et puisque certains se demandaient si cette proposition était supportée par la ligue, voila une prise de position d'icelle dans le dernier rouge
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Décentralisation sauce Raffarin
Une régression démocratique
Dans son discours de politique générale, le Premier ministre de Chirac a annoncé une vaste mutation des institutions. Seuls les lobbies financiers y gagneront toutefois quelque chose.
"République des proximités": la réforme institutionnelle annoncée par Jean-Pierre Raffarin, à l’occasion de son discours d’investiture, se pare de mots propres à séduire. L’objectif affiché est, en effet, de rapprocher "les Français des décisions qui les concernent". En vertu de quoi, un projet de loi constitutionnelle devrait être débattu à l’automne afin d’inscrire l’échelon régional dans la Loi fondamentale, d’autoriser "l’expérimentation locale", de "favoriser la coopération entre collectivités". Dans la foulée, une autre réforme législative devrait permettre le "transfert des compétences immédiat et général de l’Etat vers les collectivités locales". A terme, le Premier ministre annonce déjà la "refonte des textes liés à l’intercommunalité, aux pays, aux agglomérations, afin de simplifier le travail des acteurs locaux et de sortir des blocages qui freinent aujourd’hui la dynamique territoriale".
Comment ne pas souscrire à la perspective d’une décentralisation des pouvoirs ? N’était-ce pas d’ailleurs l’un des apports fondamentaux de la révolution jacobine, avant que le centralisme napoléonien vienne imprimer sa marque à l’Etat français ? De fait, la concentration étatique, la professionnalisation de la politique et l’autonomisation croissante des élus, l’hypertrophie d’un corps de hauts fonctionnaires dotés de pouvoirs aussi considérables que soustraits à tout contrôle populaire, le développement de féodalités financières s’accaparant des compétences jadis dévolues à la puissance publique, se révèlent à l’origine d’une véritable crise de la démocratie. Une réelle décentralisation s’impose, dans le but de redistribuer les pouvoirs aux niveaux les plus proches des populations. Encore conviendrait-il que ce mouvement se voie lui-même soumis au contrôle permanent des citoyens. En un mot, que le concept de souveraineté populaire reprenne sens à travers une authentique révolution démocratique.
Nous en sommes loin avec les propositions du chef de file de la droite gouvernante. D’évidence, les projets annoncés s’inscrivent dans une vaste entreprise d’adaptation des constructions institutionnelles et de l’appareil d’Etat aux nouveaux critères de "gouvernance" imposés par la mondialisation marchande et financière. Cette "modernisation" de l’Etat dont on nous rebat les oreilles depuis le milieu des années quatre-vingt n’a fait que consacrer le repli des prérogatives de la puissance publique au profit de l’Union européenne, des collectivités locales ou du "tiers secteur" associatif. Elle s’est accompagnée de l’introduction de "critères managériaux" dans la gestion des services publics, ainsi que de l’ouverture des entreprises et collectivités publiques à une logique totalement concurrentielle.
Les hasards de l’alternance veulent que la droite ait aujourd’hui à parachever ce qui restera l’un des principaux forfaits de la gauche de gouvernement. Dès 1982, au nom de la décentralisation, la loi Defferre ouvrait la voie à la création de féodalités financières ayant en charge des secteurs d’activité où pouvaient le mieux se mener des politiques de soutien à la valorisation des capitaux. La loi Marchand, sous le gouvernement Rocard, puis les lois Voynet et Chevènement, sous Jospin, venaient ensuite compléter le dispositif. Elles engageaient une stratégie de regroupement contraint des communes, dans l’objectif de faire émerger des entités territoriales disposant d’une surface suffisante pour mettre en oeuvre la gestion concurrentielle requise par le libéralisme dominant. Enfin, en octobre 2000, le rapport Mauroy marquait le point d’orgue de la déconstruction d’une République censée garantir, grâce à son cadre unitaire, l’égalité en droits de tous les citoyens. Affirmant vouloir "dépasser l’exception française", il préconisait la constitution de quelques grandes régions disposant d’un pouvoir aux compétences étendues leur permettant d’engager "la compétition économique avec [leurs] partenaires européens".
Régions en compétition
Ne tournons pas autour du pot: ce système, où la politique tend de plus en plus à s’effacer au profit de l’idée que les territoires doivent se gérer "comme les entreprises", n’offrira pas davantage de droits aux populations. Au nom de l’autonomisation des collectivités locales, il permettra au contraire d’adapter, en fonction des rapports de forces, les droits sociaux, les dispositions du Code du travail ou les réglementations fiscales. Comme l’aura dessiné la loi sur la Corse, une Europe des régions en compétition, pour reprendre les termes de Mauroy, se substituera aux vieux cadres nationaux, favorisant des logiques de développement totalement inégalitaires à l’échelle du continent. Quant au progrès démocratique, il consistera surtout à faire passer le pouvoir des mains des élus à celles des technocrates et des lobbies économiques. D’ailleurs, aura-t-on jamais consulté les citoyens à propos du processus mis en branle depuis vingt ans ?
Christian Picquet