par Ratus » 08 Jan 2005, 00:47
@gaby: aurais tu une mémoire sélective? J'ai passé quatre ans de ma vie étudiante au sein des STAPS, véritable bastion de parvenus et de crétins!
Science et technique des activités physique et sportive ça te dit quelquechose?
Au fait je n'y suis plus! va comprendre!
C'est intressant méthodologiquement comme position, qu'il faut nécessairement avoir pratiquer pour comprendre. Alors le sportif de haut niveau est le plus apte à parler du sport et à en comprendre les mécanismes idéologiques, politiques? Et pour comprendre l'aliénation il faut être aliéné?
Un autre petit bout de texte paru dans le Monde diplo pour répondre à la supposée perversion du sport:
"« L’idéologie, écrit Engels, est un processus que le soi-disant penseur accomplit sans doute avec conscience, mais avec une conscience fausse. Les forces motrices véritables qui le mettent en mouvement lui restent inconnues, sinon ce ne serait point un processus idéologique. Aussi s’imagine-t-il des forces motrices fausses ou apparentes (3). » C’est ainsi que l’idéologie sportive met en scène l’action imaginaire d’hypostases imaginaires (l’idée olympique, la paix olympique, le fair-play, l’esprit sportif, etc.) en méconnaissant, travestissant ou refoulant les forces motrices réelles du sport : l’accumulation du capital sportif, la course effrénée au rendement, les effets délétères de la compétition.
La première forme de fausse conscience qui singularise ce Disneyland en tant qu’appareil idéologique est la dénégation de tout caractère idéologique, la scotomisation politique de tout caractère politique du sport.
De manière naïve chez les pratiquants et dirigeants sportifs immergés dans cet océan onirique à la fois narcissique et mégalomaniaque, de manière plus perverse chez certains intellectuels, le sport est présenté comme un culte de la performance, une contre-société de l’effort compétitif, un univers enchanté et enchanteur de pratiques du dépassement de soi, qui n’auraient rien à voir avec les oppositions idéologiques, les orientations politiques, les convictions religieuses. Le sport serait fondamentalement neutre, apolitique, en dehors de la lutte des classes, ni à gauche ni à droite, ni même au centre, au-dessus des querelles partisanes et des conflits sociaux.
L’idéologie de la « neutralité axiologique » nie farouchement le rôle du sport en tant qu’entreprise d’abrutissement, d’endoctrinement et de chloroformisation des masses – aussi bien dans les métropoles impérialistes que dans le tiers-monde. Elle s’exprime sous deux formes essentielles, qu’on n’aura aucune peine à reconnaître lors des prochains jeux du stade, à Athènes.
La première, véhiculée avec insistance par toutes les tendances de gauche, consiste à soutenir que le sport peut revêtir toutes les couleurs, du rouge vif au rose pâle. Organisé de manière « progressiste », le sport pourrait ainsi contribuer à l’émancipation des femmes, combattre le racisme et la xénophobie, contribuer à l’intégration républicaine, relancer l’ascenseur social et pour finir promouvoir la « culture ». Il y aurait ainsi un vrai sport, un sport éducatif, un sport purifié, un sport à visage humain, en somme une Essence ou Idée platonicienne du sport qui contredirait les regrettables excès, abus, dénaturations, déviations du sport réellement existant. La réalité assez sordide de l’affairisme, du dopage, des résultats arrangés et de la corruption se charge évidemment de rappeler périodiquement à l’ordre ces marchands d’illusion.
La seconde expression de l’idéologie de la neutralité idéologique, plus massive encore, se reconstitue périodiquement dans les acclamations unanimistes du « consensus sportif ». La grégarisation, la massification, la mobilisation totale sinon totalitaire des foules que les fabuleux exploits des dieux du stade font « chavirer de bonheur » – récemment encore la victoire de la Tunisie en Coupe d’Afrique de football – sont supposées prouver l’universalisme de l’« idéal sportif » ou de l’« idée olympique ». Il est alors assez consternant de voir des intellectuels, d’habitude plus critiques, rejoindre la meute des mordus du muscle, incapables de percer à jour les fonctions politiques réactionnaires de cette sportivisation des esprits, de ce matraquage émotionnel factice autour de « nos » champions.
Dans les extases nationales – certains ont même parlé d’orgasme – qui saturent l’espace public en cas de victoire, les amis du sport se sont donc plu à reconnaître la manifestation d’une union sacrée régénératrice. Les champions seraient alors l’avant-garde d’une société réconciliée avec elle-même. La victoire de l’équipe de France « black-blanc-beur » lors de la Coupe du monde de football en 1998 fut ainsi l’occasion d’une vague déferlante de crétinisation populiste.
Didier Deschamps, le capitaine des Bleus, affirmait sans rire que « le football est un vecteur qui permet de gommer les différences raciales, sociales ou politiques (4) ». L’entraîneur Aimé Jacquet était encore plus lyrique : « La France s’est reconnue à travers cette équipe multiethnique. Que ces jeunes gens, nés en France, pleins de joie de vivre et d’ambition, aient rendu tant de monde heureux, c’est très positif pour le pays. Je pense que cela peut donner un bon élan pour l’unité nationale (5). » L’éditorialiste de L’Humanité filait la métaphore de la « légende du siècle » : « Les idoles bleues sont entrées dans l’éclatante éternité du football (6). » Il n’est donc pas étonnant que Zinédine Zidane ait été élu « Français préféré des Français » et que les plus shootés par l’opium sportif aient même songé à « Zidane président » !
Cette démagogie unanimiste n’a pas résisté très longtemps cependant au principe de réalité : ni le « football des cités », ni le « street-ball », ni le « sport populaire », ni le « sport pour tous » – ces miroirs aux alouettes de la pensée désirante – n’ont empêché que s’aggravent la « fracture sociale » et la délitescence continue du lien collectif dans les « quartiers difficiles ». Loin de concourir à la concorde civile, les rencontres sportives sont de plus en plus émaillées d’incidents graves et de violences haineuses, qui ne sont pas de simples « bavures » ou des « faits divers », mais la conséquence de la victoire à tout prix qui prévaut à tous les échelons de l’institution. La jungle sportive ne faisant d’ailleurs que réfracter ici son alter ego : la jungle de la mondialisation libérale.
Le deuxième processus idéologique est l’expression de la dissociation quasi schizophrénique existant entre les discours officiels – que confortent à leur manière les producteurs de la bonne conscience sportive (7) – et les tristes évidences du « milieu » : augmentation et aggravation des violences dans et hors les stades, scandales à répétition de la corruption mafieuse ou semi-mafieuse, monétarisation généralisée des « valeurs » sportives, fraudes et tricheries en tous genres, et surtout dopage massif à tous les étages.
Selon la bonne vieille logique du clivage schizoïde, on assiste alors à une double dissociation : l’institution sportive est d’abord supposée être indépendante de la société capitaliste globale et pouvoir développer une logique autonome. Dans une société gangrenée par la chasse aux profits, le sport serait ainsi capable de rester un îlot « pur » protégé par ses « valeurs ». L’institution sportive est ensuite supposée être partagée selon la logique binaire du « bon sport » opposé à ses « mauvais usages », ses « déviations » et ses « défigurations ». Le dopage ne serait à cet égard qu’un épiphénomène malheureux qui « dévoie » certes l’éthique du sport mais qui ne serait qu’une pratique limitée à quelques rares tricheurs dans quelques sports particuliers."