Pour rappel interview du PST dans rouge lors des soulevements de Kabylie en 2002:
La Kabylie continue de vivre sous le joug d'une politique dans laquelle elle ne se reconnaît pas. Chawki Salhi, le porte-parole du PST, nous livre ici son analyse.
- Les nouvelles qui arrivent de Kabylie sont assez alarmistes. Qu'en est-il réellement?
Chawki Salhi- Au lendemain du discours de Bouteflika, les émeutes continuaient à survenir ici et là, indifférentes aux concessions sur le tamazight1. Dans ce contexte, le Front des forces socialistes (FFS) n'osait plus annoncer sa participation aux élections. Lorsque les premières brigades de gendarmerie ont commencé à évacuer leurs locaux, des scènes de joie incroyables se sont déroulées. Ce qui restait de la gendarmerie de Azazga a été détruit et les autres brigades, harcelées, étaient invitées à partir. A travers le pays, d'autres émeutes étaient signalées à Saida dans l'ouest, à Ain Defla au centre. Une attention sympathique était portée à la Kabylie, dont le combat prenait de nouveau l'éclairage de celui des démunis contre l'arbitraire et se dégageait de la coloration identitaire exclusive qu'on s'entêtait à lui coller.
Le pouvoir a alors engagé une vaste traque des militants de la tendance droitière du mouvement, hégémonique depuis la scission de l'été. Un bouclage impressionnant empêchait les manifestations prévues. La chasse aux manifestants se faisait de façon brutale et haineuse, comme à El Kseur. Plusieurs tués, mais pas d'armes à feu. Puis le processus d'évacuation des brigades a repris, le wali de Béjaïa annonçant même que les logements des gendarmes, évacués, seraient distribués à la population !
Sans aucun doute, le pouvoir a frappé ce grand coup pour maintenir la «peur du gendarme», valeur de base de la démocratie bourgeoise.
L'efficacité de l'opération répressive, malgré les milliers de manifestants qui ont couvert à pied des dizaines de kilomètres pour contourner les barrages, s'explique par la lassitude populaire après un an de révolte. Les nombreuses arrestations ont ciblé un courant précis du mouvement, espérant éviter de provoquer une riposte unanime. La brutalité qui a désorganisé une mobilisation qui n'était pas généralisée ne pourra pas tenir au-delà de quelques jours.
J'ai traversé hier, de part en part, une Kabylie paisible, qui tolère, certes, quelques barrages de gendarmes et qui prépare à Béjaïa une grève générale dimanche 7 avril, appelée par une réunion intersyndicale impressionnante qui a regroupé 45 secteurs différents, un collectif étudiant des comités populaires locaux. Tout à l'heure, sur un air de fête, les collégiens, de retour de vacances, sont descendus vers la gendarmerie pour protester contre la répression. On s'attend à du nouveau un peu partout avec la rentrée scolaire.
- Quel écho ont les thèses autonomistes pour la Kabylie?
C. Salhi- Il y a certes une tentation de repli identitaire et le Mouvement pour l'autonomie de la Kabylie (MAK) a eu beaucoup d'écoute. Mais la répression actuelle a permis de constater que cet épouvantail fort médiatisé (pour éviter la convergence nationale autour de la révolte kabyle) ne représentait rien.
- Les élections n'ont pas l'air de passionner grand monde. Quels sentiments chez les travailleurs et les masses populaires?
C. Salhi- Désintérêt total d'est en ouest. Les travailleurs, les jeunes et les masses populaires ne voient personne pour qui voter: ni islamisme pour contrer le régime honni, ni régime Zéroual pour échapper aux groupes armés islamiques, ni parti kabyle à la FFS, ni illusion Bouteflika, ni même gauche qui tarde à se concrétiser en alternative politique. La pratique politique bourgeoise est vomie.
Après la répression kabyle, le FFS et la plupart des partis ont annoncé leur non-participation. Bouteflika est mis en demeure d'annoncer de grands changements, sous peine de devoir renoncer à la façade démocratique du régime. On attend le remplacement du ministre de l'Intérieur et du chef de gouvernement, ainsi que le report des élections à la rentrée. Au moins. Il est par contre peu probable que Bouteflika ait la dignité de démissionner.
- Les privatisations sont annoncées pour la énième fois, est-ce une tentative de plus du gouvernement de forcer le barrage?
C. Salhi- Bouteflika est soutenu par les Etats-Unis et l'Union européenne, dont la propagande et les associations algériennes satellites s'acharnent sur le «régime des militaires» en épargnant son auguste personne. Son affaiblissement dans la crise actuelle va l'amener à tenter de conforter le soutien impérialiste en bradant de nouvelles privatisations au profit des multinationales et en accélérant l'adhésion à l'OMC, suicidaire pour l'industrie nationale.
- La désaffection pour la politique libérale du régime semble se généraliser. Est-ce une réalité?
C. Salhi- Autant la contestation des méfaits du libéralisme est généralisée, autant cette contestation ne se cristallise pas consciemment dans une expression antilibérale. La centrale syndicale Union générale des travailleurs algériens (UGTA) et le patronat ont protesté contre le démantèlement des barrières douanières qui favorisait sciemment les multinationales et exprimé des inquiétudes sur l'accord d'association avec l'union européenne qui menace 500000 emplois productifs.
L'antilibéralisme patronal demeurera sporadique et celui de la direction syndicale, plus sérieux, ne prépare aucune offensive conséquente. La course aux places éligibles sur les listes RND et FLN occupe toute l'attention.
En fait, les travailleurs n'ont pas le sentiment qu'une autre politique est possible et la radicalité extrême de la jeunesse au chômage n'a pas non plus d'alternative sociale précise en point de mire. La politique économique refusée n'est pas désignée par libéralisme parce que le non-libéralisme n'est pas encore identifié. Alger, le 11 05 02
Propos recueillis par Malika Aïch
1. Langue berbère récemment reconnue comme une des langues nationales.