Salut Bradley.
Justement, je ne vois pas trop ce qui permet de considérer l'Etat chinois de Mao comme un état ouvrier...
Au-delà des ressemblances de façade du régime avec le régime stalinien en URSS, il existe une énorme différence : à aucun moment la classe ouvrière n'a pris le pouvoir, et dans les quelques centres ouvriers que tu cites, qui étaient d'importance secondaire à l'époque (rien à voir avec le Shenzhen d'aujourd'hui...), le PC chinois a tout fait pour l'empêcher. Surtout, ce qui saute aux yeux, c'est l'absence des énormes centres ouvriers comme Shanghai, Canton, Pékin... Une révolution dont la classe ouvrière est quasi absente, alors que toutes les autres classes de la société sont dans la lutte : petite bourgeoisie paysanne et intellectuelle d'un côté, grande bourgeoisie (squelettique) soutenue par l'impérialisme de l'autre.
En quoi un tel état serait un état ouvrier déformé ? Parce qu'il a chassé une bonne partie de la bourgeoisie chinoise ? Voire !
La bourgeoisie chinoise d'avant Mao était entièrement "compradore", elle vivait comme une excroissance de la grande bourgeoisie américaine, britannique, française, allemande, japonaise... Elle avait ses racines dans le commerce et participait à la gestion des nouvelles usines textiles ou autres construites avec des capitaux étrangers ou dépendant d'eux. L'Etat bourgeois chinois, pas totalement sorti du féodalisme, était un état dominé, sans possibilité de développement autrement que dans l'ombre des grandes puissances impérialistes et dans les limites que ces dernières lui fixaient.
De son côté, le PC chinois de l'époque de la révolution maoïste n'était plus du tout, socialement, le parti ouvrier des années 1920, mais un parti d'intellectuels encadrant des paysans. En expropriant la bourgeoisie urbaine incapable d'indépendance vis-à-vis des tuteurs impérialistes, et en mettant en place une importante économie sous le contrôle de l'Etat, le PC chinois a créé un cadre propice au développement ultérieur d'une vraie bourgeoisie chinoise, avec une base économique incomparablement plus large. L'Etat chinois sous Mao a servi de pépinière à la bourgeoisie. Ensuite la Chine a pu sans difficulté réintégrer dans son territoire Hong-Kong et permettre aux anciens bourgeois ayant fui la Chine, présents à travers toute la diaspora, de revenir faire des affaires comme ils n'auraient jamais pu en rêver et de prendre le contrôle d'entreprises privatisées.
Donc, pourquoi parler d'Etat ouvrier déformé ? C'est dès le départ un Etat de la petite bourgeoisie opprimée par l'impérialisme, qui crée une économie d'Etat d'une part pour tenir à distance les capitaux des grandes puissances, d'autre part pour pallier son propre manque de capitaux, en surexploitant ouvriers et paysans en guise d'accumulation primitive, en attendant que les conditions soient réunies pour se transformer en bourgeoisie digne de ce nom avec des racines dans la propriété de l'industrie et du commerce.
La Chine reste malgré tout un pays à moitié dominé, son essor récent n'a été possible que sur la base de sa réintégration dans le marché mondial et de son ouverture aux capitaux des autres pays. Elle est redevenue très liée aux Etats-Unis, au Japon, à l'Allemagne etc., mais la différence avec le début du siècle est que, grâce aux fruits de la révolution maoïste, sa bourgeoisie nationale s'est fait une plus grande place au soleil. Pour ne pas se faire à nouveau éliminer par l'impérialisme, la bourgeoisie chinoise compte sur son Etat fort : ce dernier a les moyens de poser des limites pour garantir encore quelques prés carrés, quelques abris, à sa propre bourgeoisie.
Et, avec l'appui de cet Etat, la bourgeoisie chinoise a elle-même commencé à conquérir des marchés hors de ses territoires. Je ne parle pas des exportations chinoises (dont beaucoup sont le fait de filiales de groupes de pays impérialistes), mais bel et bien de la prise de contrôle d'entreprises dans d'autres régions du monde. Soit du fait d'entreprises privées chinoises, soit du fait de l'Etat chinois lui-même. On entend souvent parler de l'Afrique et de ses ressources pétrolières ou minières ou autres, mais c'est valable y compris pour certains secteurs d'activité dans les pays riches. Par exemple, à côté de chez moi, à Lyon, d'importantes usines chimiques qui faisaient autrefois partie de Rhône-Poulenc appartiennent à des filiales du groupe d'Etat ChemChina (BlueStar Silicones, Adisseo).
https://fr.wikipedia.org/wiki/ChemChina(S'il le faut dans la discussion on pourra revenir sur les différences et les ressemblances avec la Russie).