Une interview de Bebel fort intéressante

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par yannalan » 06 Sep 2006, 15:50

(com_71 @ mardi 5 septembre 2006 à 22:01 a écrit : A défaut de mich et mir, tu et vous (Trotsky, 1922)
a écrit :Dans les Izvestzya du dimanche il y avait un article à propos de deux soldats rouges, Tchchekochikhine et Tchernyshev, qui s'était comporté en héros à l'occasion de l'explosion et d'un incendie à Kolomna. L'article nous dit comment le commandant de la garnison locale est allé à la rencontre de l'homme de l'Armée Rouge de Tchchekochikhine et lui dit :

«Savez- vous (ti) qui je suis ? »

«Oui, vous (voui) êtes le chef de la garnison.»

Je doute que dans le cas présent le dialogue ait été correctement transcrit. Sinon, on devrait conclure que le chef de la garnison n'utilise pas le bon ton en parlant aux hommes de l'Armée Rouge. Les soldats de l'Armée Rouge peuvent bien sûr utiliser l'article familier en parlant ensemble entre camarades mais précisément entre camarades et seulement entre camarades. Dans l'Armée Rouge un officier ne peut pas utiliser l'article familier quand il s'adresse à un subordonné, si ce dernier s'attend à ce qu'on lui réponde poliment. Une expression de l'inégalité entre les personnes aura un tout autre résultat, pas une expression de la subordination dans la ligne du devoir.

Bien sûr «tu» et «vous» ne sont seulement qu'une question de convention. Mais des relations humaines précises sont exprimées par cette convention. Dans certains cas l'article familier est utilisé pour exprimer des relations de proche camaraderie. Mais quand ? Quand la liaison est réciproque. Dans les autres cas l'article familier transmettra le dédain, l'irrespect, le regard de haut en bas, une nuance de hauteur seigneuriale quand à son attitude vis-à-vis des autres. Un tel ton est absolument intolérable dans l'Armée Rouge.

D'aucuns ceci peut sembler une chose insignifiante. Tout au contraire ! Un homme de l'Armée Rouge doit tout à la fois se respecter et respecter les autres. Le respect de la dignité humaine est un facteur extrêmement important du maintient de la cohésion morale de l'Armée Rouge. Le soldat rouge de l'armée se soumet à ses supérieurs dans la ligne du devoir. Les exigences de la discipline sont inflexibles. Mais, en même temps le soldat sent et sait qu'il est un citoyen conscient appelé à exécuter des ordres de la plus haute importance. La subordination militaire doit être accompagnée par l'égalité civique et morale, laquelle ne permet pas le viol de la dignité humaine.


Ca le ferait aussi dans le fil "morale"
Ca me paraît assez daté. On arrive très bien à se tutoyer du moment que c'est réciproque. Je pense que ça devait êre lié à l'incorporation d'anciens officiers tsaristes dans l'Armée Rouge pour ne pas trop les dépayser. A en croire Babel, les cosaques rouges avaient l'air moins formalistes...
Dans une société inégalitaire, la réflexion de Trotski est pertinente. J'ai vu en Afrique de l'Ouest ou du Nord des coopérants ou des blancs locaux tutoyer leurs domestiques et exiger d'être vouvoyés. Effectivement, il y a là mépris.
yannalan
 
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Message par yannalan » 06 Sep 2006, 15:51

(Combat @ mercredi 6 septembre 2006 à 04:37 a écrit : Sans faire de la prediction fiction, pensez vous que Bebel aurait aussi degenere s'il avait vecu jusqu'en 1914? Si ma memoire ne me joue pas de tour, Trotsky emet implicitement des doutes sur sa capacite potentielle a resister dans l'un de ces textes(dans "Ma Vie" peut etre).
Il le dit lui-même dans l'interview cité : si la guerre éclate et qu'il doit tirer sur Guesde, il le fera...
A comparer avec Liebknecht "l'ennemi est dans notre pays"
yannalan
 
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Message par Barikad » 06 Sep 2006, 16:19

(yannalan @ mercredi 6 septembre 2006 à 16:51 a écrit :
(Combat @ mercredi 6 septembre 2006 à 04:37 a écrit : Sans faire de la prediction fiction, pensez vous que Bebel aurait aussi degenere s'il avait vecu jusqu'en 1914? Si ma memoire ne me joue pas de tour, Trotsky emet implicitement des doutes sur sa capacite potentielle a resister dans l'un de ces textes(dans "Ma Vie" peut etre).

Il le dit lui-même dans l'interview cité : si la guerre éclate et qu'il doit tirer sur Guesde, il le fera...
A comparer avec Liebknecht "l'ennemi est dans notre pays"
Yannalan, c'est un raccourcis rapide il me semble. Voilà le devellopement entier:
("Interviex de Bebel" a écrit :- Croyez-vous à cette guerre ?

- Non ! la peur des faits que je viens de vous signaler, la peur de la démocratie surtout... est une garantie de paix.

- Les socialistes allemands iraient-ils se battre contre les socialistes français ?

- Certainement, dit M. Bebel.

- Que deviennent alors vos théories d'internationalisme ?

- Nous ne sommes pas des patriotes, répondit M. Bebel, pas du tout patriotes. Et si un jour, nous allions nous battre contre les Français ou contre les Russes, c'est que nous y serions forcés. Si nous refusons d'obéir, on nous fusille à l'instant ! Si nous pouvions ne pas aller nous battre, nous aurions en même temps le pouvoir de changer le reste de la société...ce qui n'est pas encore le cas, hélas !

- Mais comment admettez-vous pourtant, insistai-je, que des masses populaires prêtes aujourd'hui, en France comme en Allemagne d'ailleurs, à s'entre-déchirer par antagonisme de race, brutalité atavique, soient aptes demain à composer la société idéale et fraternelle que vous rêvez ?

- Je nie absolument que les peuples soient aussi sauvages naturellement que vous le prétendez, aussi disposés à s'entre-dévorer. Non, cela n'est pas naturel ! L'excitation des peuples les uns contre les autres n'est que le produit de l'état social, de l'éducation mauvaise qui leur est donnée par ceux qui ont intérêt à les maintenir dans ces préjugés. Une culture plus intelligente ferait rapidement disparaître ces antipathies de race qui ne sont qu'apparentes. La preuve c'est que les esprits un peu cultivés n'ont pas ces antipathies : pourquoi vous détesterai-je parce que vous êtes Français ? Me détestez-vous parce que je suis Allemand ?

- Enfin, dis-je en souriant à M. Bebel, supposons la guerre... vous vous trouvez à la frontière en face de M. Guesde ? Tirerez-vous sur lui ?

- J'espère, répondit-il, que cela n'arrivera pas; nous sommes, je crois, trop vieux l'un et l'autre.

- Pourtant... si cela arrivait ?...

- Eh bien ! oui ! je tirerais... Ce serait un malheur, mais encore une fois, j'y serais forcé...

Je me promis de dire cela à M. Guesde.
Barikad
 
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Message par yannalan » 06 Sep 2006, 16:25

Oui, il n'aimerait pas ça, mais il le ferait. C'est bien là qu'il y a eu rupture entre la IIème et la III ème Internationale, quand même. On peut dire à la décharge de Bebel que lui au moins l'avouait, pas comme certains socialistes français qui ont rejeté l'antimilitarisme en deux jours en 14.
yannalan
 
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Message par artza » 07 Sep 2006, 00:20

Ce que dit Bebel dans cet interview n'est pas si idiot ni si choquant.

Que dit-il, d'abord que si la guerre éclate c'est que les travailleurs n'ont pas pu l'empêcher. Ils n'en sont pas responsables et ne l'ont pas souhaité et encore moins préparé. Ils pouvaient refuser ça veut qu'ils pourraient renverser le gouvernement.

Ensuite mobilisés que doivent-ils faire?
Déserter?
Refuser de tirer?

Ni Lénine, ni Trotsky, ni Liebknecht qui fut mobilisé, n'ont préconisé de telles attitudes.
Liebknecht a refusé de voter les crédits de guerre; Il a crié sur une place de Berlin "A bas la guerre, à bas le gouvernement, vive le socialisme international" .
Comme quoi il savait combien ces trois étaient liées. Pour arrêter la guerre, il faut renverser le gouvernement et c'est le début de la révolution...comme l'Histoire l'a montré.

Aucun d'eux n'a jamais reproché à un soldat, ouvrier ou paysan sous l'uniforme "d'avoir tiré".

Mieux lorsque le syndicaliste Pierre Monatte internationaliste pendant la première guerre mondiale fut mobilisé il laissa entendre son désarroi et que peut-être il ne tirerait pas.

Trotsky lui écrivit une belle lettre ou il lui demande de ne pas faire d'acte individuel inconsidéré de garder ses convictions mais aussi d'être un soldat et de revenir vivant.

D'autre part cet interview date de la fin du 19ème siècle. Les socialistes ne se sont pas encore penchés sur la question de l'Impérialisme et de la politique qui en découle.

Bebel a sans doute en tête les guerres du passé comme la guerre franco-allemande de 1870 ou austro-allemande juste avant, qui étaient différentes, voir Marx là-dessus.

Je ne sais pas ce que Bebel aurait fait mais nous savons ce qu'il a fait et en 1870-71 c'était pas mal. Il a payé pour ça en prison.
artza
 
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Message par yannalan » 07 Sep 2006, 07:17

De toutes façons, il n'a pas eu à choisir lui-même. Mais je n'ai employé aucun mot comme "idiot", "choquant" ou pire. Je ne fais que lire ce qu'il dit, c'est à dire qu'il n'y peut rien de toute façon. A l'époque il était question de grève en cas de guerre; au moins d'essayer...
Une fois que c'est parti, là je suis d'accord avec Trotsky, à partir du moment où la classe ouvrière est sous les armes, on est plus utile à ses côtés qu'au bagne ou au poteau.
Mais de toute façon, je ne suis pas juge des anciens.
yannalan
 
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