pour faire plaisir a steph (mais est ce que cela lui fera plaisir) l'interview de ben dans le dernier Rouge :
CITATION Historien spécialiste du Maghreb, notamment de l'Algérie contemporaine, et enseignant à Langues O. (Inalco), Benjamin Stora est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages. Sa dernière publication, La Dernière Génération d'Octobre (Stock, 2003, 287 p., 20 e) retrace son itinéraire personnel de militant trotskyste membre de l'Organisation communiste internationaliste (OCI, ancêtre du Parti des travailleurs actuel) dans le contexte politique et culturel ouvert par Mai 68. Itinéraire qui s'achève au milieu des "années fric", en 1986, lorsque la tendance à laquelle il appartenait au sein de l'OCI décide d'entrer au Parti socialiste. Il quittera le PS un an et demi plus tard.
- Ton livre s'intitule "La Dernière Génération d'Octobre". Qu'entends-tu par génération d'Octobre et - surtout - que veux-tu dire en parlant de "dernière" ?
Benjamin Stora - Je me réfère évidemment à la grande séquence de la révolution d'octobre 1917 en Russie. Plusieurs générations ont cru dans des idéaux et dans la rupture initiée par octobre 1917. Je pense que la génération qui est entrée brutalement en politique, entre 1968 et 1975 pour aller vite, était peut-être la dernière qui a cru à l'attente messianique du grand soir pour transformer la société de manière radicale, rapide et instantanée. Aujourd'hui, les jeunes générations n'ont peut-être pas tout à fait la même disposition d'esprit sur cette rapidité, cette radicalité qui ferait abstraction de tout le passé.
- Il y a eu plusieurs livres sur les trotskystes, mais il n'y a que deux témoignages d'acteurs - tous deux issus de l'OCI -, celui de Jean-Christophe Cambadélis et le tien. Ton livre est-il une réponse à Cambadélis ?
B. Stora - Il ne s'agit pas d'une réponse, plutôt d'une restitution mémorielle. J'ai voulu raconter cette histoire à hauteur d'homme, en particulier celle des années 1970. Il existe très peu de livres restituant véritablement ce qu'a été l'espoir extraordinaire né de l'après-68. Mon livre témoigne d'un vécu qui est fait de désir de changer le monde, d'engagement politique, avec aussi une forme de remémoration de ce qu'ont été le cinéma, la musique, la soif de culture, la littérature. Bref tout ce qui a constitué le bain culturel d'une génération.
- Tu évoques la génération de 1968 en tant que génération spécifique alors que d'autres parlent, notamment Cambadélis, de génération des années 1970, bien distincte de la celle de la guerre d'Algérie, ce qui conduit à gommer 1968 comme moment historique, ou du moins, à le mettre entre parenthèses.
B. Stora - Je pense que Mai 68 reste un moment historique central, fondamental, mais qui a été effectivement dirigé par des acteurs nés de la période de la guerre d'Algérie. Il faut savoir que la France d'avant Mai 68 était un pays provincial, étriqué, avec un mouvement ouvrier dirigé par un appareil stalinien très puissant. Tout cela va voler en éclats avec et après 1968, où se développe la crise des appareils politiques traditionnels où explosent de nouvelles solidarités et où apparaissent de nouvelles formes d'organisation de la jeunesse. Ce mouvement va traverser différents aspects culturels, musicaux, littéraires, etc. Mai 68 est pour moi un moment de rupture, un moment charnière dont, d'ailleurs, l'histoire sur le plan universitaire et scientifique reste encore largement à écrire. Il y a là tout un chantier d'exploration.
- Tu parles de ton entrée en politique en 1968 comme d'un moment d'apprentissage, de socialisation qui va te servir ensuite dans ton parcours universitaire. Cela signifie-t-il que le militantisme révolutionnaire, c'est bon pour les jeunes, et que quand on entre dans la vie active, on se "range" ?
B. Stora - Il ne faut pas nier le phénomène d'usure dans la bataille politique. Mais le militantisme politique révolutionnaire a été une formidable université, un moment d'extraordinaires lectures. J'ai découvert un monde, une façon de raisonner, une forme de compréhension du réel que je ne retrouverai jamais plus. Un moment d'usure dans l'engagement provoque un détachement, c'est certain, mais il y a quelque chose qui restera toujours : le désir de changer le monde, la fraternité, la solidarité militante et humaine, la soif de lectures et de découvertes.
- Ton livre s'arrête à septembre 1986, c'est-à-dire au moment où - après avoir quitté l'OCI avec plusieurs centaines d'autres militants - le courant Convergences socialistes entre collectivement au Parti socialiste. Que penses-tu de ton expérience dans ce parti et pourquoi t'en es-tu éloigné quelque temps plus tard ?
B. Stora - Cette période est d'abord la fin d'une extraordinaire expérience politique marquée par l'après-Mai 68 et le début des années du reflux de l'engagement collectif, de l'individualisme, de la politique spectacle, de l'argent roi. Une forme de découragement s'installe à l'époque au sein d'une grande partie de la génération de l'après-68. Si j'ai bien suivi Convergences socialistes dans le PS, je n'y suis resté qu'un an et demi. Pour deux raisons. La première, c'est que j'ai trouvé le débat politique à l'intérieur du PS pauvre, très réducteur. Je me suis retrouvé dans un parti de gestionnaires dans lequel il fallait avoir fait les grandes écoles, penser à sa carrière et trouver des places à l'intérieur de l'appareil d'Etat. Cet univers ne pouvait pas être le mien. La politique, pour moi, ne pouvait consister en un problème d'installation dans l'appareil d'état. J'étais rentré dans le "groupe des experts" sur la question de l'immigration et je voyais bien que le Parti socialiste était très loin des structures d'animation et d'action de base, de la façon dont les jeunes vivaient dans les banlieues, en particulier comment ceux qui sont issus de l'immigration maghrébine ont fait irruption sur la scène politique à cette époque-là. La maladie de ma fille et son décès en 1992 expliquent également le fait que je me sois retiré de l'action politique.
- Si tu parles de toi comme étant issu de la "dernière génération d'Octobre", comment désignerais-tu la nouvelle génération politique de ce début du XXIe siècle ?
B. Stora - Il faudrait regarder les événements, les nouvelles formes d'irruption politique en termes de chronologie. Beaucoup d'événements se sont succédé depuis la chute du mur de Berlin en 1989, notamment le mouvement altermondialiste, ou celui qui part de la question de l'immigration, de celle des sans-papiers. Mais je ne vois pas de date fondatrice en termes de rupture inaugurale de cette nouvelle période. C'est tout un univers qui est à reconstruire et cette histoire est plutôt devant nous.
Propos recueillis par Robi Morder
- On peut se procurer ce livre à la librairie La Brèche.
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Rouge 2035 16/10/2003[/quote]