Benjamin Stora

Rien n'est hors-sujet ici, sauf si ça parle de politique

Message par Louis » 20 Oct 2003, 14:51

pour faire plaisir a steph (mais est ce que cela lui fera plaisir) l'interview de ben dans le dernier Rouge :


CITATION Historien spécialiste du Maghreb, notamment de l'Algérie contemporaine, et enseignant à Langues O. (Inalco), Benjamin Stora est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages. Sa dernière publication, La Dernière Génération d'Octobre (Stock, 2003, 287 p., 20 e) retrace son itinéraire personnel de militant trotskyste membre de l'Organisation communiste internationaliste (OCI, ancêtre du Parti des travailleurs actuel) dans le contexte politique et culturel ouvert par Mai 68. Itinéraire qui s'achève au milieu des "années fric", en 1986, lorsque la tendance à laquelle il appartenait au sein de l'OCI décide d'entrer au Parti socialiste. Il quittera le PS un an et demi plus tard.

- Ton livre s'intitule "La Dernière Génération d'Octobre". Qu'entends-tu par génération d'Octobre et - surtout - que veux-tu dire en parlant de "dernière" ?
Benjamin Stora - Je me réfère évidemment à la grande séquence de la révolution d'octobre 1917 en Russie. Plusieurs générations ont cru dans des idéaux et dans la rupture initiée par octobre 1917. Je pense que la génération qui est entrée brutalement en politique, entre 1968 et 1975 pour aller vite, était peut-être la dernière qui a cru à l'attente messianique du grand soir pour transformer la société de manière radicale, rapide et instantanée. Aujourd'hui, les jeunes générations n'ont peut-être pas tout à fait la même disposition d'esprit sur cette rapidité, cette radicalité qui ferait abstraction de tout le passé.

- Il y a eu plusieurs livres sur les trotskystes, mais il n'y a que deux témoignages d'acteurs - tous deux issus de l'OCI -, celui de Jean-Christophe Cambadélis et le tien. Ton livre est-il une réponse à Cambadélis ?
B. Stora - Il ne s'agit pas d'une réponse, plutôt d'une restitution mémorielle. J'ai voulu raconter cette histoire à hauteur d'homme, en particulier celle des années 1970. Il existe très peu de livres restituant véritablement ce qu'a été l'espoir extraordinaire né de l'après-68. Mon livre témoigne d'un vécu qui est fait de désir de changer le monde, d'engagement politique, avec aussi une forme de remémoration de ce qu'ont été le cinéma, la musique, la soif de culture, la littérature. Bref tout ce qui a constitué le bain culturel d'une génération.

- Tu évoques la génération de 1968 en tant que génération spécifique alors que d'autres parlent, notamment Cambadélis, de génération des années 1970, bien distincte de la celle de la guerre d'Algérie, ce qui conduit à gommer 1968 comme moment historique, ou du moins, à le mettre entre parenthèses.
B. Stora - Je pense que Mai 68 reste un moment historique central, fondamental, mais qui a été effectivement dirigé par des acteurs nés de la période de la guerre d'Algérie. Il faut savoir que la France d'avant Mai 68 était un pays provincial, étriqué, avec un mouvement ouvrier dirigé par un appareil stalinien très puissant. Tout cela va voler en éclats avec et après 1968, où se développe la crise des appareils politiques traditionnels où explosent de nouvelles solidarités et où apparaissent de nouvelles formes d'organisation de la jeunesse. Ce mouvement va traverser différents aspects culturels, musicaux, littéraires, etc. Mai 68 est pour moi un moment de rupture, un moment charnière dont, d'ailleurs, l'histoire sur le plan universitaire et scientifique reste encore largement à écrire. Il y a là tout un chantier d'exploration.

- Tu parles de ton entrée en politique en 1968 comme d'un moment d'apprentissage, de socialisation qui va te servir ensuite dans ton parcours universitaire. Cela signifie-t-il que le militantisme révolutionnaire, c'est bon pour les jeunes, et que quand on entre dans la vie active, on se "range" ?
B. Stora - Il ne faut pas nier le phénomène d'usure dans la bataille politique. Mais le militantisme politique révolutionnaire a été une formidable université, un moment d'extraordinaires lectures. J'ai découvert un monde, une façon de raisonner, une forme de compréhension du réel que je ne retrouverai jamais plus. Un moment d'usure dans l'engagement provoque un détachement, c'est certain, mais il y a quelque chose qui restera toujours : le désir de changer le monde, la fraternité, la solidarité militante et humaine, la soif de lectures et de découvertes.

- Ton livre s'arrête à septembre 1986, c'est-à-dire au moment où - après avoir quitté l'OCI avec plusieurs centaines d'autres militants - le courant Convergences socialistes entre collectivement au Parti socialiste. Que penses-tu de ton expérience dans ce parti et pourquoi t'en es-tu éloigné quelque temps plus tard ?
B. Stora - Cette période est d'abord la fin d'une extraordinaire expérience politique marquée par l'après-Mai 68 et le début des années du reflux de l'engagement collectif, de l'individualisme, de la politique spectacle, de l'argent roi. Une forme de découragement s'installe à l'époque au sein d'une grande partie de la génération de l'après-68. Si j'ai bien suivi Convergences socialistes dans le PS, je n'y suis resté qu'un an et demi. Pour deux raisons. La première, c'est que j'ai trouvé le débat politique à l'intérieur du PS pauvre, très réducteur. Je me suis retrouvé dans un parti de gestionnaires dans lequel il fallait avoir fait les grandes écoles, penser à sa carrière et trouver des places à l'intérieur de l'appareil d'Etat. Cet univers ne pouvait pas être le mien. La politique, pour moi, ne pouvait consister en un problème d'installation dans l'appareil d'état. J'étais rentré dans le "groupe des experts" sur la question de l'immigration et je voyais bien que le Parti socialiste était très loin des structures d'animation et d'action de base, de la façon dont les jeunes vivaient dans les banlieues, en particulier comment ceux qui sont issus de l'immigration maghrébine ont fait irruption sur la scène politique à cette époque-là. La maladie de ma fille et son décès en 1992 expliquent également le fait que je me sois retiré de l'action politique.

- Si tu parles de toi comme étant issu de la "dernière génération d'Octobre", comment désignerais-tu la nouvelle génération politique de ce début du XXIe siècle ?
B. Stora - Il faudrait regarder les événements, les nouvelles formes d'irruption politique en termes de chronologie. Beaucoup d'événements se sont succédé depuis la chute du mur de Berlin en 1989, notamment le mouvement altermondialiste, ou celui qui part de la question de l'immigration, de celle des sans-papiers. Mais je ne vois pas de date fondatrice en termes de rupture inaugurale de cette nouvelle période. C'est tout un univers qui est à reconstruire et cette histoire est plutôt devant nous.

Propos recueillis par Robi Morder

- On peut se procurer ce livre à la librairie La Brèche.
Le port: nous prenons totalement en charge le port des ouvrages qui nous sont commandés quelle qu'en soit la destination. Le port s'entend au tarif la poste "économique" pour la France et au tarif "économique-livre" pour l'étranger.

Rouge 2035 16/10/2003[/quote]
Louis
 
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Message par stef » 20 Oct 2003, 15:04

Quand un journal publie des interviews d'une si haute teneur intellectuelle, on peut comprendre le reste....
stef
 
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Message par Louis » 20 Oct 2003, 15:05

:D :D :D
Louis
 
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Message par cockney red » 20 Oct 2003, 16:12

CITATION Quand un journal publie des interviews d'une si haute teneur intellectuelle, on peut comprendre le reste.... [/quote]

??

Est-ce que la "haute teneur intellectuelle" consisterait seulement à être un exégète scrupuleux des textes sacrés ?

Ce que dit Stora me semble de bon sens. De plus il ne parle pas de théorie mais évoque, dans cet article, un itinéraire personnel.

Et c'est la première fois que j'entends un ex-de l'OCI ne pas profiter de son temps de parole pour casser une autre orga, un autre courant, ou ATTAC, ou tout ce qui n'est pas le bidule dans lequel il est engagé au moment où il parle.
cockney red
 
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Message par Louis » 20 Oct 2003, 16:20

CITATION (wolf @ lundi 20 octobre 2003, 16:27)Je suis en train de lire le bouquin du camarade Stora.
Franchement, il est plus intéressant et bien moins antipathique que ceux de cambadélis et campinchi.
Pour la raison que donne stora lui-même d'ailleurs
CITATION Je me suis retrouvé dans un parti de gestionnaires dans lequel il fallait avoir fait les grandes écoles, penser à sa carrière et trouver des places à l'intérieur de l'appareil d'Etat. Cet univers ne pouvait pas être le mien. La politique, pour moi, ne pouvait consister en un problème d'installation dans l'appareil d'état. [/quote]

Campinchi et Cambadélis se sont fondus là dedans avec délices.[/quote]

sans doute ! Et il y en a encore qui n'ont pas abdiqués, meme si ils ne militent plus pour la "révolution" Ceux qui ont abandonné la révolution (c'est long, d'attendre la révolution quand elle ne vient pas ) mais qui n'ont pas abandonné le combat pour plus de justice, plus de vérité, ceux qui se battent encore pour un monde meilleur (meme si ils ne lui donnent pas le nom de communisme) sont l'immense majorité (et ce n'est tres peu une question "d'orga", de ce point de vue, c'est a peu pret pareil entre lcr et lo, l'oci les anars etc etc etc)

sinon, wolf, est ce que ça donne une vraie idée sans réglements de compte de ce qu'étaient les lamberto dans les années 60/70 ?


* sauf que pour lo, c'est tres mal vu d'en avoir fait partie, alors qu'on peut dire sans honte qu'on a fait partie de la lcr, dans certains millieux c'est meme un plus...
Louis
 
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Message par stef » 20 Oct 2003, 16:49

Ca donne une idée très, très déformée parce que Stora a tout simplement oublié de faire de la politique (même si il n'est pas vendu au Capital comme Cambadélis).

Ainsi, il y a des idioties tt court : p. ex. l'activité de l'OCI autour de la prise du contrôle du PS/Miterrand - qu'il n'a pas compris. Idem pour les rapports avec la SLL de Healy et les délires des camps de jeunes communs AJS/YS.

Sur l'UNEF, personne ne peut saisir comment nous avions fait pour permettre une certaine reconstruction - notamment par le combat frontal et permanent contre les conseils d'Université qui étaient le coeur de notre activité d'alors, la politique que nous avons suivi lors de la grève de 1976 (Saunier-Seïté) qui sera le tournant pour nous à l'Université. Le combat contre les conseils était le coeur de l'activité syndicale étudiante entre 1972 et 1981.

D'une façon générale, avec nos forces et faiblesses, je ne crois pas qu'un lecteur de ce truc puisse comprendre même vaguement comment et pourquoi à la fin des années 70, nous avions pris cette place, que ça se basait sur une défense intransigeante de notre programme - tu vois ce que je veux dire.... Et l'amateur de scoops restera sur sa fin (tant mieux !).

Il y a quand même un truc sympa que je ne savais pas et qui grandit Stora à mes yeux : son vote contre la consigne de vote Miterrand au 1° tour en 1981 (donc le signe plus donné au PS contre le PC).

Mais quiconque veut comprendre ce qui a permis à l'OCI de se développer autant jusqu'au début 80 devra utiliser d'autres sources. En attendant le livre qu'il faudra bien que quelqu'un écrive, les textes de S. Just sont un bon poitn de départ... Meilleur que celui-là en tt cas, car Just avait une orientation. Stora est juste paumé, comme le montre son interview (qui confirme qu'il est bien devenu l'ombre de ce qu'il a été dans les années 70 - un grand militant).
stef
 
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Message par emma-louise » 21 Oct 2003, 12:25

:bounce: Il y a un fait incontournable , c'est que Ben est un des meilleurs historiens-militants sur l'Algérie et la réflexion sur l'utilisation de celle_ci par la droite en général et le fhaine en particulier : " Le transfert d'une mémoire_de l' "Algérie française" au racisme anti-arabe" _ED La Découverte_Oct99" ... et aussi "collection repères" : "Histoire de l'Algérie coloniale(183O_1954)" et"Histoire de la guerre d'Algérie(1954_1962)...
emma-louise
 
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Message par cockney red » 21 Oct 2003, 12:54

CITATION Ainsi, il y a des idioties tt court : p. ex. l'activité de l'OCI autour de la prise du contrôle du PS/Miterrand - qu'il n'a pas compris[/quote]

Est-ce que tu pourrais être plus clair sur cette question.

Y avait-il vraiment une stratégie de contrôle du PS par l'entrisme à l'OCI ?
Le courant Just était-il d'accord avec cette stratégie ?

Sans présumer de ta réponse, le slogan "seule la vérité est révolutionnaire" est-il compatible avec ces pratiques qui tiennent, de fait, la majorité des travailleurs dans l'ignorance de ce qui se passe vraiment dans les orgas dans lesquelles ils militent ?

Enfin, et sans trahir des secrets d'alcoves, les différents "courants" (anars, soc, com) au PT sont-ils l'émanation réelle de sensibilités politiques particulières ou de faux-courants destinés à "attirer" les militants dissidents des autres organisations ?
cockney red
 
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Message par stef » 21 Oct 2003, 14:08

J'ai déjà donné le bouquin de Stora à un pote - c'est dire l'importance que je lui accorde (et encore une fois, ce n'est pas cracher sur Benjamin qui a un passé tout à fait honorable, au moins en partie)... Sa seule réelle utilité est de m'avoir fait passer un bon moment en me souvenant de ma folle jeunesse. Pour le reste...

Donc je vais forcément être imprécis. Qq'un pourra citer ce texte pour me corriger si nécessaire.

En tout cas, l'OCI était contre la prise de contrôle de Miterrand sur le PS car vu son origine politique (bourgeoise), cela ne pouvait que représenter un affaiblissement de la substance de classe du PS. C'est de cela et de rien d'autre qu'il s'agissait en 1972. C'est le sens que lui donne p. ex. Just en disant que nous étions "politiquement intéressés" à l'échec du congrès d'Epinay.

Quant à l'OCI elle n'a jamais cherché à contrôler le PS ou la LCR. La force du PS, du réformisme, ne se combat pas par des agents, mais par l'activité politique sur la ligne du marxisme. Ceci étant, des "agents" peuvent être utiles marginalement par exemple pour précipiter une évolution, l'accélérer. Ni plus, ni moins.

Ainsi, la présence de membres du PS dans l'UNEF ne pouvait pas faire de mal. Mais ça n'aurait jamais permis d'avancer vers sa reconstruction en soi (surtout vue l'influence du PS dans la jeunesse). D'ailleurs les principaux dirigeants PS dans l'UNEF n'étaient pas PCI (Le Guen...). Je crois qu'on se monte le bourrichon avec ça.

Concernant les fameux courants du PT, je vais dire ce qui est public. A. Hébert - leader du courant "anar" durant des années - siégeait au BP de l'OCI à partir de 1976. P. Robel, leader du courant "communiste", était selon Stora à l'AJS... Et c'est justement pour ça que ces courants sont du Barnum. Des "agents" aident un processus - ils ne le créent pas.

Ceci étant, il serait fort intéressant de prendre le problème à l'inverse. Je considère que la direction étudiante de l'OCI a été l'objet d'une pression très forte des appareils - notamment PS, FO. D'où le fait que sa direction ait été la droite du PCI en 1981-86 (ce n'est pas pour rien que Cambadélis était au premier rang de notre exclusion).

Bref, l'OCI a pu utiliser ces positions (avec ttes les limites indiquées) tant que nous étions politiquement en état de le faire. Ensuite, ces positions ont au contraire précipité les choses en sens inverse.

Enfin concernant les considérations morales. La construction d'un POR est une activité qui nécessite de déblayer les obstacles : pour cela ne sont à rejeter que ce qui affaiblit l'organisation. Ainsi, les relations avec tel ou tel appareil ne peuvent être proscrites a priori - elles font partie de la vie d'une organisation. Par contre, se prémunir contre les pressions qu'induisent ces relations est vital (et n'a plus été le cas à la fin des années 70 pour l'OCI-PCI).

Mais il n'y aucun critère moral. Il y a la nécessité de construire un parti marxiste par tous les moyens. Et si ce type d'outils y contribuent, je ne vois aucune raison de les écarter a priori. Mais encore une fois, ce qui a fait la puissance de l'OCI à la fin des années 70, c'est sont intervention politique au coeur de la classe. Ca et pas autre chose.
stef
 
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