qu'il s'agit du terrain sur lequel se joue, plus que sur tout autre, l'avenir du mouvement révolutionnaire.
Or ces divergences sont nombreuses et profondes, et il serait à peine exagéré de dire que toutes les opinions possibles y sort représentées, depuis ceux qui en sont arrivés à un véritable fétichisme des organisations ouvrières traditionnelles, et qui ne semblant même plus pouvoir concevoir la moindre activité révolutionnaire en dehors du cadre syndical, jusqu'à ceux qui affirment qu'il est non seulement inutile, mais nuisible aux intérêts de la classe ouvrière, de militer dans les syndicats.
Le problème de l'attitude qui doit être celle des militants ouvriers révolutionnaires par rapport aux syndicats réformistes n'est pourtant pas un problème nouveau, puisqu'il était au centre des polémiques qui opposèrent, voilà un demi-siècle, Lénine et l'Internationale Communiste aux "gauchistes" de l'époque.
Et si le problème se repose aujourd'hui avec une certaine ampleur, c'est précisément parce que si Mai 68 a vu refleurir le "gauchisme", ce n'est pas seulement au sens que prend ce mot dans l'HUMANITE (où il devient pratiquement synonyme de mouvement révolutionnaire), mais que c'est aussi au sens que lui donnait Lénine, pour désigner la démarche de pensée qui consiste à élaborer sa politique non pas en fonction d'une analyse sérieuse du niveau de conscience politique des masses, mais en fonction de son propre niveau de conscience et de sa propre impatience. Autrement dit, à prendre ses désirs pour des réalités ce qui, en dehors de périodes comme Mai 68 est quelque peu puéril.
Cette nouvelle vogue des vieilles idées gauchistes, en ce qui concerne l'activité syndicale, a été particulièrement visible au sein du courant maoïste. En quelques mois, les éléments qui devaient donner naissance à la Gauche Prolétarienne sont ainsi passés, par exemple, de la ligne "Vive la C.G.T. pour la lutte de classe", à l'anathème contre les "syndicats pourris", les délélégués salopes", les "nouveaux patrons" et les "nouveaux collabos".
Le mouvement trotskyste, parce qu'il est infiniment plus riche de traditions que le mouvement maoïste, parce qu'il s'appuie sur un programme, le "Programme de Transition" qui fut le programme de constitution de la IVème Internationale, qui condense l'expérience et les leçons les plus importantes du mouvement ouvrier, a certes dans l'ensemble échappé à ces errements (bien que la politique du groupe Révolution, issu de la Ligue Communiste, montra que cela est relatif).
Mais si toutes les organisations qui se réclament du trotskysme admettent ,qu'il est nécessaire de militer au sein des syndicats ouvriers, même bureaucratisés, réformistes, staliniens et, à la limite, fascistes, comme sur beaucoup d'autres points les problèmes se posent et les divergences commencent dès qu'il s'agit de passer aux actes. Et sur les deux problèmes essentiels qui se posent en France à propos de l'activité syndicale : dans quel syndicat militer puisqu'il y a pluralité syndicale, et quelle activité y mener et comment, la pratique dos différentes tendances du mouvement trotskyste est extrêmement variée.
Ces divergences se sont en particulier manifestées dans la discussion qui a opposé ROUGE, l'hebdomadaire de la Ligue Communiste, à LUTTE OUVRIERE, après le passage de Labi et d'une partie de l'appareil de la Fédé-Chimie Force Ouvrière à la C.F.D.T..
Voici, pas exemple, comment ROUGE posait alors le problème du choix de l'organisation syndicale dans laquelle les ouvriers révolutionnaires doivent militer :
"Le mouvement ouvrier français est divisé essentiellement en trois organisations syndicales... Force Ouvrière est la plus petite de ces trois confédérations, celle dont le rôle dans les luttes est le plus réduit, celle dont la direction est la plus intégrée à l'Etat bourgeois, celle qui organise la frange la moins consciente et la moins combative de la classe ouvrière. Dans ces conditions, nous pensons que le travail de militants révolutionnaires à F.O. ne peut âtre que tout à fait exceptionnel. C'est là un choix (…) le choix d'un cadre organisé (C.G.T. ou .C.F.D.T.), où les militants révolutionnaires puissent développer le travail de masse le plus efficace, et lutter peur battre en brèche le poids des principales directions réformistes".
Si le nombre de travailleurs organisés par les différentes Confédérations constitue effectivement un élément d'analyse important, cette manière de poser le problème en se contentant d'établir une hiérarchie entre elles d'après leurs effectifs, et le degré de conscience de la moyenne de leurs adhérents, est pour le moins simpliste. Elle peut paraître conforme au bon sens. Mais il y a souvent loin du "bon sens", logique du lieu commun, au marxisme, et cette manière de remplacer l'indispensable analyse de ce que représentent socialement et politiquement les différentes Confédérations, par une simple estimation quantitative et qualitative de leurs effectifs, au nom du "travail de masse" n'est guère sérieuse.
Il n'y a pas, en effet, à l'heure actuelle, dans ce pays, une seule Confédération qui soit réellement une organisation syndicale de masse au sens propre du terme, c'est-à-dire qui organise réellement une fraction notable de la classe ouvrière. Le taux de syndicalisation de la classe ouvrière française est faible, sans doute guère supérieur à 10 %, et en tout cas inférieur à 20 %. Le nombre de ceux qui participent réellement à la vie de leur organisation syndicale, et qui sont donc réellement organisés, est encore bien plus réduit.
Les organisations syndicales françaises sont des squelettes bureaucratiques, privés de toute vie réelle, et cela est aussi vrai de la Confédération majoritaire, la C.G.T., que de celles qui arrivent loin derrière sur le plan des effectifs, la C.F.D.T. et F.O..
Les sections syndicales d'entreprise, quelle que soit la Confédération à laquelle elles appartiennent, ne réunissent pour ainsi dire jamais leurs adhérents. Dans les grandes comme dans les petites entreprises, il n'y a jamais ou presque de réunions ou d'assemblées de syndiqués. La vie de l'organisation syndicale est assurée par les délégués du personnel et du comité d'entreprise (élus par les travailleurs mais en réalité choisis par les organisations syndicales) et par le représentant syndical et les délégués syndicaux (désignés par les organisations syndicales), qui utilisent à cet effet une grande partie des heures qui leur sont attribuées par la loi pour l'exercice de leur mandat (sur leur temps de travail, et payées comme travaillées). Les seules réunions syndicales qui ont lieu se tiennent généralement pendant les heures de travail, sur les heures de délégation, et ne réunissent donc que des militants bénéficiant, à un titre ou à un autre, d'heures de délégués, excluant ainsi la majorité des syndiqués et, a fortiori, des travailleurs.
Les dirigeants syndicaux invoquent comme justification le peu d'empressement des travailleurs à consacrer du temps à une réunion syndicale après une journée de travail. Les délégués, selon eux, n'ont pas à faire l'effort d'organiser de telles réunions, pour permettre à quelques travailleurs pou nombreux de se réunir avec eux ("s'il y en a un ou deux qui le veulent vraiment, on peut toujours se débrouiller pour leur procurer des "heures"").
En fait, s'il est indéniable que le pratique bureaucratique des directions syndicales a éloigné beaucoup de travailleurs des syndicats, et a retiré aux syndiqués le goût de se réunir pour discuter de leurs problèmes, s'il est également vrai, aussi, que bon nombre de militants syndicaux seraient infiniment moins actifs s'ils ne disposaient pas d'heures de délégation, et qu'il serait également difficile de les réunir après le temps de travail, le fond du problème est que les dirigeants syndicaux ne tiennent pas à réunir les travailleurs du rang. Ils ont ainsi les mains plus libres, non seulement pour mener tranquillement leur politique en période normale, mais éventuellement même pour opposer les militants, les délégués, à ceux, syndiqués et ouvriers du rang, qui ne s'occupent pas en temps ordinaire du syndicat, et qui voudraient parfois, lors des grèves par exemple, "SAVOIR MIEUX QUE LES MILITANTS SYNDICAUX", comme disent les bureaucrates, ce qu'il faut faire ou ne pas faire.
C'est que les appareils syndicaux, dont les ressources matérielles et humaines dépendent plus des avantages concédés par la bourgeoisie et son Etat par l'intermédiaire des lois dites sociales (heures de délégation, gestion des comités d'entreprises, participation à de nombreux organismes étatiques) que des cotisations et du dévouement de leurs adhérents, non seulement ne tiennent pas à réunir leurs syndiqués, à qui ils préfèrent ne pas avoir à rendre de comptes, mais ne tiennent pas non plus beaucoup à recruter. Et cela est si vrai que la première difficulté que rencontrera le militant révolutionnaire désireux de commencer une activité syndicale sera simplement, parfois, d'obtenir sa carte du syndicat, et que demander la tenue d'une réunion suffit dans certains cas pour se faire soupçonner de "gauchisme".
On voit donc que le fait pour un militant révolutionnaire d'adhérer au syndicat ne lui permet pas automatiquement, loin de là, une activité "de masse" véritable. Avoir sa carte du syndicat, cela ne permet pas, en général, de participer à la vie syndicale. Cela donne tout juste le droit d'engager la lutte pour tenter de créer et de développer cette vie syndicale. Et c'est se leurrer gravement que de croire que la seule raison que les révolutionnaires aient de militer à la C.G.T. serait le plus grand nombre d'adhérents de celle-ci, et qu'adhérer à la C.F.D.T. permettrait un "travail de masse" qui ne serait pas possible à F.O..
Cela ne signifie pas pour autant que l'influence des différentes Confédérations soit nulle, ou égale entre elles. Mais faire une distinction entre les organisations influentes que seraient la C.G.T. et la C.F.D.T., et l’organisation mineure que constitue F.O., c'est commettre une autre erreur. La distinction qui s'impose aux yeux de qui a un minium de connaissances du rapport de forces dans les entreprises, c'est qu'il y a d'un côté la C.G.T., la Confédération de loin la plus influente et, de l'autre, deux Confédérations mineures qui sont la C.F.D.T. et F.O..
Sur le simple plan numérique, tant en ce qui concerne le nombre de syndiqués que le nombre de voix recueillies lors des élections de délégués, la C.G.T. est déjà, sans contestation possible, la plus puissante organisation syndicale française. Mais on ne peut même pas mesurer le rapport de forces entre la C.G.T. et les Confédérations concurrentes en se contentant de comparer ces chiffres. Car l'influence que possède la C.G.T. sur la classe ouvrière est encore plus grande que ceux-ci tendraient à le faire croire. En fait, même là où la C.F.D.T. recueille un nombre de voix voisin de celui de la C.G.T., cette dernière dispose bien souvent d'une influence bien plus grande. Cela tient, d'une part, au poids considérable de la C.G.T. dans la vie politique de la classe ouvrière française au niveau national, et d'autre part aussi au type de militants que recrutent les différentes centrales syndicales. En dépit de sa politique réformiste - quelquefois plus ouvertement réformiste (nous y reviendrons), que celle de la C.F.D.T. - la C.G.T. continue à attirer globalement la plus grande partie des travailleurs désireux de se battre pour leur classe, et qualitativement les plus dévoués. Cela donne à la C.G.T., par rapport à la C.F.D.T. et à F.O., en règle générale, un poids militant dans les entreprises infiniment plus grand.
En fait, la C.G.T. n'est pas seulement la centrale syndicale la plus puissante, c'est aussi une centrale syndicale dominée par l'appareil stalinien. Toute l'influence qu'a le P.C.F. au sein de la classe ouvrière, l'existence même de ce parti dans les entreprises, repose, à l'heure actuelle, sur la C.G.T.. Cela ne rend certes pas l'activité syndicale plus facile pour les révolutionnaires au sein de cette Confédération. Mais c'est pourtant une raison de plus pour eux d'y militer, compte tenu du rôle déterminant que joue dans ce pays l'appareil stalinien.
Les aspirations de cet appareil ne diffèrent certes en rien de celles de la social-démocratie. Son but est de participer à la gestion des affaires de la bourgeoisie française en loyal gérant des intérêts capitalistes. La manière dont le P.C.F. exalte le souvenir des années 1936-37, où il était dans la majorité gouvernementale, et surtout des années 1944-47, où il participait directement an gouvernement, est à cet égard significative. Il ne cesse en effet de rappeler à ses partenaires d'une éventuelle union de la gauche, et à la bourgeoisie elle-même, à quel point il a été raisonnable, respectueux de ses engagements, brandissant ses mérites passés comme une garantie pour l'avenir. Mais le zèle que déploient les dirigeants staliniens pour faire apparaître leur parti comme "un grand parti de gouvernement", illustre également, en sens inverse, la place particulière qu'occupe l'appareil stalinien dans la vie politique française, le fait que la bourgeoisie ne lui fait pas suffisamment confiance pour l'admettre, sans nécessité absolue, à la gestion de ses affaires.
C'est qu'aux yeux de la bourgeoisie, l'appareil stalinien souffre de deux graves défauts. Il est d'une part encore trop lié avec la bureaucratie soviétique pour être considéré comme un parti "national" semblable aux autres, et il est trop sensible - il l'a montré à plusieurs reprises - à la pression de sa base ouvrière. Et de ces deux reproches, le second n'est pas forcément le moindre. Il ne faut pas oublier en effet, qu'en mai 1947, c'est le Parti Communiste Français lui-même qui a pris la responsabilité de rompre la solidarité gouvernementale, lors de la grève Renault, après avoir affirmé qu'il ne se laisserait jamais "doubler sur sa gauche". Plus près de nous, ce même désir de ne pas se couper de la classe ouvrière l'a amené, en mai 1968, à permettre le déferlement du mouvement de grève.
Ces deux exemples illustrent une caractéristique essentielle de l'appareil stalinien, qui le différencie de l'appareil social-démocrate. L'appareil stalinien n'est pas prêt à sacrifier éventuellement ses propres intérêts d'appareil sur l'autel de la bourgeoisie. Quand il pense courir le risque de se couper de sa base ouvrière, il refuse de s'opposer ouvertement à celle-ci, et préfère prendre la tête du mouvement. La bourgeoisie française est parfaitement consciente de cela, même si elle sait également qu'aussi loin que le P.C.F. accepte d'aller, il n'ira jamais jusqu'à mettre en cause son pouvoir et son existence. Rien ne sert de se demander si c'est parce que la bourgeoisie française le considère comme un corps étranger que l'appareil stalinien a cette ligne de conduite, ou si c'est l'inverse qui est vrai. Les deux affirmations sont complémentaires. Mais le fait important est que cet appareil est infiniment moins intégré à la bourgeoisie et à son Etat que les appareils réformistes classiques.
Sur le plan syndical, cela signifie que la C.G.T. est d'une nature socialement différente de celle de F.O. et de la C.F.D.T., Confédérations qui furent ou sont liées à la social-démocratie, et qui ont d'ailleurs été construites pour faire pièce à la C.G.T..
La C.G.T. ne mène pas pour autant uns politique plus agressive vis-à-vis de la bourgeoisie que celle de la C.F.D.T.. Tenue à plus de responsabilité parce que plus influente, désireuse de donner des gages de bonne volonté à la bourgeoisie, la C.G.T. mène une politique qui peut au contraire apparaître plus timorée. Et le fait que l'appareil stalinien soit moins intégré à la bourgeoisie française ne l'empêche pas non plus d'être le meilleur défenseur de celle-ci.
Il est en effet hors de doute qu'en France, l'appareil stalinien est depuis au moins trente -ans la force contre-révolutionnaire la plus efficace qui soit. Ni la social-démocratie, largement minoritaire depuis la guerre, ni les autres bureaucraties syndicales, qui n'ont un peu d'influence que depuis quelques années, n'auraient eu la force de paralyser la classe ouvrière française comma le P.C.F. et la C.G.T l'ont fait en particulier dans les années qui ont suivi la Deuxième Guerre mondiale, lors des grandes grèves de 1947, de 1953 et de 1955, ou plus près de nous en 1968. La bourgeoisie française n'a pu mener sa politique et se maintenir en selle depuis 1944 sans grands remous sociaux que grâce au P.C.F. et à la C.G.T..
C'est donc la raison majeure qu'ont les révolutionnaires de militer à la C.G.T., Et par ailleurs, car c'est auprès des travailleurs influencés par le P.C.F. que la contestation doit se faire, c'est là que la démonstration de ce qu'est réellement la politique stalinienne doit être faite.
Face à cette influence déterminante de la C.G.T. sur la classe ouvrière française, les deux autres Confédérations syndicales françaises notables, la C.F.D.T. et F.O., n'ont pas à elles deux autant d'importance que la saule C.G.T..
En dépit des prétentions de l'appareil F.O., qui s'emploie régulièrement à essayer de démontrer que F.O. est la deuxième Confédération syndicale française par ordre d'importance, il est hors de doute, du moins en ce qui concerna le secteur industriel, que cette place revient à la C.F.D.T..
Malgré le rejet de son ancienne étiquette confessionnelle, la C.F.D.T. .(ex-C.F.T.C.) reste profondément marqués par ses origines, on dépit des illusions qu'elle a pu susciter, en particulier dans les milieux "gauchistes".
Beaucoup ont vu en effet dans la C.F.D.T. la seule Confédération syndicale ayant montré de la sympathie aux étudiants en mai-juin 1968. L'attitude relativement plus radicale des militants de la C.F.D.T. lors de certaines luttes a contribué à renforcer ces illusions. Mais c'est oublier que la direction de la C.F.D.T. n'a à aucun moment, sur le plan national, mené une politique fondamentalement différente de celle de la C.G.T.. Les dirigeants de la C.F.D.T. n'ont en rien, lors des négociations de Grenelle avec le gouvernement, en mai 1968, eu une attitude différente de celle de la C.G.T.. Et ils ont signé comme Séguy le fameux protocole d'accord qui fut rejeté de la manière que l'on sait par les travailleurs de Renault et ceux de tout le pays.
Loin de s'opposer de manière résolue à la politique contractuelle défendue par la gouvernement, la C.F.D.T. a au contraire été la première à signer le fameux "contrat de progrès" de l'E.D.F.. Et il ne s'agit pas là d'incidents de parcours, ne remettant pas en cause une orientation globale plus à gauche que celle de la C.G.T.. Il s'agit là eu contraire de faits parfaitement significatifs.
En réalité, ceux qui opposent à F.O., "syndicat jaune", une C.F.D.T. "gauchisante", ne font que montrer une totale incompréhension de ce que représentent ces deux Confédérations syndicales, car la C.F.D.T. représente fondamentalement la même chose que F.O., la tentative de créer dans ce pays une grande Confédération syndicale échappant à l'emprise du Parti Communiste Français, une grande Confédération réformiste capable de faire pièce à la C.G.T.. La seule différence résidant dans l'époque à laquelle s'est développée cette tentative.
Force Ouvrière est en effet née d'une scission, en 1947, de la C.G.T.. Les ministres du Parti Communiste Français venaient d'être évincés du gouvernement par le "socialiste" Ramadier, c'était la fin de l'Union Sacrée qui avait suivi la guerre, et il fallait aux ministres "socialistes", et à la bourgeoisie française, un contrepoids "ouvrier" à la puissance de la C.G.T. où l'appareil stalinien dominait largement celui de ceux que l'on appelait encore alors les "réformistes", bien que ce terme les distingue fort peu des staliniens.
Depuis cette époque, F.O. joua systématiquement le rôle de chien de garde du capital et de soutien des gouvernements qui se sont succédés depuis 1947, avec à peine un peu plus de distance depuis le début de la Cinquième République. En fait, la C.G.T. ne joua pas un rôle socialement différent. Mais cet appui au pouvoir bourgeois, F.O. l'apporta ouvertement. Durant toute une période, celle qui suivit sa création, ce fut le syndicat "jaune" par excellence. Elle brisa, ou tenta de briser, toutes les grèves déclenchées par la C.G.T.. Et quelques années plue tard, F.O, fut même partie prenante, par l'intermédiaire de deux de ses secrétaires confédéraux, dans l'enchevêtrement de complots qui ramenèrent de Gaulle au pouvoir en 1958. Tout cela n'empêcha d'ailleurs pas F.O. de soulever en son temps un certain nombre d'illusions : lors de sa création, elle rallia la majorité des opposants de gauche au stalinisme, et en particulier beaucoup de militants anarcho-syndicalistes. Certains syndicats locaux Force Ouvrière, ou même des Unions Départementales, sont ainsi dirigés par des militants qui ne sont pas liés avec l'appareil d'Etat comme l'est F.O. dans son ensemble. C'est ainsi qu'à deux reprises, en 1953 (chez les fonctionnaires) et en 1955 (dans la Loire-Atlantique) des militants de F.O. furent à l'origine de grèves qui eurent une grosse répercussion dans le pays tout entier.
Mais dans l'ensemble, la politique de F.O. fut si droitière qu'elle permit à la Confédération chrétienne de mener une politique d'alliance avec la C.G.T., de se donner à bon compte -vu son pou d'influence - une allure un peu radicale, toutes choses qui lui permirent des progrès importants, et l'amenèrent même à changer son nom pour y supprimer la référence chrétienne, marquant par là qu'elle était prête, vis-à-vis de la bourgeoisie, à reprendre la succession des réformistes classiques trop compromis.
La guerre froide, et les rapports entre l'appareil stalinien (P.C.F. et C.G.T.) et la bourgeoisie française qui en découlèrent, avaient amené les dirigeants de F.O. à mener dès la naissance de leur Confédération une politique qui hypothéquait gravement leurs possibilités de construire une grande centrale ouvrière réformiste. Dans un tout autre contexte historique, c'est à cette tâche que s'attelèrent à partir des années 60 les dirigeants de la C.F.T.C. puis de la C.F.D.T.. Et ce qui est caractéristique du parallélisme de ces tentatives, malgré leurs apparences opposées, c'est l'attitude du Parti Socialiste, qui ne compte plus aujourd'hui sur Force Ouvrière pour le représenter dans la classe ouvrière, mais qui essaie de multiplier les liens qui l'unissent à la C.F.D.T..
Cette tentative de construire dans ce pays une grande centrale réformiste, non liée au P.C.F., capable de faire pièce à la C.G.T., n'est bien sûr pas un projet assumé consciemment par l'ensemble des militants de la C.F.D.T.. Si le recrutement de cette Confédération est encore très marqué par ses origines, son pseudo radicalisme lui a évidemment amené beaucoup de jeunes travailleurs qui y voient une Confédération plus à gauche que la C.G.T.. Et c'est évidemment un facteur dont il faut tenir compte, mais sans jamais oublier que le rôle des militants révolutionnaires n'est pas de spéculer sur les illusions des travailleurs, mais de combattre ces illusions, toute autre attitude n'étant, au mieux, que de l'opportunisme.
C'est à partir de ces considérations que les militants révolutionnaires doivent déterminer dans quel syndicat ils doivent militer, en tenant compte, en outre, de l'importance de leur propre organisation politique. Car s'il est évident qu'un parti révolutionnaire puissant devrait avoir des militants, pour des raisons diverses, dans pratiquement toutes les grandes Confédérations syndicales, en consacrant cependant l'essentiel de ses forces à l'activité au sein du syndicat la plus influent, celui qui compte le plus grand nombre de travailleurs dans ses rangs, c'est-à-dire la C.G.T., il est encore plus évident que des groupes de la taille des organisations révolutionnaires existant en France doivent consacrer tous leurs efforts à la C.G.T...
Le problème du choix entre la C.F.D.T. et F.O. ne doit se poser que pour les militants révolutionnaires qui ont perdu toute possibilité de militer à la C.G.T., qui ont été exclus par l'appareil, ou mis par lui à l'écart de toute possibilité de participer à la vie syndicale.
Et ce choix, tactique, ne doit pas se traduire, devrait-on avoir à le dire, par l'éloge, même limité, de la Confédération choisie ou de ses actions.
La C.F.D.T. et la C.G.T.-F.O. sont des organisations socialement droitières par rapport à la C.G.T., au même titre l'une que l'autre. Et le choix qu'un militant peut faire entre l'une ou l'autre de ces organisations ne peut pas, n'a pas à se faire en fonction de ce qu'elles sont à l'échelle nationale. A ce niveau-là, aucun choix ne serait possible. Le choix du militant réduit à militer soit dans F.O., soit dans la C.F.D.T., ne peut être que tactique, en fonction de considérations locales et sans privilégier l'une par rapport à l'autre ces deux Confédérations réformistes, sans attribuer des vertus au fait que l'une soit plus efficace dans le réformisme que l'autre, parce qu'elle l'est moins ouvertement.
Le seul choix politique à l'échelle nationale d'une organisation révolutionnaire est de militer au sein de la C.G.T.. Et lorsque des militants révolutionnaires sont repliés, par la volonté de la bureaucratie stalinienne, au sein de F.O, ou de la C.F.D.T., c'est encore, stratégiquement, en direction de la C.G.T. qu'ils doivent s'efforcer d'orienter leur activité.
C'est sur ce dernier aspect que nous reviendrons dans de prochains articles pour montrer que, là encore, l'attitude des révolutionnaires est fondamentalement différente de celle des gauchistes.