Contre Pierre Rabhi (et qu'Althusser repose en paix.)12 juillet 2014 | Par Yann Kindo Quoi, être « contre » une si sage et si gentille personne, mais comment peut-on ? Comment oser ne pas être un admirateur de Pierre Rabhi? Et pourquoi ne pas être persan, tant qu'on y est ?
Et pourtant, oui, parfois, il faut prendre un moment pour dégommer les idoles à la mode dans les milieux de gauche. Parce que ça fait du bien, certes, mais aussi si ça se trouve pour le bien de « gauche » aussi, à la limite.
Il y a quelques décennies, dans la gauche française, ou au moins sa fraction étudiante mondaine, une des idoles qu'il était nécessaire de déboulonner était Louis Althusser. Ce philosophe, membre du PCF et maître à penser des futurs premiers maoïstes français, s'était notamment fait connaître par son ouvrage Pour Marx, paru en 1965. Il n'y a avec le recul que deux raisons qui me viennent à l'esprit pour expliquer la fascination que cette imbittable relecture « structuraliste » de Marx a pu exercer à l'époque :
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la large méconnaissance du marxisme et des écrits de Marx en France dans les années 1960. Méconnaissance qui était d'ailleurs aussi le fait d'Alhusser et de ses disciples de Normale Sup, qui ont quand même réussi à publier un livre pour expliquer aux gens comment Lire le capital alors que eux venaient à peine de découvrir le seul tome I au cours de l'été précédent. Althusser confirme cela dans ses Mémoires, où l'on constate qu'il n'allait vraiment pas bien dans sa tête malgré des années de cure psychanalytique - ou à cause de celles-ci, peut-être -, mais aussi qu'il avait un peu conscience quand même d'être un imposteur.
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Deuxième explication possible : la fascination assez typique des intellectuels de gauche français pour des textes abscons et aussi vides sur le fond que prétentieux sur la forme [ce qu'est Pour Marx , j'ai essayé, c'est vraiment illisible] . Althusser n'est qu'un exemple parmi d'autres, on pourrait aussi évoquer Lacan et Derrida pour les pires d'entre eux.
En réaction à la mode althussérienne, de plutôt jeunes intellectuels liés à la LCR avaient en 1974 publié un cinglant recueil intitulé Contre Althusser, Pour Marx - réédité par les éditions de la Passion en 1999- , qui s'efforçait de faire feu sur l'idole. Œuvre bien utile, même si c'était partiellement sur le même terrain de la marxologie universitaire un peu pompeuse.
Mais aujourd'hui, si l'on regarde en arrière, on est obligé de constater que les maîtres à penser de la gauche étaient dans les années 60 et 70 quand même d'une autre trempe que ce Pierre Rabhi dont on va parler maintenant. Althusser s'efforçait malgré tout d'inscrire son action dans le cadre d'un grand parti lié à la classe ouvrière, et entendait s'inspirer de Marx et de Lénine plutôt que des réacs comme Proudhon (au mieux) voire Malthus (au pire), qui inspirent largement la gauche « radicale » d'aujourd'hui. Bref, Althusser, ça avait une autre gueule que Rabhi, dans le rôle du maître à penser inconsistant. On en est là...
Il a été déjà question de Pierre Rabhi plusieurs fois sur ce blog. Pour l'essentiel, à l'occasion d'une visite à sa ferme expérimentale pas loin de chez nous en Ardèche, au cours de laquelle on avait pu constater avec quelques copains de l'AFIS à quel point les méthodes agronomiques du bonhomme sont une sorte d'arnaque qui repose sur l'exploitation de main d'œuvre gratuite et de dons divers et variés, pour aboutir au final à un résultat absolument minable en termes de production, dont auraient honte même les plus incompétents des jardiniers amateurs (dans mon style)
http://blogs.mediapart.fr/blog/yann-kin ... quil-croithttp://afis-ardeche.blogspot.fr/2012/09 ... s.html#mor Je ne vais pas en rajouter ici sur la question proprement agronomique, que l'on peut considérer comme réglée : si on généralisait les illusions et l'incompétence qui règnent à la ferme du Mas de Beaulieu, il y aurait encore plus de sous-nutrition sur la planète que le capitalisme ne réussit déjà à en provoquer.
Insistons donc plutôt sur d'autres raisons pour lesquelles il vaut la peine de se positionner « contre Rabhi », quitte à peiner les croyants qui l'idolâtrent aveuglément.
D'abord, il faut combattre Rabhi comme on combat toutes les religions, comme autant d'opiums du peuple et de superstitions archaïques. Je ne vais pas revenir sur les sortes de rituels magiques et biodynamiques qui se pratiquent dans sa ferme expérimentale, à l'instar de ce « mésenstère de cerf » qui nous a tant fait marrer après la visite, sorte de talisman gastrique fièrement accroché au toit de la maison pour capter plein d'énergies positives. Non, plus largement, la pensée de Rabhi est fondamentalement une pensée religieuse, et le bougre ne s'en cache même pas :
« Je fonctionne sur une spiritualité qui m’est propre. Je ne peux pas imaginer que la vie soit un hasard, je pressens une intelligence qui régit tout ça que j’appelle le « divin », pas dieu. Je suis persuadé qu’il y a quelque chose qui nous échappe, qui outrepasse nos capacités, il y a un grand mystère dans toute chose. Nous-mêmes, pourquoi nous sommes nés, qui nous a réalisé ? C’est une intelligence infinie qui a créé la réalité dans sa totalité et je ressens ce mystère en moi. Et sans rituel d’aucune sorte, c’est un ressenti presque permanent. Chacun de nous vit en mangeant, respirant... Pour moi ce n’est pas anodin car tellement bien fait et organisé. Je n’ai donc pas besoin de temple ni de prière, lorsque je ne trouve pas de réponses ou de solutions, j’en appelle à ce « divin ». »
Source :
http://blogs.mediapart.fr/blog/friture- ... e-au-divin