Stoppez les machines !

Message par faupatronim » 05 Fév 2003, 17:32

Suite aux critiques lues dans ce forum (comme quoi ça peut servir), j'ai lu Stoppez les machines.

J'ai trouvé cela pas mal du tout. C'est un des rares romans (le seul peut-être) à avoir pour toile de fond une grève récente en France, et plus généralement la classe ouvrière. La classe ouvrière qui tente d'échapper à son sort par la musique, le shit, l'alcool, la classe ouvrière abrutie par le boulot : tout cela sonne juste.
La grève est pas mal racontée : la colère des ouvriers, l'attitude des chefs, des syndicalistes, des patrons,... De manière un peu "idéale" même. En tout cas je n'ai pas beaucoup d'exemples récents où la détermination des grévistes a été si forte.

Le livre vaut aussi pour tout militant de LO, bien sûr. Vous en connaissez beaucoup des romans où on voit un camarade de LO diriger une grève ? Au passage je ne l'ai pas trouvé "mieux que nature" comme pouvait le dire LCR sur le forum.

Pour tout cela je le conseille donc.

Par contre la dernière partie est des plus noire et la grève laisse très largement la place au polar. Un peu dommage à mon goût, mais ça reste très bien.

Stoppez les machines !, de François Muratet, Editions Serpent à Plumes, 300 pages, 14 euros
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Message par faupatronim » 05 Fév 2003, 17:37

Je joint l'interview de Muratet à l'Humanité

(l'Humanité @ 27 Décembre 2001 a écrit :CULTURES

Roman. Stoppez les machines !, de François Muratet nous entraîne dans une fiction à l'usine.


La littérature, reflet d'une mémoire ouvrière

Ancien musicien, professeur d'histoire, François Muratet a choisi la fiction pour rendre hommage aux " perdants " de la société industrielle. Dans son dernier roman, il salue les " faiseurs de grève " et dénonce les magouilles des " décideurs ". Entretien.


La Métallique est une petite usine de Seine-Saint-Denis, qui fabrique des pièces qui, dans une autre unité de production, deviendront des amortisseurs de voiture. Une cinquantaine d'employés, à qui l'on annonce le passage imminent aux 35 heures... Parmi eux, Mona, une jeune fille qui ne rêve que de rock en composant des textes pendant ses heures de pause ; Pascal, le batteur de son groupe, qui aurait aimé être Baudelaire ; Marc, le syndicaliste aux faux airs de Pancho Vila, " très accommodant avec la direction ". Face à eux, un patron, qui, selon les ouvriers, tente d'empocher les primes sans réduire les heures de ses employés. Et, en toile de fond, des magouilles immobilières, une société d'investissement qui a intérêt à faire dégénérer la grève qui s'amorce. Les personnages de Muratet sont tout en nuances, régis par des comportements d'êtres en danger, prêt à aller se battre jusqu'au bord du gouffre. Loin d'un éloge naïf aux barricades et aux heures glorieuses des luttes syndicales, Muratet s'échine à décrire, avec brio, des individus piégés par des rouages et des règles qui les dépassent. Des violences des briseurs de grèves à la farouche et parfois cruelle détermination des grévistes, le roman brille finalement par une épopée non héroïque, avec des lendemains sans gloire. Le rythme de ce récit plutôt désabusé ? " Des bruits de grosses caisses, des sifflements, des aspirations, des claquements. C'est le blues de la Métallique. "

Quelle était votre intention préalable, en vous lançant dans ce travail ?

François Muratet. Je voulais écrire une histoire sans pitié, montrer l'humanité sans maquillage. Mais une fois l'histoire finie, mes amis ont trouvé que les personnages étaient plus durs les uns que les autres, uniquement intéressés par l'argent. J'ai donc tenté de les rendre un peu plus humains. Et finalement, cela m'a demandé un énorme travail ! Trois ans que j'écris et réécris.

L'idée était, par ailleurs, de raconter une grève qui dégénère, à travers trois regards différents : celui d'un flic pourri ; celui d'un ouvrier, ni politisé ni syndicalisé mais un peu énervé et qui se mettait à prendre les choses en main ; celui, enfin, du patron de l'usine en grève. Mais je n'arrivais pas à me mettre dans la peau d'un patron ; alors j'ai " campé " un consultant, payé par le patron...

Et vous vous êtes immergé en usine, pour mieux coller à la réalité...

François Muratet. Je m'étais largement documenté sur le monde de l'usine, mais quand je suis passé à la rédaction, je me suis rendu compte que ça ne suffisait pas. J'avais été militant, dans le passé, mais je ne savais pas à quelle heure exactement étaient les pauses, comment était le vestiaire. Y avait-il des chaussures de sécurité ? Bref : des tas de détails qui m'empêchaient d'écrire. Et comme je ne sais pas pratiquer une écriture abstraite, comme un Jean Echenoz, j'ai voulu entrer dans une usine, pour la décrire au mieux. Un ami, chef d'équipe dans une usine de métallurgie automobile, a accepté de m'y introduire. Il m'a présenté aux membres des syndicats ; il répondait à mes questions techniques, et il m'a ensuite aidé au moment de l'écriture. Et j'ai pu ainsi affiner le caractère des personnages.

J'étais ravi de voir tourner les machines, de capter tous ces bruits. C'est un univers pour lequel je garderai une certaine affection, et même si c'est idiot, également une certaine admiration.

Quel est, au-delà de la fiction, votre regard sur les syndicats ?

François Muratet. Ce sont souvent eux qui jouent un rôle modérateur. Pas dans des conflits défensifs, comme chez Moulinex, où il n'y a plus rien à perdre, où, quand l'usine va fermer, les syndicats ont une attitude extrémiste. Mais lors de conflits " offensifs ", pour faire valoir une revendication, ils tempèrent...

Ce que j'ai observé dans l'usine, c'est que des syndicalistes " durs " avaient été déboulonnés et que la place avait été occupée par des modérés. Je me suis rendu compte que le syndicaliste était entre deux feux : soit le patron essaie de le briser, soit il essaie de l'acheter. Dans mon roman, j'ai décidé de créer un personnage qui, de petit compromis en petit compromis, se retrouve en porte-à-faux avec son discours revendicatif.

Comment pensez-vous que votre livre puisse être perçu par ceux qui l'ont inspiré ?

François Muratet. Une fois publié, je l'ai offert au chef d'équipe qui m'avait fait entrer dans l'usine. · vrai dire, je crains un peu les " retours ", car dans ce bouquin, les chefs ne sont pas tellement mis en valeur... J'attends de voir. Il va falloir que je parvienne à les convaincre que ce ne sont pas les mêmes personnages, que c'est une fiction, que ce n'est plus " eux "... En même temps, il y a des choses vraies, car le directeur des ressources humaines de la boîte m'a expliqué qu'il y avait eu une grosse grève en 1995, où les outils servaient à bloquer les portes, où il s'était barricadé dans son bureau ; il avait été menacé de mort : ce sont des faits que j'ai repris.

Votre propos était-il par ailleurs de " réhabiliter " l'image du monde ouvrier ?

François Muratet. C'est vrai qu'il y a, dans ma démarche, un aspect idéologique. On dit que le monde ouvrier a disparu, mais il y a quand même plus de 30 % d'ouvriers en France. Dans l'ensemble de la production littéraire, les ouvriers apparaissent très rarement. Personnellement, les comptes rendus de grève m'ont toujours intéressé, ce sont de vrais drames, en termes d'aventure humaine, qui transforme parfois irrémédiablement les gens.

J'ai l'impression qu'il y a une véritable mise à la trappe des ouvriers, davantage qu'une dévalorisation de leur image. Quand je me suis lancé dans ce travail, des gens me disaient que ça n'intéresserait personne ; de mon côté, j'écris avant tout des livres que j'aimerais lire.

On songe parfois à l'univers laborieux décrit par un Zola.

François Muratet. Concernant le côté cru et violent, j'ai pensé plutôt à James Ellroy, et pour l'aspect ouvrier, à l'Etabli, de Robert Linhart, qui raconte comment il s'était immergé dans l'usine Renault, en 1969 ; la grande grève qu'il a tenté de mener, avec une description minutieuse de l'usine. Il y avait autrefois un plus grand souci d'écrire des romans en parlant des ouvriers, mais l'un des derniers que j'ai lus, c'est peut-être Elise ou la vraie vie.

Votre livre est également proche de l'univers du " polar ".

François Muratet. C'est dans le roman dit " noir " qu'on peut prendre la liberté de raconter une telle histoire ; c'est un espace dans lequel on peut parler de ce qu'il y a de plus sordide. L'avantage du polar, c'est la place qu'on peut donner à la violence, aussi bien physique que celle qui est liée aux rapports sociaux. Il est vrai que j'ai bâti une intrigue, sous la forme d'une machination mais, en même temps, la grève trouve sa propre dynamique et il n'y a pas d'enquête policière, à proprement parler. C'est aussi un regard sur cette tragédie : le décalage entre ce que les gens font réellement et ce qu'ils rêveraient d'accomplir.

Propos recueillis par

Cédric Fabre


Notez que eux ont oubliés de relever le rôle du militant de LO :roll:
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Message par faupatronim » 05 Fév 2003, 17:53

Une autre interview tirée de Paris Obs...

(Nouvel Observateur a écrit :François Muratet : la plume polar

François Muratet, natif de Casablanca, est désormais seine-et-marnais. Après une jeunesse parisienne pur sucre, il travaille et écrit en banlieue. Avec « le Pied-Rouge » et « Stoppez les machines » (Le Serpent à plumes), ce prof d'histoire-géo a su imposer une griffe. L'Ile-de-France devient un jeu de go.

 L'ironie est dans le rond de ses lunettes de myope. Dans le civil, François Muratet, 46ans, est professeur d'histoire-géographie. Faussement tranquille, il vit reclus avec femme et enfants, à Tournan-en-Brie, près de 8000 âmes au dernier recensement. «Lorsque l'on vit ici, c'est pour ne pas trop sortir», démarre-t-il. Des fenêtres de son bureau, il aime regarder son microcosme: «Les dimanches, Tournan est envahi par des joggers, des cyclistes et randonneurs. Ils descendent du train d'un pas décidé, le soir ils repartent vers Paris, un peu plus fourbus. J'adore ces scènes de calvaire collectif.»

Dans cette placidité seine-et-marnaise, il a su biner son jardin secret: le polar. «Pour les repérages de mon dernier livre, "Stoppez les machines";, je me suis inspiré d'une usine métallurgique proche de la maison. Des syndicalistes m'ont fait visiter l'endroit. Mais pour les besoins de l'histoire, j'ai déplacé mon monde du côté de Saint-Denis.» Longtemps, le professeur Muratet a écumé le 9-3 des collèges. Dans les préfabriqués scolaires mal en point de la cité des 4000, au Lep Paul-Doumer, la vie était laide et galère: «Grâce à cette grande soucoupe volante tombée de la planète foot qu'est le Stade de France, les choses se sont un peu améliorées. Mais j'ai migré plus loin encore: aujourd'hui, je vais à pied au collège de Tournan», souffle-t-il. Ces banlieues rouille et crachin, il les déploie dans ses livres.

François Muratet est né au Maroc, à Casa, d'un papa professeur d'anglais et d'une mère au foyer, mais Paris n'est jamais loin. «Je me souviens de grandes manifs à la Nation. Je suivais ma grande s½ur, militante à Lutte ouvrière. A 15ans, un meeting d'Arlette à la porte de Versailles m'a décidé moi aussi à faire de la politique.» Son enfance, tout comme son premier polar, a parcouru le 11e. L'adolescence «un peu anar» s'électrise: il est guitariste avec des groupes de rock du 19earrondissement, les Rat's ou Les Normal. «Notre point de ralliement était un bar génial: la Patache, près du canal Saint-Martin dans le 10e. On allait également dans le 17e, aux Dépanneurs, un bar rock tellement bruyant qu'il est inutile de parler. On écrivait quand même des chansons du style "Lucie est gauchiste, Lucie est gauchère, c'est la société qui l'a contrariée !"

C'est pendant ses années de jeune prof que François Muratet découvre la banlieue. «Mon premier poste à Drancy m'a fait broyer du noir. A cette époque, je me suis mis sérieusement aux arts martiaux. Je me rendais aussi dans une salle de sports du 20e pour la boxe française. » Depuis, l'écrivain mélange l'Extrême-Orient et le polar francilien. Des repas de bo-bun, les luisances d'un sabre et le cri de soie d'un kimono: le soleil est toujours levant sur les banlieues de Muratet.

Emmanuel Lemieux  
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Message par jeug » 28 Août 2010, 15:58

Je viens de lire ce bouquin.
J'ai bien aimé.
Ainsi que les remerciements à Arlette à la fin, "pour ce qu'elle représente".
jeug
 
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