Travailleurs productifs/ improductifs

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Jacquemart » 04 Avr 2004, 14:38

(reval71 @ samedi 3 avril 2004 à 20:52 a écrit :peut on considéré que la plus value est ce qui apparait sur la ligne résultat brut d'exploitation sur les bilans comptables?
Puisqu'en fait le RBE c'est le CA-masse salariale-achats de matières premières.

Mmmmouais.
Le problème est que l'EBE ne prend pas en compte l'usure du capital fixe. Il faudrait donc plutôt considérer l'ENE (N pour Net), qui déduirait cette usure - le problème étant que les statistiques sont généralement très pauvres sur ce point.
De plus, il faut rappeler encore une fois qu'un mécanisme opaque, la "péréquation" du taux de profit, fait que si la somme globale des profits est par définition égale à la somme globale des plus-values, l'égalité entre profit et plus-value n'est plus du tout respectée au niveau de chaque entreprise individuelle.
Donc, méfiance ; si la comptabilité officielle de la bourgeoisie peut certes nous apprendre des choses, et si on peut certes essayer de retrouver nos grandeurs marxistes dans le dédale des comptes qu'établit la bourgeoisie pour ses propres besoins, il faut garder à l'esprit que ce n'est jamais immédiat et jamais simple.
Après, tout l'art de la chose consiste à savoir quelles approximations sont légitimes selon ce qu'on veut étudier...
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Message par Cyrano » 04 Avr 2004, 19:42

Bon, faut que je révise un peut tout ça, histoire de me sentir plus à l'aise.
Dans les discussions usuelles, je trouve plus d'occasion de discuter de choix politiques, de lutte de classes, de révolution russe, de "nouvelle classe ouvrière", etc. etc. que de la composition du capital.
Dans certains messages, à la fin de l'envoi, je touche.
Ici, sur ce sujet, à la fin de l'envoi, je me mouche.
Nobody is perfect.
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Message par Barnabé » 26 Avr 2004, 18:02

C'est pas pour relancer cette discussion, mais en fouinant sur marxists.org, je suis retombé sur le "chapitre inédit" du Capital (en fait le sixième chapitre de la rédaction initiale qui n'avait pas été gardé dans l'édition finale). C'est ici
Et là dedans on trouve une section explicitement consacrée à la distinction travail productif/improductif.
Ca ne répond pas à tous ce qui a été discuté dans ce fil mais ce n'est pas initéressant, c'est un peu long mais je le met quand même intégralement:
a écrit :
II. La production capitaliste comme production de plus-value
H. Travail productif et improductif

Avant de continuer l'analyse de la forme nouvelle que revêt le capital résultant du mode de production capitaliste, faisons brièvement quelques remarques sur cette question.

Comme le but immédiat et le produit spécifique de la production capitaliste sont la plus-value, seul est productif le travail ou le prestataire de force de travail, qui produit directement de la plus-value. Le seul travail qui soit productif, c'est donc celui qui est consommé directement dans le procès de production en vue de valoriser le capital.

Du simple point de vue du procès de travail en général, est productif le travail qui se réalise en un produit ou, mieux, une marchandise. Du point de vue de la production capitaliste, il faut ajouter : est productif le travail qui valorise directement le capital ou produit de la plus-value, c'est-à-dire le travail qui se réalise, sans aucun équivalent pour l'ouvrier qui l'exécute, en une plus-value représentée par un surproduit, donc en un incrément additionnel de marchandises pour celui qui monopolise les moyens de travail, le capitaliste. En somme, seul est productif le travail qui pose le capital variable - et partant le capital total - comme C + DC = C + Dv, autrement dit, le travail utilisé directement par le capital comme agent de son auto-valorisation, comme moyen pour produire de la plus-value.

Le procès de travail capitaliste ne supprime pas les caractéristiques générales du procès de travail : il crée un produit et une marchandise. En ce sens, est productif le travail qui s'objective en marchandises, (unités de la valeur d'usage et de la valeur d'échange). Cependant, le procès de travail n'est que simple moyen de valoriser du capital. En conséquence, est productif le travail qui se manifeste dans la marchandise : si nous considérons une marchandise particulière, le travail qui s'exprime dans l'une de ses quotités représentant du travail non payé, ou, si nous considérons le produit total, le travail qui s'exprime dans l'une des quotités de la masse totale de marchandises représentant du travail non payé; bref, en un produit qui ne coûte rien au capitaliste.

Est productif l'ouvrier qui effectue un travail productif, le travail productif étant celui qui engendre directement de la plus-value, c'est-à-dire qui-valorise le capital.

Il faut toute l'étroitesse d'esprit du bourgeois, qui tient la forme capitaliste pour la forme absolue de la production, et donc pour sa forme naturelle, pour confondre ce qui est travail productif et ouvrier productif du point de vue du capital avec ce qui est travail productif en général, de sorte qu'il se satisfait de cette tautologie : est productif tout travail qui produit en général, c'est-à-dire qui aboutit à un produit ou valeur d'usage quelconque, voire à un résultat quel qu'il soit.

Seul est productif l'ouvrier dont le procès de travail correspond au procès productif de consommation de la force de travail - du porteur de ce travail - par le capital ou le capitaliste.

Il en résulte directement deux choses :

1º Avec le développement de la soumission réelle du travail au capital ou mode de production spécifiquement capitaliste, le véritable agent du procès de travail total n'est plus le travailleur individuel, mais une force de travail se combinant toujours plus socialement. Dans ces conditions, les nombreuses forces de travail, qui coopèrent et forment la machine productive totale, participent de la manière la plus diverse au procès immédiat de création des marchandises ou, mieux, des produits - les uns travaillant intellectuellement, les autres manuellement, les uns comme directeur, ingénieur, technicien ou comme surveillant, les autres, enfin, comme ouvrier manuel, voire simple auxiliaire. Un nombre croissant de fonctions de la force de travail prennent le caractère immédiat de travail productif, ceux qui les exécutent étant des ouvriers productifs directement exploités par le capital et soumis à son procès de production et de valorisation.

Si l'on considère le travailleur collectif qui forme l'atelier, son activité combinée s'exprime matériellement et directement dans un produit global, c'est-à-dire une masse totale de marchandises. Dès lors, il est parfaitement indifférent de déterminer si la fonction du travailleur individuel - simple maillon du travailleur collectif – consiste plus ou moins en travail manuel simple. L'activité de cette force de travail globale est directement consommée de manière productive par le capital dans le procès d'autovalorisation du capital : elle produit donc immédiatement de la plus-value ou mieux, comme nous le verrons par la suite, elle se transforme directement elle-même en capital.

2º Les éléments consécutifs de la définition du travail productif se déduisent directement du procès de production capitaliste. En premier lieu, vis-à-vis du capital ou du capitaliste, le possesseur de la capacité de travail apparaît comme vendeur de celle-ci et - ainsi que nous l'avons déjà dit en utilisant une expression irrationnelle  [1] - comme vendeur direct de travail vivant, et non de marchandise objective : ouvrier salarié. Telle est la première condition préalable. En second lieu, sitôt qu'elle est introduite par ce procès préliminaire qui fait partie de la circulation, sa force de travail est directement incorporée comme facteur vivant au procès de production du capital et en devient même l'une de ses parties constitutives, la partie variable, qui non seulement conserve et reproduit les valeurs du capital avancé, mais encore les augmente et, en créant la plus-value, les transforme en valeur qui se valorise, en capital. Au cours du procès de production, cette force de travail, grandeur fluide de valeur, se matérialise directement dans des objets.
a) Formes de transition et services

La première condition peut se passer de la seconde : un travailleur peut être salarié, sans qu'il remplisse la seconde condition : tout travailleur productif est salarié, mais il ne s'ensuit pas que tout salarié soit un travailleur productif.

Toutes les fois que le travail est acheté pour être employé comme valeur d'usage, à titre de service - et non pas comme facteur vivant, échangé contre le capital variable, en vue d'être incorporé au procès de production capitaliste - il n'est pas productif, et le salarié qui l'exécute n'est pas un travailleur productif. Dans ce cas, en effet, le travail est consommé pour sa valeur d'usage, et ne pose donc pas de valeurs d'échange. N'étant pas consommé de manière productive, c'est du travail improductif. Le capitaliste ne lui fait pas face comme capitaliste qui représente du capital, puisqu'il échange son argent, sous forme de revenu et non de capital, contre du travail. Cette consommation de force de travail ne pose pas A - M - A', mais seulement M - A - M (où la marchandise est du travail ou un service) : l'argent opère ici comme moyen de circulation, et non comme capital.

Les marchandises que le capitaliste achète en raison de leur valeur d'usage pour sa consommation privée ne sont pas employées productivement et ne deviennent pas des facteurs du capital. Il en est de même des services qu'il achète volontairement ou par la force des choses (services fournis par l'État, etc.). Ce ne sont pas des travaux productifs, et ceux qui les effectuent ne sont pas des travailleurs productifs.

Plus la production en général devient production de marchandises, plus chacun doit et veut devenir mercantile, en faisant de l'argent, soit avec son produit, soit avec ses services (si son produit ne peut avoir que cette forme, en raison de ses propriétés naturelles). Faire de l'argent devient alors le but ultime de toute espèce d'activité. (Voir Aristote.  [2])

Dans la production capitaliste, la règle absolue devient, d'une part, la production des articles sous forme de marchandise et, d'autre part, le travail sous forme salariée. Un grand nombre de fonctions et activités, qui, parées d'une auréole et considérées comme fin en soi, étaient naguère exercées gratuitement ou rémunérées de manière indirecte (en Angleterre par exemple, les professions libérales, médecins, avocats, etc., ne pouvaient pas ou ne peuvent encore intenter une action en justice pour se faire payer) se transforment directement en travail salarié, si divers que soient leur contenu, ou bien tombent sous le coup des lois réglant le prix du salaire, pour ce qui est de l'estimation de leur valeur et du prix des différentes prestations, depuis celle de la putain à celle du roi. Cette question n'est pas à traiter ici, mais dans le chapitre consacré au travail salarié et au salaire.

Avec le développement de la production capitaliste, tous les services se transforment en travail salarié et tous ceux qui les exercent en travailleurs salariés, si bien qu'ils acquièrent ce caractère en commun avec les travailleurs productifs. C'est ce qui incite certains à confondre ces deux catégories, d'autant que le salaire est un phénomène et une création caractérisant la production capitaliste. En outre, cela fournit l'occasion aux apologistes du capital de transformer le travailleur productif, sous prétexte qu'il est salarié, en un travailleur qui échange simplement ses services (c'est-à-dire son travail comme valeur d'usage) contre de l'argent. C'est passer un peu commodément sur ce qui caractérise de manière fondamentale le travailleur productif et la production capitaliste : la production de plus-value et le procès d'auto-valorisation du capital qui s'incorpore le travail vivant comme simple agent. Le soldat est un salarié, s'il est mercenaire, mais il n'est pas pour autant un travailleur productif.

Voici deux autres sources d'erreur :

1º Dans le système capitaliste, un certain nombre de travaux produisant des marchandises continuent d'être effectués de la même manière que dans les modes de production antérieurs, où le rapport capital-salariat n'existait pas encore, de sorte qu'il n'est pas possible de leur appliquer la notion de travail productif et improductif correspondant au capitalisme. Toutefois, même s'ils ne sont pas encore soumis véritablement aux rapports dominants, ils le sont idéellement : par exemple, le travailleur qui est son propre employeur, est aussi son propre salarié, tandis que ses propres moyens de production lui font face comme capital... dans son esprit. De telles anomalies offrent un terrain bienvenu aux discussions oiseuses et à l'ergotage sur le travail productif et improductif.

2º Certains travaux improductifs peuvent incidemment se rattacher au procès de production et leur prix entrer même dans celui des marchandises, l'argent dépensé pour eux formant une partie du capital avancé. Il peut donc sembler que ces travaux s'échangent directement contre du capital, et non contre du revenu.

Considérons tout de suite le dernier cas, les impôts, le prix des services de gouvernement, etc. Il s'agit là de faux frais de production, d'une forme contingente - et nullement déterminée, immanente et nécessaire - du procès de production capitaliste. Si, par exemple, tous les impôts indirects étaient changés en impôts directs, il faudrait les payer avant comme après, mais ils n'apparaîtraient plus comme une avance de capital, mais comme une dépense de revenu. Leur caractère contingent, indifférent et fortuit pour le procès de production capitaliste se voit dans le simple fait qu'ils peuvent aussi facilement changer de forme. Par contre, si le travail productif changeait de forme, il n'y aurait plus de revenu du capital, ni même de capital tout court.

D'autres cas, ce sont les procès, les actes contractuels, etc., bref, tout ce qui, ayant trait aux stipulations entre possesseurs de marchandises dans l'acte d'achat ou de vente, n'a rien à voir avec le rapport du capital et du travail. Même si les fonctionnaires deviennent des salariés en régime capitaliste, ils ne deviennent pas pour autant des travailleurs productifs.

Le travail productif n'est qu'une expression ramassée pour désigner l'ensemble du rapport et la manière dont l'ouvrier et le travail se présentent dans le procès de production capitaliste. Par travail productif, nous entendons donc un travail socialement déterminé, qui implique un rapport bien précis entre vendeur et acheteur de travail. Ainsi, le travail productif s'échange directement contre l'argent-capital, un argent qui en soi est du capital, ayant pour destination de fonctionner comme tel et de faire face comme tel à la force de travail. Seul est donc productif le travail qui, pour l'ouvrier, reproduit uniquement la valeur, déterminée au préalable, de sa force de travail et valorise le capital par une activité créatrice de valeurs et posant en face de l'ouvrier des valeurs produites en tant que capital. Le rapport spécifique entre travail objectivé et travail vivant qui fait du premier le capital, fait du second le travail productif.

Le produit spécifique du procès de production capitaliste - la plus-value - est créé uniquement par l'échange avec le travail productif. Ce qui en constitue la valeur d'usage spécifique pour le capital, ce n'est pas l'utilité particulière du travail ou du produit dans lequel il s'objective, mais la faculté du travail de créer, la valeur d'échange (plus-value).

Le procès de production capitaliste ne crée pas simplement des marchandises, il absorbe du travail non payé et transforme les moyens de production en moyens d'absorber du travail non payé.  [3]

De ce qui précède, il ressort que le travail productif n'implique nullement qu'il ait un contenu précis, une utilité particulière, une valeur d'usage déterminée en laquelle il se matérialise. C'est ce qui explique qu'un travail de même contenu puisse être ou productif ou improductif.

Par exemple, Milton, l'auteur du Paradis perdu, est un travailleur improductif, alors qu'un écrivain qui fournit à son éditeur un travail de fabrication (Fabrikarbeit) est un travailleur productif. Milton a produit son poème comme un ver à soie produit la soie, en exprimant sa nature par cette activité, En vendant plus tard son produit pour la somme de 5 £, il fut, dans cette mesure, un marchand. En revanche, le littérateur prolétaire de Leipzig qui, sur commande de son éditeur, produit des livres, par exemple des manuels d'économie politique, se rapproche du travailleur productif dans la mesure où sa production est soumise au capital et n'existe qu'en vue de sa valorisation.

Une cantatrice qui chante comme l'oiseau, est un travailleur improductif; dans la mesure où elle vend son chant pour de l'argent, elle est une salariée et une marchande. Mais, cette même cantatrice devient un travailleur productif, lorsqu'elle est engagée par un entrepreneur pour chanter et faire de l'argent, puisqu'elle produit directement du capital. Un enseignant qui fait classe n'est pas un travailleur productif; mais, il devient productif s'il est engagé avec d'autres comme salarié pour valoriser, avec son travail, l'argent de l'entrepreneur d'un établissement qui monnaie le savoir.  [4] En fait, la plupart de ces travaux sont à peine soumis formellement au capital : ce sont des formes de transition.  [5]

En somme, les travaux qui ne peuvent être utilisés que comme service, du fait que leurs produits sont inséparables de leur prestataire, de sorte qu'ils ne peuvent devenir des marchandises autonomes (ce qui ne les empêche pas, au reste, d'être exploités d'une manière directement capitaliste), représentent une masse dérisoire par rapport à celle de la production capitaliste. Aussi peut-on les écarter ici, pour en remettre l'examen au chapitre sur le travail salarié, sous la rubrique du travail salarié qui n'est pas, pour cela, travail productif.

Un même travail (par exemple, celui d'un jardinier, d'un tailleur) peut être exécuté par un même ouvrier pour le compte d'un capitaliste ou d'un usager immédiat. Dans les deux cas, il est salarié ou loué à la journée, mais, s'il travaille pour le capitaliste, c'est un travailleur productif, puisqu'il produit du capital, tandis que s'il travaille pour un usager direct, c'est un improductif. En effet, dans le premier cas, son travail représente un élément du procès d'auto-valorisation du capital, dans le second, non.

Une grande partie du produit annuel qui est consommé comme revenu et ne retourne plus dans la production comme moyen de production, se compose de produits (valeurs d'usage) les plus néfastes, satisfaisant les envies et caprices les plus malsains. Quoi qu'il en soit, leur contenu est tout à fait indifférent, pour déterminer le travail productif. (Il est évident cependant que si une partie disproportionnée était ainsi consommée, aux dépens des moyens de production et de subsistance qui entrent dans la reproduction, soit des marchandises, soit de la force de travail, le développement de la richesse en subirait un coup d'arrêt.) Cette sorte de travail productif crée des valeurs d'usage, se cristallise en des produits destinés uniquement à la consommation improductive et dépourvus en eux-mêmes de toute valeur d'usage pour le procès de reproduction.

Ils ne pourraient acquérir d'utilité qu'en s'échangeant contre des valeurs d'usage destinées à la reproduction. Mais, ce serait là un simple déplacement, puisqu'ils doivent forcément être consommés quelque part de manière non reproductive. Certains de ces articles pourraient, à la rigueur, fonctionner de nouveau comme capital, mais c'est là un problème a approfondir au chapitre [Section] III du livre Il sur le procès de reproduction.

Par anticipation, voici quelques remarques à ce sujet : l'économie politique courante est incapable de dire quoi que ce soit de sensé - même du point de vue capitaliste - sur les limites de la production de luxe. Cependant, la question devient très simple, si l'on analyse correctement les éléments du procès de reproduction. Du point de vue capitaliste, le luxe devient condamnable dès lors que le procès de reproduction - ou son progrès exigé par la simple progression naturelle de la population - trouve un frein dans l'application disproportionnée de travail productif à la création d'articles qui ne servent pas à la reproduction, de sorte qu'il y a reproduction insuffisante des moyens de subsistance et des moyens de production nécessaires. Au reste, le luxe est une nécessité absolue pour un mode de production qui, créant la richesse pour les non-producteurs, doit lui donner des formes ne permettant son appropriation que par ceux qui sont des jouisseurs.

Pour l'ouvrier, ce travail productif est, comme tout autre, l'unique moyen dont il dispose pour reproduire ses moyens de subsistance nécessaires. Pour son capitaliste, qui est indifférent à la nature de la valeur, d'usage et au caractère du travail concret utilisé, il n'est qu'un moyen de battre monnaie (Fr.) et de produire la plus-value.

Les raisons qui induisent à définir le travail productif et improductif d'après leur contenu matériel, sont de trois ordres :

1º la conception fétichiste, propre au mode de production capitaliste et inhérente à sa nature même, selon laquelle les déterminations économiques - la forme de marchandise ou de travail productif - sont une propriété qui revient en soi et pour soi aux agents matériels de ces concepts ou déterminations formelles.

2º le fait de considérer le procès de travail en tant que tel, de sorte, qu'un travail n'est productif que s'il aboutit à un produit matériel, puisqu'il n'est de richesse que matérielle.

3º le fait que si l'on considère les éléments réels du procès de reproduction réel, il y a une grande différence, dans la production de richesse, entre le travail servant à créer des articles reproductibles et le travail effectuant de purs et simples articles de luxe.

A présent, voici un exemple : peu m'importe que j'achète un pantalon prêt à porter ou que je fasse venir un tailleur à la maison et lui paie son service (c'est-à-dire le travail de tailleur) : si je m'adresse au marchand, c'est qu'il le vend moins cher. Pour moi, dans les deux cas, je ne convertis pas mon argent en capital, mais en une valeur d'usage correspondant à mon besoin et à ma consommation personnels. L'ouvrier tailleur me rend le même service, qu'il travaille chez le marchand de vêtements ou chez moi. Mais, l'ouvrier, s'il travaille chez le marchand de vêtements, rend un autre « service » au capitaliste, en ce qu'il travaille douze heures en n'étant payé que pour six, c'est-à-dire en travaillant six heures gratuitement pour lui. Que cela ait lieu dans la confection d'un pantalon ne fait que masquer la véritable transaction. Aussi le marchand de vêtements cherche-t-il, dès que possible, à convertir de nouveau les pantalons en argent, qui est une forme d'où a disparu la spécificité du travail de tailleur, le service rendu s'exprimant alors clairement dans le fait que d'un thaler il en est sorti deux.

En général, le mot service exprime simplement la valeur d'usage particulière du travail utile comme activité, et non comme objet. Do ut facias, facio ut facias, facio ut des, do ut des  [6] sont ici autant de formules tout à fait indifférentes d'un même rapport, alors que dans la production capitaliste le do ut facias  [7] exprime un rapport tout à fait spécifique entre la richesse matérielle et le travail vivant. Étant donné que dans l'achat de services, le rapport spécifique du travail et du capital s'est entièrement effacé, voire n'existe pas, les Say, Bastiat et consorts en font leur formule favorite pour exprimer le rapport entre capital et travail.  [8]

L'ouvrier lui-même achète des services avec son argent, ce qui est une façon de le dépenser, mais non de le convertir en capital. Nul n'achète des. « prestations de service », juridiques ou médicales, comme moyen de transformer son argent en capital. De nombreux services font partie des frais de consommation de marchandises : par exemple, le service de la cuisinière.
B) Définitions du travail productif

Pour distinguer le travail productif du travail improductif, il suffit de déterminer si le travail s'échange contre de l'argent proprement dit ou contre de l'argent-capital. Par exemple, si j'achète une marchandise chez un travailleur indépendant ou un artisan qui est son propre employeur, il n'y a pas lieu de parler de travail productif, puisque l'argent ne s'échange pas directement contre du travail, mais contre une marchandise.

La production immatérielle, effectuée pour l'échange, fournit aussi des marchandises, et deux cas sont possibles :

1º les marchandises qui en résultent, ont une existence distincte du producteur et, dans l'intervalle entre production et consommation, elles peuvent circuler comme n'importe quelle autre marchandise. Ainsi, les livres, tableaux et autres objets d'art peuvent se détacher de l'artiste qui les a créés. Cependant, la production capitaliste ne peut s'appliquer ici que dans une mesure très limitée. Ces personnes, si elles n'emploient pas d'apprentis ou de compagnons (comme les sculpteurs), travaillent le plus souvent pour un marchand-capitaliste, par exemple un éditeur. C'est là une forme de transition vers le mode de production capitaliste simplement formel. Même si dans ces formes de transition l'exploitation du travail atteint son maximum, cela ne change rien à sa définition.

2º le produit est inséparable de l'acte producteur  [9]. Là aussi le mode de production capitaliste ne joue que dans des limites étroites et, selon la nature de la chose, dans quelques rares sphères (je veux le médecin, et non son garçon de courses). Par exemple, dans les établissements d'enseignement, les maîtres peuvent être de purs salariés pour l'entrepreneur de la fabrique scolaire.

Tout cela n'est pas à considérer, lorsqu'on examine l'ensemble de la production capitaliste.

« Est productif le travailleur qui augmente de manière directe la richesse de son patron. »  [10]

La différence entre travail productif et improductif est essentielle pour l'accumulation, car seul l'échange contre le travail productif permet une retransformation de plus-value en capital.

Étant donné qu'il représente le capital productif, engagé dans son procès de valorisation, le capitaliste remplit une fonction productive, qui consiste à diriger et à exploiter le travail productif. Contrairement à ceux qui l'aident à manger la plus-value mais sans être dans le même rapport immédiat et actif avec la production, sa classe est, apparaît comme la classe productive par excellence. (Comme dirigeant (Lenker) du procès de travail, le capitaliste peut effectuer du travail productif, en ce sens que son travail étant intégré au procès de travail total, s'incarne dans le produit.)

Nous ne considérons ici le capital qu'au sein du procès de production immédiat et ce n'est que plus tard que nous rechercherons quelles sont les autres fonctions du capital et quels sont les agents dont il se sert pour les exécuter.

La définition du travail productif (et donc aussi de son contraire, le travail improductif) se base sur le fait que la production capitaliste est production de plus-value, et que le travail qui s'y emploie produit de la plus-value.

Notes

[1] Cf. le Capital, livre 1, Ed. Soc., vol. II, pp. 208-210. (N.R.)

[2] Cf. le Capital, livre 1, Ed. Soc., vol. 1, deuxième section, chap. IV, p. 156. (N.R.)

[3] A partir de ce paragraphe, le texte est celui du IV° livre du Capital à quelques toutes petites variantes près, cf. Histoire des Doctrines économiques, tome II, Ricardo, pp. 200-212. Tout le second tome de l'édition Costes traite du travail productif et improductif. (N.R.)

[4] Marx traite de ce point dans le livre 1 du Capital : « Un maître d'école, par exemple, est un travailleur productif, non parce qu'il forme l'esprit de ses élèves, mais parce qu'il rapporte des pièces de cent sous à son patron. Que celui-ci ait placé son capital dans une fabrique de leçons au lieu de le placer dans une fabrique de saucissons, c'est son affaire. » (Ed. Soc., vol. II, p. 184). (N.R.)

[5] Dans le livre III du Capital, Marx analyse les formes de transition dans l'agriculture, cf. chapitre XLVII sur la Genèse de la rente foncière capitaliste. Sur le plan politique, plus la figure se rapproche de celle, du travailleur salarié productif, plus se justifie son alliance avec le prolétaire. (N.R.)

[6] Je donne pour que tu fasses - je fais pour que tu fasses - je fais pour que tu donnes - je donne pour que tu donnes : ces formules expriment le sens des multiples formes de l'échange mercantile simple. (N.R.)

[7] La formule je donne pour que tu fasses entre capitaliste et ouvrier exprime un « échange inégal ». (N.R.)

[8] Cf. K. Marx, Fondements, etc., vol. II, pp. 544-558. Marx y consacre tout un chapitre pour exposer et réfuter la théorie du salaire chez Bastiat et Carey. (N.R.)

[9] « Comme dans le cas de tous les exécutants, acteurs, enseignants, médecins, curés, etc. » Cf. Histoire des Doctrines Économiques, Ed. Costes, vol. II, p. 212. (N.R.)

[10] Cf. Malthus, Principles of Political Economy, 2° édit., Londres, 1836.
Barnabé
 
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Message par logan » 30 Oct 2005, 13:55

Sur un autre fil gaby affirme
(gabz a écrit :L'intermitemps du spectacle ne participe pas a une creation de richesse, le caissier McDo non plus


Je ne voudrais pas être encore plus pénible que Jacquemart (Dieu m’en garde ) mais le caissier Mac do crée aussi de la plus value, donc de la richesse.

Pour Marx le Conditionnement et le fractionnement d'une marchandise sont productifs, car ce sont des étapes indispensables à la vente.
Et en général le caissier Mc Do participe au conditionnement de la marchandise (cuisson de la viande, friture des potatoes, préparation des glaces etc...)
De même quand un caissier sert un pepsi (beurk) dans un gobelet, il fractionne la marchandise, donc il est productif aussi. :w00t:

Mais effectivement la vente en elle même ne crée aucune richesse, malgré de nombreux phénomènes d'illusion. La vente fait partie de la circulation, mais pas de la production dans le fonctionnement du capital.

Par ex : un marchand qui refourgue un lecteur CD à 300€, acheté 100 ne crée aucune plusvalue, aucun surcroit de valeur... mais il s'en met plein les poches.
:22:
logan
 
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Message par Ottokar » 31 Oct 2005, 08:25

(logan @ dimanche 30 octobre 2005 à 14:55 a écrit : Par ex : un marchand qui refourgue un lecteur CD à 300€, acheté 100 ne crée aucune plusvalue, aucun surcroit de valeur... mais il s'en met plein les poches.
:22:
Logan, tu devrais préciser, car si on suit ton raisonnement, on ne voit pas trop la différence : prendre un lecteur CD chez le grossiste, ou sur le port du Havre et le mettre à ma disposition au Darty de mon quartier, c'est autant fractionner la marchandise que de prendre du Coca (beurk) en gros et le mettre en gobelet, non ? Le travail réalisé ne vaut pas la différence de prix mentionnée, mais elle est nécessaire. Sinon, il faut que j'ailler cherche les lecteurs moi-même à Hong-Kong, Taïwan ou dans les zones industrielles de Shanghaï.
Ottokar
 
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Message par logan » 31 Oct 2005, 09:15

(Ottokar @ lundi 31 octobre 2005 à 08:25 a écrit :
(logan @ dimanche 30 octobre 2005 à 14:55 a écrit : Par ex : un marchand qui refourgue un lecteur CD à 300€, acheté 100 ne crée aucune plusvalue, aucun surcroit de valeur... mais il s'en met plein les poches.
:22:

Logan, tu devrais préciser, car si on suit ton raisonnement, on ne voit pas trop la différence : prendre un lecteur CD chez le grossiste, ou sur le port du Havre et le mettre à ma disposition au Darty de mon quartier, c'est autant fractionner la marchandise que de prendre du Coca (beurk) en gros et le mettre en gobelet, non ? Le travail réalisé ne vaut pas la différence de prix mentionnée, mais elle est nécessaire. Sinon, il faut que j'ailler cherche les lecteurs moi-même à Hong-Kong, Taïwan ou dans les zones industrielles de Shanghaï.

Le transport est bien une activité productive de la plus value, car elle aussi est indispensable à la vente. Donc quand la marchandise est amenée de Hong kong au Havre c'est une activité productive.

La méprise de base c'est qu'en général on prend le terme "productif" pour une activité de production matérielle.
Or le terme productif pour Marx est synonyme de productif de plus-value.

Je reprends :
Un lecteur CD est fabriqué à Hong kong (travail productif), il est acheminé au Havre (travail productif), acheté par un patron et mis en rayon par un employé (travail productif).
Le vendeur qui bonimente l'acheteur et lui vends plus cher que prévu ne crée aucune valeur, bien qu'il dégage un profit supplémentaire pour le capitaliste.

a écrit : Marx - le Capital
Les frais purement commerciaux, c'est-à-dire ceux qui ne résultent pas de l'expédition, du transport et de l'emmagasinage, sont nécessaires pour réaliser la valeur de la marchandise, pour la convertir de marchandise en argent on d'argent en marchandise, en un mot pour en permettre l'échange. Il faut donc les distinguer de certains actes de production qui continuent pendant la circulation et qui d'ailleurs peuvent se produire absolument en dehors de l'entreprise commerciale. C'est ainsi que l'industrie du transport et les entreprises d'expédition peuvent être et sont en réalité des branches en dehors du commerce -
logan
 
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Message par logan » 31 Oct 2005, 09:23

Quant à la question de la création de richesse cela mériterait un autre fil. :33:

Une marchandise revêt un double caractère : elle est valeur d'usage pour qui la consomme, elle est valeur d'échange pour qui la vend.

Si je fabrique moi-même mon pain et que je le consomme je crée une richesse sociale. Mais cette richesse sociale n'a pas le caractère de valeur d'échange, puisque seule sa valeur d'usage m'intéresse (le manger). C'est une richesse qui est en dehors du système capitaliste.

Le capitalisme est une machine à transformer les valeurs d'usage en valeurs d'echange. Une machine à multiplier les marchandises.
Par le passé de nombreuses familles fabriquaient leur pain, possédaient des poules pour faire des oeufs, on fabriquait soi même du beurre, de l'huile, des bougies, des cordes, des paniers etc...
Aujourd'hui, la division du travail aidant, tout cela est produit sous des rapports capitalistes.
Les produits d'hier sont les marchandises d'aujourd'hui.
logan
 
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