Un texte de Roger Gentis ("les murs de l'asile"), de 1967.
On peut y voir un essai "d'évaluation' des psychothérapies "analytiques" à l'hôpital, et toujours d'actualité.
a écrit :
Roger GENTIS : Psychothérapies individuelles dans un service hospitalier. Revue de psychothérapie institutionnelle - N°5 - 1967
R.GENTIS - Revue de psychothérapie institutionnelle - N°5 - 1967
Article élaboré au cours d’une série de discussions avec MM. ee et MM. ALAGIRAUDE, BERNARD, M. et P. BLANADET, FRIT, KIPMAN-PLANKAERT, LAFFIN, LE CORRE, PASQUIER. H., M et S. RANCOEUR, SECHERESSE SUDRÉ, THOMAS TROUVÉ.
PSYCHOTHÉRAPIES INDIVIDUELLES DANS UN SERVICE HOSPITALIER
Nous nous proposons de faire part ici d'une expérience que nous poursuivons depuis près de deux ans. Nous ne sommes pas encore en mesure d'en tirer des conclusions péremptoires : nous pensons qu'il nous faudra encore une dizaine d'années pour en arriver là, mais nous ne sommes pas pressés. Peut-être aussi les enseignements mêmes de cette expérience nous amèneront-ils un jour à l'interrompre - plus probablement à en modifier l'orientation - nous ne savons pas encore.
Il nous parait néanmoins intéressant de l’exposer dans se précarité et son inachèvement, car nous pensons qu'elle s'inscrit dans la ligne de préoccupations actuellement assez répandues. Elle répond en "tout cas" à certains des soucis les plus précis de notre pratique actuelle. à nous, dans un service déterminé de l'Etablissement psychothérapique de Fleury-les-Aubrais.
En 1963, le Dr PARENTE, alors médecin chef de ce service, confie à Mme KIPMAN, psychologue, elle-même en début d'analyse, le soin d'organiser des psychothérapies individuelles et de groupes parmi les malades hospitalisés. Mme KIPMAN prend contact avec différents infirmiers, qui pour la plupart n'osent pas se lancer dans ce qu'ils considèrent un peu, et on les comprend, comme une aventure. Seule, une jeune infirmière, très récente dans le métier et un chef d'unité de soins acceptent et se lancent. Si l'infirmière en question a quitté depuis l'Etablissement, l'infirmière chef d'unité de soins n'a jamais abandonné les psychothérapies : il a au contraire, largement étendu se pratique et, est aujourd'hui sur le point d'entreprendre une analyse personnelle.
Il faut préciser toutefois que, en marge des psychothérapies au sens strict, le Dr PARENTE' engage plusieurs infirmiers dans des relations duelles serrées avec certains malades, particulièrement des schizophrènes : ces infirmiers se voient confier un malade précis dont ils prennent plus spécialement la charge au long de la journée, dans chaque moment de son existence.
Ces innovations entraînent incontestablement des transformations considérables dans le service, à des niveaux et dans des sens très divers. En Mai 1964, lorsque Dr Gentis prend le relais du Dr Parente, la situation peut être schématisée :
- le psychologue et deux infirmiers continuent donc à assurer des entretiens psychothérapiques réguliers avec un petit nombre de malades. Certains d'entre eux ont pour thérapeute la psychologue seule, d'autres l'infirmier et la psychologue ensemble ; ensemble, ils dirigent également un groupe de trois jeunes schizophrènes. Il s'agit de psychothérapies assises, purement verbales, interprétatives, d'inspiration freudienne. Quant à l'infirmière, elle s'entretient comme elle peut avec un jeune schizophrène assez difficile, accumulant maladresses et bonne volonté, et obtenant dans l'ensemble une amélioration notable de son malade.
- Le personnel du service apparaît comme extrêmement sensibilisé au problème des psychothérapies. Le changement de médecin a probablement révélé et durci des positions extrêmement diverses et divergentes, les uns prenant passionnément l'entreprise amorcée, - d'autres rejetant en bloc dans la trappe à foutaises toutes les préoccupations psychothérapiques et analytiques -, d'autres encore considérant la chose, à distance respectueuse comme une affaire de spécialistes. Ces attitudes, dont nous n'avons cité que les plus schématiques, s'inscrivent, bien sûr, dans tout un contexte d'oppositions dynamiques comme on en trouve dans toute institution, et qu'il serait trop long d'analyser ici.
Disons simplement à ce propos, on ouvrant une parenthèse méthodologique, que le décryptage et l'exploitation de ce contexte furent autant que possible pris en compte dans les décisions qui aboutiront à la mise en place du dispositif expérimental dont nous allons parler. Ces décisions s'intégraient donc, en bref, dans une stratégie globale du développement Institutionnel. Ceci nous semble fort important à considérer pour ne pas commettre l'erreur de penser que nous étudions une expérience ayant une valeur de méthode en soi ou de technique en soi. Notre expérience, notre méthode, nos résultats ne nous semblent pas exactement, transposables, en dehors du cas bien aléatoire d'une homologie panchronique de structures entre Institutions. A chaque instant, notre action dans le domaine des psychothérapies s'est développée à partir du contexte total de l'institution et en réponse à celui-ci. Compte tenu des erreurs que nous avons, pu commettre dans leur application, nous sommes dans notre entreprise restés fidèles à deux principes auxquels nous sommes depuis longtemps attaché : que la relation duelle n'existe pas en tant que telle dans une Institution thérapeutique et n'y apparaît que comme un leurre, et que ce qui importe avant tout, ce qui peut-être seul, c’est la psychothérapie de l'institution elle-même, ou, si l'on hésite à parler de psychothérapie d'une institution, sa désaliénation.
Dans la ligne de notre propos, nous donneront trois exemples d'intervention qui, - parmi d'autres qui furent sans doute moins opportunes, nous semblent avoir eu valeur d'actes thérapeutiques au niveau de l'institution :
1) - un des premiers soins du nouveau, sondé et discrètement sollicité par les différents partis en présence, fut de connaître sans ambages son attachement au Freudisme et son intention de continuer à engager le service dans la voie d’une exploration institutionnelle des données analytiques.
2) L’opposition de certains infirmiers aux psychothérapies devait être interprétée comme la répression, par crainte de ne pas être “à la hauteur“, d'un désir réel d'y participer également. Cette interprétation n’avait pas à être verbalisée ;
Il était bien préférable de se tourner vers ces infirmiers, entre autre, pour leur demander de se joindre à un groupe de “psychothérapeutes” qui put fonctionner dans des conditions point trop exigeantes et point trop solennelles.
3) Le développement des psychothérapies exigeait assurément que fusent dépassées certaines oppositions constituées, eu premier chef, celle qui existait entre “les thérapeutes” d'une part et les non-psychothérapeute de l'autre. Par exemple, il eut été maladroit de confier à la psychologue, partie prenante en l'un des fermes, le soin de former des psychothérapeutes parmi d'autres infirmiers : la solution qui s'imposait était de réunir en un seul groupe les psychothérapeutes et ceux qui ne l'étaient pas encore et de les placer dans une situation, de nivellement, situation aisément obtenue ai le médecin du service dirigeait lui-même ce groupe. La structure de ce groupe pouvait encore s'améliorer en plaçant en situation de nivellement différentes catégories de personnes : aussi avons-nous cherché à y faire participer, outre des infirmiers de tout grade, (y compris le surveillant général du service et un moniteur d'ergothérapie) des internes et une seconde psychologue. La devise d'un tel groupa pourrait être en somme : “la psychothérapie est l'affaire de tout le monde dans le service”. Il n'est d'ailleurs pas dit que nous n'y intégrions pas, à un stade plus avancé de notre pratique, quelques malades hospitalisés.
Notre groupe, qui n'a pas tardé à s'appeler "'groupe de contrôle”, bien que ce qui s'y fait n'ait rien à voir avec un contrôle de quoi que ce soit, a compté jusqu'à 18 personnes. il faut dire que, par suite des décalages d'horaires et des nécessités variables du service, ces 18 personnes ne se sont pratiquement jamais trouvées réunies. Chaque réunion, et nous en faisons une de deux heures environ tous les vendredis, compte en fait suivant les jours de cinq à dix participants. Par suite de remaniements intervenus il y a quelques mois dans l'établissement, plusieurs de nos psychothérapeutes ont quitté le service : à l'heure actuelle, le groupe se compose de 13 personnes : 3 infirmiers, un moniteur d'ergothérapie (également infirmier), trois chefs d'unités de soins, le surveillant-général du service, les deux internes et les deux psychologues, le médecin-chef.
Nous avons donné pour consigne de départ à nos thérapeutes :
1- D'avoir au minimum deux entretiens par semaine avec leur malade, à raison d'une demi-heure à une heure chaque fois.
2. De mener cet entretien sans aucune idée préconçue, avec naturel et spontanéité, à leur guise.
3- De consigner si possible immédiatement après l'entretien, le déroulement de celui-ci, avec bien entendu leurs propres interventions.
Le choix des malades s'est effectué suivant deux modes :
Certains malades ont été pris en psychothérapie simplement parce que l'indication d'une psychothérapie individuelle semblait se poser pour eux. La décision a été prise pour ceux-ci au niveau du collectif de soins du service. Presque tous ces malades ont été confiés soit à la psychologue, soit au chef d'unité de soins dont nous avons parlé plus haut, en raison de leur plus grande expérience des psychothérapies Individuelles. Deux ou trois d'entre eux ont cependant été confiés à d'autres personnes.
2- D'autres malades (18 exactement) ont été choisis dans une intention thérapeutique beaucoup moins précise. Le choix s'est effectué ici après discussion dans le groupe de psychothérapeutes, mais évidemment en consultant également les autres membres du personnel intéressé. Les critères des choix effectués, qui n'avaient pas été précisés au départ, se sont en fin de compte ainsi définis :
- Ce qui a peut-être compté le plus, c'est le choix spontané du thérapeute, donc les sympathies déjà nouées. Toutefois, ce critère a pris au bout d'un certain temps moins d’importance car on s'est aperçu qu'il était assez inconfortable pour le thérapeute de travailler dans le pavillon où vivait son malade. Nous avons donc choisi de préférence, à partir de ce moment-là, un malade d'un autre pavillon : de ce fait, les contacts pris, antérieurement ont perdu de leur importance pour certains de nos thérapeutes.
- Le critère le plus marquant a sans doute été la chronicité, et ceci pour deux raisons : d'abord parce que, chez de tels malades il n'y avait pas grand chose à perdre, ensuite parce que de toute façon, la psychothérapie constituait une relance du traitement et qu'à priori le malade devait plutôt tirer profit d'un contact assidu avec quelqu'un. Nous avons ainsi pris en psychothérapie plusieurs schizophrènes anciens assez bien asilisés.
Nous avons enfin attaché une certaine importance à l'âge du malade. Comme il se pouvait après tout que la psychothérapie aboutisse à une amélioration, nous avons pensé qu'il serait plus intéressant de prendre des sujets relativement jeunes, 30 à 35 ans, au plus. Nous avons donc consacré une séance d'une heure et demie à 2 heures par semaine à l'étude et à la discussion de ces entretiens. Chaque semaine un ou plusieurs thérapeutes reprennent les notes rédigées au cours des semaines précédentes. Cette lecture était entrecoupée de commentaires et de discussions. Au début, la plupart de ces commentaires étaient faits par le médecin-chef, un peu par la psychologue en cours d'analyse, mais assez vite d'autres participants se sont hasardés à donner leur avis et se sont même, plus tard enhardis à livrer leurs propres interprétations. Nous devons dire qu'au départ nous ne savions pas trop dans quel style et avec quelle technique mener ces réunions. Nous avions cependant défini un fil conducteur que nous n'avons jamais abandonné : c'est que ce qui nous semblait important dans ces entretiens, c'est la relation qui s'établissait et se développait entre les parties et que c’est avant tout cette relation, que nous devions éclairer. Nous nous sommes donc attachés à recentrer constamment nos commentaires sur les problèmes transférentiels, et nous n'avons eu qu'à nous louer de ce parti-pris :
-parce que nous avons pu constater combien les aperçus ainsi donnés étaient véritablement éclairants pour les thérapeutes et avec quelle aisance ils comprenaient et assimilaient à ce niveau.
- parce qu’il nous a semblé que cette façon de faire, contribuer puissamment à faire évoluer la relation dans un sens authentiquement psychothérapique, celui pouvant être grosso modo défini comme l’acquisition par le thérapeute d’une authentique attitude de “neutralité bienveillante”.
Nous avons été conduits presque tout de suite à adopter un style franchement didactique. Ceci a sens doute découlé en grande partie de l'apétance de nos thérapeutes pour les révélations psychanalytiques. Notre expérience nous permet à cet égard de faire les propositions suivantes, qui fondent notre technique actuelle : -1- Nous pouvons interpréter sens restriction le discours du malade lui-même et nous ne nous privons, donc pas de le faire. La discussion collective est d'ailleurs fort précieuse à cet égard car, avec des participants déjà un peu entraînés et connaissant peu d'inhibitions, elle fait saillir de multiples surdéterminations qui échappent souvent à une personne unique : c'est que cette discussion draine, à partir du noyau constitué par l'entretien lui-même un matériel venu de tous les coins de l'institution. Elle éclaire la vie quotidienne du malade et de quelques autres sous divers angles et elle en fait saillir de multiples aspects. Nous pensons que ceci est également capital du point de vue didactique car de telles discussions amènent chez le personnel soignant une mutation radicale dans la façon de voir et d’entendre le malade.
-2- En ce qui concerne les propos, les interventions verbales ou autres des thérapeutes au cours de l’entretien, nous avons été jusqu’à présent d’une grande prudence nous gardant la plupart du temps d’interpréter. Lorsque nous avons cru pouvoir le faire, nous avons considéré que ce qu’il y avait à interpréter chez le thérapeute concernait non seulement sa relation avec le malade lui même mais aussi et peut-être surtout ses relations avec les autres membres de l’Institution et bien entendu plus particulièrement avec le médecin-chef qui se trouve être également directeur du groupe. C’est d’ailleurs cette complexité fondamentale du problème qui rend pour nous difficile la pratique d’interprétations ainsi situées et nous inspire pour le moment une assez vive réserve. Nous pensons pourtant que l'entreprise que nous menons ainsi constituant qu'on le veuille ou non une thérapie des thérapeutes, il y aurait intérêt certain à en affiner la méthode et à disposer d'une technique d'interprétation un peu élaborée.
Il faut bien dire cependant que, comme nous le verrons plus loin, une véritable évolution thérapeutique des membres du groupe s'effectue peu à peu, et nous ne pensons pas nous tromper en avançant qu'il s'agît là d'un effet du travail en groupe lui-même. Nous ne voulons pas tenter ici d'analyser en détail les ressorts thérapeutiques qui peuvent jouer dans une telle institution, ceci déborderait de trop loin notre sujet. Rappelons simplement que nous avons fait allusion tout à l'heure à une certaine mise en situation des membres du groupe que nous avons appelés “nivellement”; On pourrait sans doute dire d'une autre façon que ce qui a été mis en place, c'est un appareil institutionnel ayant fonction de castration. Notons aussi qu'un tel appareil remplit dans notre cas une fonction d'autant plus importante que les membres du groupe ont dans l'hôpital, comme nous l'avons noté, des fonctions très diverses et surtout occupent des échelons très divers de la hiérarchie administrative.
Pour laisser l'accent sur la structure du groupe, nous pouvons aussi faire remarquer que le médecin qui le dirige ne présente pas de matériel et n'a d'ailleurs aucun malade en psychothérapie individuelle dans son service : sa position dans le groupe est donc particulière, elle est marquées par une différence et se définit entre autres par un trait négatif très appuyé. Ce qui n'empêche pas sa fonction dans le groupe de pouvoir être assumée transitoirement par qui veut la prendre : noue avons vu que personne ne se privait de donner une opinion et même d'interpréter.
Quant aux autres membres du groupe, ils se trouvent tous dans des positions par définition non seulement équivalentes mais surtout interchangeables et qui permutent effectivement sans cesse : chacun apporte tour à tour son matériel (sans toutefois qu'il y ait un tour de rôle établi ; on s'entend entre soi, et ce qui prime en général, c'est le désir qu'on éprouve de parler de son malade), et chacun écoute et critique celui des autres. Comme dans tout groupe de ce type, il y a donc à l'oeuvre une dialectique du sujet, et de l'autre dont les effets sont vraisemblablement considérables.
Nous ne donnons ces indications que pour situer le problème et montrer que, sous une forme de discussion apparemment banale (et elle l'est effectivement, mais c'est la banalité même qui est profonde) se dissimule toute une machinerie relationnelle dont nous sommes loin d'avoir épuisé la description et qui constitue en elle-même un appareil thérapeutique à fonctionnement quasi-automatique.
Quels sont donc, au bout de 20 mois de pratique, les résultats de cette expérience ? Il est casez difficile d'en parler dans la mesure où cette expérience n'a pu être menée dans des conditions d'isolement qui permettraient de lui attribuer à coup sûr certains effets constatés. Elle est venue conjuguer son action avec celle des réunions de personnel, des psychothérapies de groupe, des activités sociothérapeutiques, des autres méthodes de formation que nous utilisons, etc... Nous n’aborderons pas ces “résultats” qu’avec une certaine réserve que nous demandons à nos lecteurs de partager.
Ce que nous attendions avant tout de ces psychothérapies, c'est un changement d’attitude du personnel soignant vis à vis du malade. Non que, dans l'ensemble, le personnel du service ait conservé une attitude asilaire : nous rappelons à qui l’ignorait que, dès les années 4, l’Etablissement psychothérapeutique de Fleury-les-Aubrais a été défriché et sérieusement travaillé par DAUMÉZON, et c'est bien parce que les comportements asilaires ne subsistent plus ici qu'à l'état de vestige
que nous avons pu lancer des infirmiers dans de véritables entretiens psychothérapiques. Mais nous pensions qu'il y avait beaucoup à faire encore, ici comme ailleurs, pour que chacun, dans sa pratique quotidienne se comporte à chaque instant avec les malades d'une façon véritablement thérapeutique, ce qui représente l'idéal que nous devons nous efforcer d'atteindre. Disons d'ailleurs que nous sommes encore loin de savoir exactement en quoi peut consister, dans telle et telle circonstance, un comportement thérapeutique :
aussi avons-nous toujours pensé que le plus court chemin pour atteindra ce but était d'amener d'abord les gens à s'observer eux-mêmes, à se mettre en question à se demander pourquoi ils agissaient de telle ou telle façon.
Sur ce terrain, nous avons l'impression que notre expérience est tout à fait concluante. Nous citons ici les propos qui ont été tenus lors des réunions
consacrées à la préparation de cet article :
“Ca oblige à se poser des questions, à réfléchir sur ce qu'on a fait, à se demander pourquoi on agit comme ça et pas autrement...
Si un malade se met en colère par exemple, on se demande mieux pourquoi ; on ne se contente pas du motif superficiel...
On a plus de contacts avec les malades, on a des contacts plus faciles ; on est plus réceptifs, on discute plus longuement avec eux : avant, on leur coupait davantage la parole ; maintenant on les écoute ; on avait aussi tendance à abuser de notre autorité sans s'en rendre compte...
On considère davantage le malade comme une personne, un être humain avec
une histoire....
C'est une autre conscience de la profession qui est apparue, une tout autre vision du malade et de la maladie mentale...
Les chefs d'unité de soins se sentent davantage responsables des malades, davantage engagés avec eux ; avant, ils se sentaient responsables -surtout de leur équipe, de la marche du pavillon...
-Au début, il y a eu chez certains un mouvement de recul, mais au moins depuis six mois on parle des malades d'une autre façon, même dans les pavillons très ambivalents ;- c'est peut-être particulièrement net pour les éthyliques : autrefois, certains infirmiers les considéraient nettement comme des saloperies.
Il ne venait même pas à l’idée qu'ils étaient malades : avec eux, c'était simple,
on faisait les épreuves en série, on n'écoutait pas leurs histoires ; On pensait avoir tous les droits sur le .malade : par exemple ajouter 2 ou 3 comprimés d'Espéral pour qu'il réagisse ; maintenant, personne ne se sentirait plus le droit de faire ça ; Il reste peut-être encore deux ou trois infirmiers dans le service qui regrettent les anciennes méthodes sans trop oser l'avouer ; mais même chez ceux-ci, on commence à sentir un début d'évolution ; l’un d'entre-eux a beaucoup changé en tout cas ces derniers mois, on l'a vu évoluer à vue d’oeil.
La barrière entre Infirmiers et malades commence à tomber en ce que chacun a le droit de dire ce qu'il veut ; il y a une tendance au nivellement ; ça apparaît par exemple dans des plaisanteries : “en l'an 2000, il n'y aura plus de différence : tout le monde sera malade”.
Tous ces propos sont assez clairs. Ils mettent également en évidence un fait important : c'est que les participants du groupe n'ont à aucun moment l'impression d'être les seuls à avoir changé, c'est de l'évolution d'ensemble du service dont il s’agit toujours. Une de leurs préoccupations constantes a en effet été de ne pas se couper des autre du fait de leur participation à une expérience qui apparaît comme très “en pointe”. Ce souci et les mesures institutionnelles, qu'il a inspirée, a été pour beaucoup dans la diffusion des méthodes nouvelles. Cette diffusion est d’ailleurs objectivement constatable : on ne compte plus les infirmiers qui prennent le temps de discuter parfois très longuement avec leurs malades et conduisent apparemment ces entretiens avec beaucoup de neutralité et beaucoup de bienveillance.
-l'es relations se sont également modifiées parmi le personnel soignant. De façon générale, on cherche d'avantage à coordonner l'action des uns et des autres : on a pris l'habitude de se concerter et souvent de se confronter avant de prendre une décision, que ce soit entre infirmiers de fonctions diverses ou à l'intérieur du même pavillon. On se rend compte que personne n'a vraiment un rôle privilégié dans le traitement d'un malade, que le traitement est un ensemble de soins, que chacun y a son rôle à Jouer. Même les psychothérapies, qui sont apparues comme quelque chose de tellement extraordinaire au début, quelque chose de très calé, on voit bien que ça ne peut pas marcher si on ne s'occupe pas du malade par ailleurs, s'il n'a pas d'autres activités, si les autres infirmiers se désintéressent de lui.
Au début, on est d'ailleurs tombé dans des pièges et il a fallu quelque temps pour les éviter. Par exemple, les infirmiers avaient tous plus ou moins tendance, avec un malade en psychothérapie, à adopter une attitude de neutralité, d'ailleurs très difficile à tenir dans la vie quotidienne du service. On rationalisait cette attitude en disant qu'on ne voulait pas gêner la psychothérapie, mais bien entendu, il se cachait là dessous tout un lot de sentiments hostiles et critiques, de rivalités inconscientes, de craintes et d'angoisses de toute sorte, etc... Inversement d'ailleurs, le psychothérapeute était peut-être le premier, sinon le seul, à vouloir à tout prix qu'on prenne des décisions pour le malade dont il avait la charge, et à proposer lui-même des décisions parfois tout à fait intempestives.
Les conduites de rejet ont été également bien analysées : sous couvert de neutralité, on refuse, en fait, de s'occuper en quoi que ce soit du malade en psychothérapie, et celui-ci peut en arriver à produire des acting-out en série qui obligent, en fait, à s'occuper, de lui, parfois dans des conditions d'urgence parfaitement inopportunes. Ces conduites de rejet manifestent, en fait, chez le personnel une attitude concurrentielle à l'égard du psychothérapeute : inconsciemment, on s'arrange en somme pour que la psychothérapie tourne mal et aboutisse à une impasse. Ceci engendre évidemment un vif sentiment de culpabilité chez le thérapeute qui a bien du mal à garder son sang-froid et à ne pas se livrer, à des manifestations parfaitement antipsychothérapiques. A la limite, tout le monde pourrait se dire que les psychothérapies sont des méthodes dangereuses dont il est préférable de s'abstenir dans une institution. Ceci montre seulement qu'il est indispensable pour entreprendre de telles psychothérapies de les réinsérer constamment dans l'ensemble institutionnel et de disposer des lieux nécessaires pour confronter les points de vue, faire évoluer les attitudes et coordonner l'action thérapeutique. Malgré la multiplicité des réunions régulières dans le service, il nous est parfois arrivé de devoir tenir des réunions extraordinaire pour pour tenter de liquider de tels problèmes.
Si ces difficultés donnent pas mal de soucis et de peine, nous pensons toute-fois qu'elles sont précieuses dans une Institution comme la nôtre : l'ampleur des phénomènes induits tant chez les malades que chez le personnel est, en effet telle que, pour peu que les gens soient déjà rompus à se mettre en question, tout le monde ou presque a le sentiment que chacun est concerné dans l'affaire et que personne n’est pur de toute responsabilité. Il est donc relativement facile de faire évoluer des positions qui s'il n'y avait pas de ces petits drames pourraient demeurer parfaitement fixées, et nuire tout autant au traitement des malades. Nous avons même l'impression que les psychothérapies, comme d'autres nouveautés - d'ailleurs, ne font guère qu'exacerber et faire saillir des conflits préexistant, sous une forme plus larvée et plus tolérable. C'est ainsi que des conduites de rivalité développées à propos d'un ou deux malades en psychothérapie ont permis à peu de frais de faire prendre conscience aux intéressés de certains mobiles affectifs encore peu clairs. D'une façon générale, ainsi que nous l'avons dit plus haut, les gens se rendent rapidement compte qu'en de telles circonstances leur affectivité .leur joue des tours et qu'il convient au moins de se poser des questions même si les affects en cause ne parviennent pas encore clairement à la conscience.
Les psychothérapies ont encore modifié dans une certaine mesure l'existence personnelle des thérapeutes. On peut remarquer tout d'abord que, plus que
dans toute autre réunion organisée dans le service, les discussions de notre groupe sont souvent illustrées de souvenirs ou de constatations tirées de la vie personnelle des thérapeutes. Il s'agit bien sûr très souvent de souvenirs d'enfance. Lorsque nous avons fait le bilan de notre expérience, nous avons relevé à ce sujet les propos suivants :
Un tel, ça l'a vraiment transformé, avant, il était dur avec ses enfants, maintenant il a complètement changé de comportement avec eux ; de même pour un autre : ça a eu un excellent effet sur sa vie familiale. Mme X... reconnaît qu'elle fait plus attention avec son fils, qu'elle se pose des questions et réfléchît sur tout ce qu'il dit et sur ce qu'il fait..
Un autre infirmier trouve qu'il n'est plus si sûr de lui, plus si entier dans ses opinions, et pas seulement sur le plan professionnel ; en contrepartie, il lui arrive de subir un sentiment d'insécurité parfois assez angoissant...
Plusieurs personnes ont cette impression de n'être plus aussi sûres de leurs opinions, de leurs jugements, ce qui est parfois pénible : on a démoli certaines choses ; On s'est bien rendu compte qu'on ne pouvait plus s'y accrocher. Mais maintenant ça laisse un peu un vide, on ne sait pas encore bien quoi mettre à la place...
Du point de vue familial aussi, ça suscite quelques difficultés chez certains :
l'entourage se rend compte qu'ils ont changé et qu'ils changent encore, ça pose des problèmes...
Même en reconnaissant que tout, dans les changements et les évolutions que nous avons notés ne découle pas de notre expérience de psychothérapies, il reste que nous possédons probablement là une méthode assez efficace pour susciter de tels mouvements chez le personnel soignant Que les malades en tirent un bénéfice thérapeutique, c'est d'autant moins douteux que nous l'avons dit :il s'agît d'une évolution en profondeur de toute l'institution. Il reste cependant à se poser une question : les malades qui ont été pris ainsi en psychothérapie, qu'en est-il résulté pour eux ? Nous allons voir qu'il est difficile de porter un jugement d'ensemble sur ce point ; car ces malades posaient des problèmes extrêmement divers et ont d'ailleurs évolué de façon très diverse. De plus, les psychothérapies ont été conduites conjointement avec d'autres traitements, ce qui pose des problèmes pratiques que nous évoquons. Enfin, ces psychothérapies ont été effectuées dans des conditions et avec des intentions elles-mêmes très hétérogènes. Dans ces conditions, on nous permettra de demeurer très réservés quant à l'intérêt thérapeutique propre de ces psychothérapies.
Dix des 38 malades qui ont fait l'objet de cette expérience étaient des schizophrènes post-processuels anciens, menant à l'établissement une vie très routinière et stéréotypée. Nous avons rangé dans ces dix cas un jeune homme généralement considéré comme arriéré mental, dont la psychothérapie a bien fait tomber le masque d'arriération et à mis en évidence des problèmes, psychotiques certains. Sur ces dix malades, un est décédé au bout de quelques semaines d'une affection apparemment intercurrente (phlébite et embolie pulmonaire) ; un autre a constitué une récidive de tuberculose pulmonaire peut-être en relation avec la tentative de traitement (cette psychothérapie s'était d'ailleurs révélée assez riche et animée, ce qui surprend chez un malade très chronique et très effacé) :smile: son retour du service de phtisiologie, il a refusé catégoriquement de reprendre les entretients ; son comportement est pratiquement identique à ce qu’il était antérieurement. Cependant, il faut noter que la psychothérapie a amené ce malade à reprendre quelques contacts avec sa famille qu’il n’avait pas vu depuis une vingtaine d’année.
Dans ce groupe, une autre psychothérapie a été abandonnée au bout de six mois environ par découragement, les propos du malade restant extrêmement stéréotypés et superficiels. Un autre schizophrène s'est dérobé au bout de quelques semaines. sans qu'il soit possible jusqu'à maintenant de le raccrocher.
Deux psychothérapies enfin ont été interrompues parce que le thérapeute quittait le service. Dans l'un de ces cas, le thérapeute comptait reprendre ses entretiens au bout de quelques semaines, mais ses nouvelles fonctions lui ont décidément rendu cette entreprise difficile et il a fallu y renoncer. Là encore, il s'agissait d'un schizophrène, assez fixé, d'allure très psychasthénique, qui a réagi à cette interruption par un surcroît de passivité et de laisser-aller et qu'il a fallu quelques mois pour remettre un peu en selle : exemple donc d'une interruption mal préparée de la cure et d'une erreur à ne plus commettre. Dans l'autre cas, le départ du thérapeute a pu être envisagé plusieurs mois à l'avance et l'interruption de la psychothérapie a pu s'effectuer dans de bonnes conditions. Les progrès très sensibles réalisés par ce malade pourront vraisemblablement être maintenus et consolidés.
De ce groupa de dix malades chroniques, menant une vie véritablement asilaire, quatre donc restent actuellement en psychothérapie. Au bout d'un à deux ans de ce traitement, on peut dire que tous quatre ont réalisé des progrès très sensibles, mais ceci ne va pas sans certaines difficultés ; depuis quelques mois, un de ces malades a “oublie” par exemple, ses séances, s'y présente à une heure où le thérapeute est absent ou indisponible. Chez ce même malade et chez un autre du même groupe, la psychothérapie a entraîné parfois une recrudescence d'angoisse de dissociation à laquelle nous avons dû répondre par une cure de sommeil ; or, nous avons constaté qu'au réveil de la cure, le malade se sentait bien, beaucoup plus à l'aise, mais que le contenu des séances devenait soudain extrêmement pauvre et sans grand intérêt. Le traitement biologique entraîne évidemment dans ces cas une reconstitution de défenses inopportunes, et il est donc difficile d'intégrer le processus psychothérapique dans une stratégie thérapeutique globale, où il peut éventuellement s'articuler avec différents traitements biologiques et médicamenteux, avec différentes indications d'ordre sociothérapique, etc...
Quoi qu'il en soit, la plupart de ces malades chroniques ont au moins tiré un bénéfice de la psychothérapie; on les a découverts ou redécouverts. Pour certains d'entre eux, le soi-disant débile profond dont nous parlions plus haut, par exemple, la surprise a été de taille : jamais, dans le courant de l'existence quotidienne à l'hôpital, ces malades n'avaient révélé une telle richesse de préoccupations, d'intérêts, de souvenirs de toute sorte. Aux yeux d'une partie du personnel, ces malades se sont vraiment mis à exister, ce qui n'est pas rien. Du coup, on a bien plus souvent parié d'eux aux réunions. on s'est posé des questions au sujet de leur emploi du temps. on a cherché à rencontrer leur famille, etc... Avec eux, ce sont les autres malades chroniques qui profitent de cette évolution des idées: on commence à détecter sous le vide apparent de leur existence une richesse enfouie qu'on pourra peut-être un Jour exploiter, pour ceux d'entre eux, du moins, qui n'ont pas encore atteint l'âge du respect thérapeutique.
A l'opposé de ce premier groupe nous trouvons huit malades hospitalisés pour des épisodes pathologiques plus ou moins aigus, représentant une décompensation d'un état névrotique antérieur. Ces épisodes aigus étalent variés dans leur forme, allant de la dépression anxieuse banale à l'expérience interprétative de pronostic spontané très grave. La psychothérapie se proposait deux buta dans ces cas: d'une part, d'élucider ai possible les conditions de constitution de l'épisode aigu et, d'autre part, de modifier peut-être en profondeur les dispositions personnelles du malade. Plus sans doute que chez tous les autres, il est difficile de se faire une idée, en ce qui concerne les malades, de l'intérêt réel que présentait pour eux la psychothérapie. Six d'entre eux ont, bien entendu, quitté l'Etablissement et repris une activité normale un septième s'apprête à en faire autant, mais ce n'est pas sur ce critère que nous pouvons noua prononcer quant à ce qui nous préoccupe ici. Disons plutôt que pour cinq de ces malades, le déroulement même des entretiens a montré à l'évidence
qu'ils atteignaient leurs buts et qu'ils avaient été très opportunément proposés. Nous citerons, par exemple, un homme d'une cinquantaine d'années, dont le fils, schizophrène, se trouve également hospitalisé dans le service : les entretiens psychothérapiques ont amené une élucidation certaine d'une partie au moins des relations familiales pathogènes ; ils ont également permis au malade d'évoquer très longuement ses expériences militaires pendant la guerre d'Algérie, dont le rôle pathogène était fort probable. Il est à noter que cet homme, déjà soigné à plusieurs reprises dans le service pour des épisodes anxieux analogues, n'avait jamais abordé vraiment ces sujets dans les entretiens qu'il avait pu avoir avec les infirmiers ou les médecins.
Nous parlerons maintenant d'un groupe de dix malades psychotiques anciens, pour la plupart des schizophrènes post-precessuels, que nous distinguons nettement de ceux du premier groupe parce que, pour des raisons de circonstances, ils ont eu la chance d'échapper a une chronicité asilaire. Quatre d'entre eux ne font d'ailleurs que des séjours plus ou moins brefs et espacés a l'Etablissement, trois de ceux-là étant suivis en psychothérapie dans le cadre du Dispensaire d'Hygiène Mentale. Parmi ces dix malades, trois semblent à peu près tirés d'affaire, ils ont une activité sociale régulière.Quatre autres évoluent d'une façon très favorable et deux d'entre eux ne présentent plus depuis longtemps aucune manifestation psychotique. Pour. ces sept malades, le déroulement même de la psychothérapie s'effectue de façon très encourageante. Nous devons dire, d'ailleurs, que c’est dans ce groupe de malades que nous rencontrons le moins de difficultés pratiques, en particulier en ce qui concerne leur coopération au traitement. Nous devons signaler aussi que huit de ces malades, en plus de la psychothérapie individuelle et des activités de toute sorte qu'ils ont à l’Etablissement participent encore à des séances assidues et régulières de psychothérapie analytique de groupe.
Le dernier groupe, assez disparate, que nous présentons, est constitué de onze malades que l'on peut situer comme des névrosés graves, les problèmes névrotiques ayant d'ailleurs entraîné l'hospitalisation. La psychothérapie de ces malades est incontestablement la plus difficile de toutes dans les conditions où nous travaillons : dans six de cas, nous avons aboutit à des impasses dont nous n'avons pu nous tirer. Il s’agit de malades extrêmement retors qui s'efforcent d'utiliser la psychothérapie pour en tirer des bénéfices secondaires, esquivent par toutes sortes de procédés un approfondissement réel de leurs difficulté, et parviennent, si l'on n’y prend pas garde, à jouer les uns contre les autres les membres du personnel soignant et même les autres malades. Il n'y a d'ailleurs rien qui puisse surprendre dans ces difficultés : ce sont des malades qui sont venus à l'hôpital soit pour fuir quelque chose, soit pour tirer un profit quelconque de l'hospitalisation, mais jamais avec le souci véritable de faire quelque chose pour s'en sortir. Pour Je moment, nous ne sommes pas en mesure de résoudre ces difficultés dont la solution ne se trouve d'ailleurs certainement pas au niveau de l'abord psychothérapique proprement dît, mais nécessite sans doute des moyens autrement variés, aussi bien dans l'hopital qu'au dehors.
Nous devons cependant signaler que dans ce dernier groupe, un de nos malades, bien qu’ayant interrompu prématurément sa psychothérapie, a quitté l’Etablissement et mène une vie acceptable, et que trois autres poursuivent encore actuellement leur traitement.
Voila ce que nous pouvons dire actuellement sur notre expérience. dans l’ensemble, nous n’en sommes pas mécontents car nous pensons avoir obtenu quelques succès thérapeutiques, elle nous a fait beaucoup réfléchir et nous avons l’impression que toute l'institution en retire au fond quelque chose. Nous pensons que c'est en fonction de tels critères et de telles perspectives qu'il faut juger de telles expériences, qui n'ont plus grand-chose à voir avec ce qui se fait au cabinet de l'analyste. Il s'agit ici de psychanalyse appliquée, et appliquée à des conditions et à des circonstances très impures, et très impropres : nous avons un peu l'impression, parfois, de nous servir d'un outil de précision très compliqué, très précieux, à la façon d'un marteau ou d'une défonçeuse. Le plus curieux est que, jusqu'à plus ample informé, cet outil nous également propre à cet usage.
DISCUSSION
Dr OURY: On oppose souvent à la probabilité de prise en charge psychanalytique à l'intérieur de l'hôpital la notion de neutralité analytique. Comment pouvez-vous assumer la relation analytique, nous dit-on, dans un milieu où les gens vous voient en tant que médecin, en tant qu'existant, avec votre famille et tous vos problèmes personnels ? Cette question, par qui est-elle posée ? Par des médecins qui ne veulent pas trop se mouiller dans l'hôpital ? Par des psychanalystes exerçant en ville, loin de cette atmosphère asilaire ? Par des psychologues à qui on a parlé de la fameuse neutralité analytique et des règles strictes d'exercice de cette discipline ? Sommes-nous condamnés à ne pouvoir exercer une technique analytique à l'intérieur des hôpitaux, là où réside l'immense majorité des bénéficiaires de la découverte freudienne dans des conditions plus ou moins précaires ? La possibilité d'extension de cette technique mérite que nous nous penchions un peu plus sur ses conditions d'exercice. Certaines personnes - assez rares - redoutent d'être prises en analyse par des gens qu'elles connaissent. C'est déjà là un symptôme d'entrée en analyse dont il est discutable d'envisager le résolution plus ou moins rapide. C'est une sorte de défense consciente dont les ressorts n'ont certainement pas grand chose à voir avec la notion de neutralité. L'analyste de ville a-t-il une position de vraie neutralité ? Bien souvent, il est installé dans sa profession et exerce honnêtement son métier sans s'être posé la question de savoir si son statut social est un facteur qui a un rôle quelconque dans la relation analytique proprement dite, si son "être de classe" est à articuler topiquement dans le registre de l'lnconscient. Dans quelle mesure les demandes qui nous sont adressées peuvent-elles être métabolisées dans une articulation signifiants efficace ? N'y-a-t-il pas là, au niveau même de la pulsion, des facteurs sociaux qui, fondamentalement, en modifient la portée et le sens ? Ne trouve-t-on pas un barrage extra-analytique qui, faute d'être intégré dans la relation, empêche le patient d'accéder à une relation transférentielle suffisante ? La méconnaissance, sinon la forclusion de cette dimension par l'analyste risquent de fausser son approche diagnostique, rejetant dans l'incurabilité des sujets tout à fait aptes à bénéficier de cette technique. Le problème de l'argent peut grossièrement schématiser, par son exigence massive, cette barrière qui dresse le professionnel pour empêcher de venir à lui des êtres un peu trop dépourvu. Entendons bien qu'il ne s'agît pas là, dans cette critique, d'une entreprise dont le but serait de faire glisser la psychanalyse dans le registre de la charité. Mais l'histoire des Sociétés analytiques nous indique trop qu'il y a, du côté du social, un manque de maîtrise, une non connaissance, qui précipitent chroniquement ces sociétés dans des problèmes d'aliénation d'une triste banalité. Pourtant, la découverte freudienne demande à être respectée et doit être en masure d'apporter un éclaircissement particulier à l'ensemble de ces processus complexes. Nous sommes certains que cet aspect ne doit pas être négligé, ne serait-ce que par la plus élémentaire prudence veut qu'on ne considère pas comme fermée une science qui n'en est qu'à ses débuts et même, dans beaucoup de cas, qu'à ses balbutiements. Nous ne pouvons pas ici développer tous les aspects de ces problèmes majeurs.
Mais c'est dans cet esprit que nous n'avons pas hésité à prendre en analyse des malades et des moniteurs d'un collectif psychiatrique dans lequel nous travaillons. Ceci exige une rigueur théorique et l'approfondissement analytique de tout ce qui est mis en jeu. Nous en avons déjà parlé au Congrès de Barcelone de 1958.
C’est ici que l'apport théorique de LACAN nous semble indispensable. A l'intérieur de l'Institution, il est tout à fait évident que différents registres se distinguent : l'imaginaire et le symbolique et, d'autre part, le réel. La position de l'analyste, dans la relation analytique, se définit clairement dans le jeu de ces différents plans. Le problème de la neutralité n'est pas un problème de la réalité, mais un problème de topique très spéciale : il s'agit de pouvoir répondre d'une certaine place .../...
GENTIS Roger : - "Le droit à la connerie"
GENTIS Roger : - "Ecrire un pack" - Extrait de EMPAN n. 11 Juin 1993 pp. 61-64
GENTIS Roger :- "Psychothérapies individuelles dans un service hospitalier". Revue de psychothérapie institutionnelle - N°5 - 1967
GENTIS Roger : - "Traité de psychiatrie provisoire" - cahiers libres 318-319 / françois Maspero
GENTIS Roger : - "Paroles techniques et paroles émotionnelles dans les thérapies corporelles".