la schizophrenie

Et lutte contre les pseudo-sciences et les obscurantismes

Message par iko » 17 Fév 2005, 03:55

Mes excuses, camarades si vous trouvez que je n'avance rien dans le débat.
C'est juste un peu peinant d'avoir ce message de Shadoko juste après ce texte que je vous ai envoyé sur la "perte de l'évidence" dans la schizophrénie.

J'ai effectivement du mal à vous faire un reader-digest de la psychanalyse et de la psychothérapie institutionnelle. J'ai essayé de prendre comme biais de la discussion avec vous la revendication d'un espace possible pour une théorie qui s'appuie sur le fait que l'homme est un être parlant, que cela fait rupture avec le reste de monde animal et qu'en partant de là, cela va influer sur la prise en charge les sujets souffrants.

Les animaux n'ont pas de problème avec leur origine. Chez eux on peut rester à la notion de cause.

Mais chez l'homme la question de l'origine se pose parce que tout sujet est parlé avant de parler et d'ailleurs le "moi" parle, le "moi" parle en se prenant pour le "je". Mais derrière, il y a le sujet où "ça parle", ce qui va faire qu'il va y avoir des ratés dans le discours.

Et dans la schizophrénie, les mots et les choses vont se dissocier. Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que pour les schizophrènes, ce qui est pour nous une liaison évidente ne l’est plus. (Même si, les « formations de l’inconscient » viennent nous rappeler que cette « liaison représentation de chose/représentation de mots » ne se limite pas à deux éléments préétablis comme dans les ordinateurs) Ces mots nous ont été donnés par l’autre (l’Autre) et c’est à travers les premières expériences qu’ils vont se rattacher à des objets, des personnes, des sensations, des sentiments. C’est un échange permanent avec des parents, une fratrie, une famille, un social. C’est tout cet « Umvelt », ce monde qui nous accueil, lui-même avec des effets directs, visibles, objectivables, qui va conduire à la naissance d’un sujet dans ses interactions de petit humain qui vient de naître. Mais d’autres inscriptions vont être transmise, qui viennent des générations antérieures, ou plutôt qui se sont inscrites dans l’histoire des proches nourriciers, à leur insu, d’une manière qui leur est propre.


Et dans tout ce travail de construction d’un sujet parlant, il va y avoir des ratés. Il n’y a que chez les humains qu’il y a des psychotiques. Chez les animaux en laboratoire, on crée des symptômes qui se rapprochent de la lignée soit catatonique, soit perte des fonctions cognitives, etc.. Mais la schizophrénie, c’est autre chose. La folie est le propre de l’humain, seul animal parlant. C’est peut-être dû à un défaut de bifurcation cérébrale, mais si défaut il y a, nécessairement ce défaut survient à un moment particulier dans la construction du futur sujet, selon des règles qui sont régit par l’ordre du langage.

Et le transfert, cela va résulter du fait que dans toute rencontre vont se mettre en branle de multiples liens pulsionnels qui vont faire que l’autre en face de soi va être beaucoup plus qu’un nouveau venu encore inconnu.

La théorie analytique, surtout quand on s’occupe des schizophrènes, nécessite des années de travail, d’écoute et de « faire avec ». C’est dur à transmettre sur un forum.
Le transfert a de multiples facettes selon à qui l’on s’adresse. Dans l’exemple plus haut, l’analyse du transfert (et du contre-transfert même si je n’aime pas ce terme) va permettre de ne pas laisser le patient tomber. En ce sens, l’écriture est un effet du transfert. Si Danièle Roulot n’avait pas écrit sa thèse de psychiatrie puis ce livre, elle ne serait peut-être pas arrivé à tenir sa place et se serait mise aux thérapies brèves. Qu’est-ce qu’on en sait ?
En effet, ce patient dont parle elle, si elle arrête de le voir ses dix minutes par jour ou tous les deux jours, et bien il risque de se retrouver dans l’horreur de la dissociation là où le mot chapeau ne veut plus rien dire, ni tout le reste ! Le schizophrène est dans le Réel au sens de Lacan. En sachant que le Réel est ce qui est à jamais rejeté hors de soi chez les « névrosés mayens » que nous sommes tous quand nous avons la chance de ne pas être psychotiques .Ce qui est rejeté hors de nous, c’est le rapport direct à la Nature, au monde matériel. Quand on se lève le matin, ça-va-de-soi que l’on va aller se laver les dents avec une brosse à dent qui est la brosse à dent de la veille (sans aucun doute sur cette question), ou qu'on va se faire chauffer un peu d’eau en retrouvant la cuisine aussi crade qu’hier, ou qu'on va faire un câlin à celui (celle) qui se réveille à son côté.

Les schizophrènes, eux, il leur faut parfois refaire le monde tous les matins. Ça ne tient pas. Et souvent cela nécessite un milieu institutionnel assez désaliéné, avec assez de membres dit « soignants » qui savent que ça-ne-va-pas-de-soi pour tout le monde. Ça angoisse de se retrouver devant quelqu’un pour qui le sens des choses se dérobe. Et pour ne pas transformer cette angoisse en fuite ou en désir de dressage, avoir tout un appareillage théorique institutionnel et personnel sans cesse mis à l’épreuve des faits, est une sacrée aide, quasi indispensable.

La folie a toujours fasciné et fait peur à la fois. Elle dit sur l’être de l’homme bien plus que quelques disfonctionnements neuronaux.


Pour la discussion, je veux bien faire une concession à Canardos ce soir. Je lui demande grâce et me rends sur son organicité de la schizophrénie. Non pas qu’il m’a convaincu. Mais la discussion n’a pas de sens, car cela ne change rien à la question. Je voulais avoir le droit de dire qu’il peut exister au moins un schizophrène qui n’a pas de fragilité génétique au départ pour être devenu schizophrène. J’abandonne cette prétention. Ça pourrit trop le débat. Chacun pourra s’en faire l’idée qu’il veut et pourra réviser son jugement quand il le veut. Passons à la suite. Ça n’empêche pas la terre de tourner, ni les schizophrènes d’être des schizophrènes.

Pour finir ce soir, j’aimerai bien que quelqu’un me dise comment on peut sélectionner les textes qu’on a déjà écrits.
Je vais ouvrir un nouveau fil, où je commencerai par vous mettre tout ce que je crois avoir dit sur la psychanalyse et la psychothérapie institutionnelle.
J’essayerai de commenter les morceaux choisis et ensuite nous aviserons. Je pars 15 jours dans 8 jours. Vous aurez le temps de me préparer vos questions.

Dernière défense, j’ai trouvé que ce que Caupo et Cyrano ont dit sur la psychanalyse était très bien (même si je peux avoir quelques petites divergences ; le front unique, en quelque sorte, surtout qu’on a chacun planté son drapeau dès le départ… je n’oublie pas quidam et wapi, mais nous avons le même drapeau…). Leur début de présentation m’a semblé suffisant pour que je choisisse de m’attaquer en priorité à mon problème principal : vous faire comprendre que prendre en charge un schizophrène est bien plus compliqué que les certitudes que j’avais lu sur le tout premier fil contre la psychanalyse. Je pense quand même (on peut toujours rêver !) que cette question est désormais ouverte pour la majorité d’entre vous. A moi maintenant de vous convaincre que vous avez eu raison de l’ouvrir.

J’ai encore du boulot devant moi si je comprends bien Shadoko.
iko
 
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Message par iko » 17 Fév 2005, 10:50

as-tu déjà vu des animaux qui ont des hallucinations visuelles ou auditives sans lésion expérimentale ou naturelle au cerveau ?

je pense que c'est le propre de l'home.
iko
 
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Message par Quidam » 17 Fév 2005, 22:10

Canardos libre à vous de creer un fil sur la psychose chez les animaux mais j'ai l'impression qu'on a pas fini ici d'épuiser le sujet de cette souffrance chez 1 pour cent environ d'entre nous.
Wapi et Iko nous ont déjà parlé de l'apport de Tosquelles qui a préconisé un fonctionnement de la psychiatrie sur ses deux jambes la psychanalyse et l'analyse marxiste du milieu.
Ils ne nous ont pas encore dit qu'un autre de ses mérites est d'avoir autorisé l'émergence d'une parole infirmière. On mesure mal aujourd'hui ce qu'il peut y avoir de révolutionnaire dans le fait d'emmener avec lui des infirmiers pour qu'ils interviennent dans des congrès médicaux. Il faut savoir que depuis le "coup d'état" d'Esquirol à la Salpétrière en 1811 dont je vous parlerai plus tard (comme dirait Iko) les infirmiers ou plutôt les gardiens étaient aussi déconsiderés que les gens dont ils étaient censés s'occuper (Je n'ose dire soigner).
L'un de ces infirmiers s'appelaient Marius Bonnet. Il a rédigé un article pour la revue "Esprit" qui a publié une dossier sur la ""misère de la psychiatrie" en 1952. Dans cet article il compare les conditions de réclusion et surtout la déshumanisation qu'il avait vécu alors qu'il était interné à Buchenwald et ce qui se passait à l'asile de Saint Alban avant guerre où son père avait été un des premiers infirmiers diplômés. Par exemple il fait le parallèle entre le statut des Kapos des camps de la mort avec celui des commis.
Cette prise de parole infirmière a été encouragée par Tosquelles qui préconisait un travail de désaliénation sociale du mileu de sorte que chacun se libére des pesanteurs hérarchiques pour donner le meilleur de lui-même.
Il utilisait volontiers la comparaison entre le travail sur l'organisation et le travail d'aseptie du chirurgien qui n'intervient qu'après avoir débarassé le milieu de tout risque de contamination microbienne.
Il a ainsi pu dépasser le présuposé historique selon lequel la place des fous étaient derrière les murs de l'asile pour envisager les soins au plus près de la vie des patients en encourageant les infirmiers à aller voir les patients chez eux, dans les fermes isolées de la Lozère. Ainsi apparaît la notion de continuité de soin qui sera reprise dans la mise en oeuvre de la sectorisation.
Aujourd'hui encore la prise en charge institutionnelle des schizophrènes se référe de près ou de loin à cette avancée historique de St Alban. L'humanisation des soins est intimement liée historiquement à un remodelage des rapports sociaux dans l'organisation d'une part et à la psychanalyse d'autre part les deux étant indissociables.
Quidam
 
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Message par Wapi » 18 Fév 2005, 17:49

Un petit apperçu d'un petit bout de la psychiatrie de secteur par une dame qui a traversé toute cette époque :

a écrit :

LETTRE DE LA SCHIZOPHRÉNIE N 20 - SEPTEMBRE 2000 -RE N C 0 N T R E



ENTRETIEN AVEC HÉLÈNE CHAIGNEAU


PROPOS RECUEILLIS PAR ANNE GUT ET MARTIN RECA


À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, l'urgence en santé mentale portait sur l'état abominable de la vie asilaire. Il fallait « traiter l'hôpital avant tout ». Un contexte social, politique et psychiatrique bien précis a donné naissance à un mouvement de grande envergure en France et à son concept recteur : la psychothérapie institutionnelle. Qu'en est-il dans la France psychiatrique d'aujourd'hui ? La Lettre de la Schizophrénie est allée à la rencontre d'une des personnes les plus représentatives de ce mouvement d'idées et d'actions : Hélène Chaigneau, psychiatre, médecin des hôpitaux psychiatriques de la Seine, a été médecin-chef chargée d'un secteur de service public de psychiatrie à Paris. Elle a consacré toute sa vie professionnelle au travail institutionnel, c'est-à-dire à la recherche et à l'analyse de la pratique des soins et de l'aménagement du collectif d'accueil des sujets malades.

Au cours de vos études médicales, vous avez été attirée par la neurochirurgie ...

Ce qui me tentait dans la neurochirurgie, si vous voulez, c'était l'idée de précision, l'idée de rigueur. Les préjugés de l'époque, qui existent toujours maintenant mais qui étaient plus forts avant, consistaient à dire : « On va trouver ce que c'est, on va y remédier, on va porter le scalpel là où il y a le mal. » C'était ça.

Finalement, vous avez choisi l'opposé puisque la psychiatrie est justement moins précise et pose problème, notamment pour la recherche, par le manque de précision dans les définitions et dans les concepts.

Je ne l'ai jamais vu comme opposé. La psychiatrie, moins précise ? Allez savoir ! Elle n'est pas précise dans le sens où vous l'évoquez. Personnellement, je pense qu'il est d'autant plus important de souligner que la pensée psychiatrique se doit d'être rigoureuse, dans son raisonnement, dans son cheminement. Elle peut poser problème, je suis tout à fait d'accord avec vous ; surtout si, sans l'avoir dit, on considère la psychiatrie comme une science exacte. Car la psychiatrie n'est pas du tout une science exacte. Il est même contestable de dire qu'elle soit une science. Il n'y a pas de psychiatrie sans art. Remarquez, on peut dire que la pratique d'une science exacte demande aussi un art. On ne peut pas laisser les choses compartimentées à ce point-là.

Rentrant dans le vif de notre sujet, quelles précisions pourriez-vous nous donner concernant la psychothérapie institutionnelle ?

Vous avez tout ce qu'il faut pour lire ce qui est nécessaire, en particulier dans l'article de Georges Daumézon et Philippe Kœchlin paru dans les Annales portugaises qu'on trouve facilement et qui remonte à 1952. C'était l'époque où mon ami Philippe Kœchlin était interne chez Daumézon. Daumézon était un grand combattant-combatif, il ne se laissait intimider par rien ! Kœchlin me l'a confirmé tout récemment, car je lui ai enfin demandé : « Pourquoi votre article, aussi important, est-il paru dans les Annales portugaises ? » Il m'a dit que c'était parce que Daumézon était en danger d'être révoqué tellement il s'était rebellé contre l'administration, en faveur des malades ou aussi en faveur du caractère thérapeutique des comportements. Daumézon est un ancêtre très important de la « déhiérarchisation » hospitalière, contre le rapport dominant-dominé des structures des soins ; il trouvait que c'était un scandale, par exemple, que le médecin-chef eût à noter les infirmiers et il ne voulait pas les noter. Moi, pendant toute ma carrière de médecin-chef à Paris, je reposais chaque année la question aux infirmiers « Il suffit que vous me disiez à l'unanimité que vous souhaitez que je ne vous note pas et je ne vous noterai pas. Si vous ne me le dites pas à l'unanimité, je ne le ferai pas. » Parce que j'avais toujours des visites d'un certain nombre d'infirmiers qui venaient me dire : « Si vous ne me notez pas, je ne peux pas prétendre à ceci ou à cela, je suis coincé dans ma carrière. » Donc, je pensais que je me devais d'avoir de l'intérêt pour la manière dont ils voyaient les choses et non pas comme je les voyais moi seule. Alors, Daumézon était en danger et n'aurait pas pu publier en France ce qu'il a publié dans les Annales portugaises. C'est quand même un peu fort.

Dans les Annales, il racontait avec Kœchlin tout ce que l'asile psychiatrique avait de pourri, de malfaisant, etc., et expliquait que, pour pouvoir traiter les malades dans les hôpitaux, il fallait auparavant traiter l'hôpital. Et cet « auparavant » n'étant pas chronologique, cela voulait dire, bien sûr, qu'avant tout nous devions traiter l'hôpital, sinon on ne pouvait rien faire, mais que traiter l'hôpital cela n'avait pas de fin, ce qui veut dire que traiter le milieu institutionnel, ça n'a pas de fin. Si vous me demandez la définition du milieu institutionnel, je vous dis que vous êtes dans un milieu institutionnel, je suis dans un ou deux, trois, quatre... et que cela n'a pas de fin. Ceci est très important. Les institutions sont toujours à (re)créer. La réflexion sur le milieu institutionnel n'as pas de fin. Alors, ils ont donc expliqué cette idée qu'ils avaient de traiter l'hôpital avant tout, avec cette notion de permanence, qui leur a fait dire : « Est-ce qu'il faut traiter l'institution et la traiter sans arrêt ? C'est donc une psychothérapie institutionnelle. » C'est comme cela qu'ils l'ont nommée et ce mot revient à eux. Mais il y a eu ensuite différents mouvements qui se sont greffés là-dessus, en particulier l'arrivée dans la constellation de François Tosquelles, lequel était arrivé de sa guerre d'Espagne à Saint-Alban, en Lozère, où il n'a rien pu être d'autre qu'infirmier parce qu'il avait beau être psychiatre, son statut ne pouvait pas passer de l'Espagne au statut français. Il a donc passé des années sans être reconnu psychiatre. Il a passé son concours de médecin des hôpitaux psychiatriques en 1952 avec moi. J'ai toujours été stupéfaite de sa formation psychanalytique, c'était un psychanalyste « catalan »... Moi, je n'en ai vu qu'un, c'est lui ! C'était plein de couleurs. Tosquelles, lui, a apporté la dimension psychanalytique que n'apportait pas Daumézon. Ils étaient bien copains, n'empêche. Daumézon n'apportait pas cela, il a apporté sa compétence juridique. En effet, il était expert et on faisait appel à lui dans toutes les histoires qui étaient propagées sur la place publique ou à la radio. C'était lui qu'on appelait pour faire Salomon. La psychothérapie institutionnelle est devenue le fief de Tosquelles. Je ne dirais pas qu'il s'en est emparé, je ne sais pas comment ça s'est passé, mais il ne pouvait pas concevoir la chose sans la psychanalyse, et Daumézon n'a jamais fait révérence devant cela. Ils se sont disputés, il a estimé que Tosquelles lui avait volé le vocable. Donc, là il y a eu désordre.

Vous étiez plutôt « daumézonienne » ou « tosquellesienne » dans ces années-là ?

C'est un faux problème. J'ai toujours eu beaucoup d'admiration et d'affection pour Daumézon, mais j'avais un maître à l'époque qui était Paul Sivadon, mon vrai grand maître. On disait plaisamment que Daumézon était le « papa » de Kœchlin, tandis que pour moi, c'était le tonton... ce n'est pas pareil ! Paul Sivadon et Daumézon étaient très bons copains, ils discutaient beaucoup ensemble, mais chacun avait sa position. Moi, si j'avais une position à soutenir, c'était celle de Paul Sivadon. Mais cela ne se passait pas comme cela car je n'ai jamais eu à décider, la question ne se posait pas. Quant à Tosquelles, je l'ai connu et pratiqué dans un groupe qui était, sinon secret, en tout cas confidentiel, qui s'appelait GTPSI, groupe de travail de psychothérapie et sociothérapie institutionnelles. On y venait les uns et les autres, chacun de son propre boulot, de Paris, d'Orléans, de Limoges ou d'ailleurs, on s'enfermait deux ou trois jours dans un hôtel perdu au milieu d'un parc pas loin d'Orléans et on se parlait jour et nuit. On avait très peu d'heures de sommeil, on discutait sans arrêt ; on essayait de parler chacun de son institution, du milieu de travail dans lequel on se trouvait et on échangeait des faits là-dessus. Évidemment, j'ai été profondément marquée à ce moment-là par mon lien avec Tosquelles, mais aussi par le lien avec le groupe du GTPSI. L’un n'allait pas sans l'autre. Dans ce groupe, il y avait aussi Jean Oury et Félix Guattari... nous étions dix-sept ou dix-huit. Moi, j'étais assez assidue. À ce moment-là, on trempait dans une ambiance qui, loin d'être exempte de psychanalyse, en était pétrie, notamment de ce qui était inspiré par Lacan. Mais moi, personnellement, je n'étais pas plus inspirée par Lacan que par quiconque ; simplement, je me disais : « C'est ça la psychanalyse... moi, je ne sais pas ce que c'est. »

La psychanalyse de Tosquelles ou celle de Lacan ?

Tosquelles ne s'est jamais embarrassé de Lacan tout en ayant beaucoup d'intérêt et d'admiration pour lui. Lacan a dit des choses géniales sur la psychose, il faut bien le reconnaître ! Mais Tosquelles était Tosquelles ! et je pense qu'un psychanalyste est un psychanalyste. Tous les lacaniens, c'est de la « bibine » pour moi... et pour Lacan, ça l'a été avant que cela ne le soit pour moi, parce que Lacan disait toujours que s'il y avait bien une chose qu'il n'était pas, c'était « lacanien ». C'était une véritable rigolade cette fausse religion des prétendus lacaniens. Ni Tosquelles ni Jean Oury, qui a été psychanalysé par Lacan, n'ont jamais été inféodés à Lacan. Jean Oury n'a jamais accepté qu'on dise de lui qu'il était lacanien, alors qu'il parle à tout propos de Lacan et des choses admirables qu'il trouve dans Lacan. Je trempais là-dedans tout en me disant que ces gens-là étaient tous plus ou moins sur des divans depuis des années et moi je n'avais jamais été sur un tel divan. Cela a dû alimenter mes résistances à la psychanalyse du fait que j'ai mis des années à aller à mon tour sur un divan. Mais j'y ai appris quand même à ne pas pouvoir considérer la psychothérapie institutionnelle autrement que comportant une dimension psychanalytique, chose que Daumézon, même survivant, n'aurait sans doute jamais acceptée. Il aurait eu une cicatrice trop vive du temps où François Tosquelles lui avait piqué le terme.

On perçoit bien sa colère dans le rapport qu'il écrit en 1972, vingt ans après l'article princeps des Annales, pour la rencontre internationale de Naples. Dans ce rapport, il revendique la paternité du terme et défend sa conception que pour la psychothérapie institutionnelle il était question d'introduire des activités de soins dans une « réalité concrète », une « réalité authentique », et non pas d'inonder l'hôpital psychiatrique d'une « néoréalité » psychanalytique.

Absolument, il a été très en colère jusqu'à son dernier jour. J'espère que maintenant vous commencez à saisir à quel point c'est difficile de répondre quand vous demandez une définition de la « psychothérapie institutionnelle ». Ce qui est vécu, c'est cela.

Dans ce mouvement, il y a eu aussi la participation de l'Association de santé mentale du Xllle arrondissement. On a l'impression que c'est encore autre chose.

C'est autre chose. Mais je réponds d'une manière qui est très personnelle et avec ce que peut représenter une réponse très personnelle. Cela m'amuse beaucoup, car ça me rappelle deux ou trois jalons de décisions dans ma carrière personnelle. Quand j'étais à Grenoble, R. Fau m'avait dit que sa clinique privée au Côteau se développait et qu'il serait très heureux de m'avoir comme collaboratrice, comme assistante. J'avais même rencontré madame Fau, qui n'avait rien à voir là-dedans si ce n'est la mondanité, qui m'a dit qu'elle aurait été très honorée si elle avait été à ma place. Mais, moi, j'ai dit à Fau : « Je vous salue. » Après, 11 y a eu Paul Sivadon qui avait quitté Ville-Evrard et qui m'a dit : « Je fonde le Mesnil-SaintDenis, la MGEN, je serais très heureux que vous veniez avec moi. » Je lui ai dit : « Monsieur, je vais réfléchir. » Au bout d'un moment, il m'a dit qu'il faudrait arrêter de réfléchir quand même ; alors, j'ai dit : « Ben oui, mais, vous savez, je voudrais... vous avez été au concours des médecins des HP de la Seine... » Alors, la fois suivante, il m'a encore demandé. Moi j'ai encore dit : « Ben, ben... », et il m'a dit : « Oui, vous ne voulez pas être assistante toute votre vie. » C'est lui qui m'a fait l'interprétation. Et enfin, le XI Ile. Mon cher ami Philippe Paumelle (on passait des nuits jusqu'à trois heures du matin à l'internat à discuter de la psychiatrie !), qui a fondé l'Association de santé mentale du XIlle arrondissement, en particulier Soisy-sur-Seine, m'a dit : « Ecoute, je voudrais te faire visiter car ce serait bien si tu venais travailler avec nous. Viens mercredi, je passe te prendre », ce à quoi j'ai répondu : « On ne me prend pas ! » J'ai visité quand même, mais c'était tout fait ! Paumelle a créé quelque chose de très important, de très dynamique, mais Paumelle était, quand même, le jeune homme de bonne formation catholique... Il avait un style d'apôtre et voulait organiser tout cela. Son institution et lui étaient très bien, mais moi, je voulais être maître de mes idées et de mes choix. Je l'ai toujours admiré, mais c'est tout. Mais je crois que je dois pouvoir mieux vous répondre si vous me dites en quoi c'est différent.

C'est-à-dire que, d'une manière extrêmement schématique, le mouvement de la psychothérapie institutionnelle semble se disperser entre ceux qui pensent que celle-ci a peut-être à prendre de la psychanalyse, mais qu'elle n'est pas la psychanalyse dans l'institution (conception de Daumézon), ceux qui ont dit : « Mais si, c'est la psychanalyse dans l'institution... et une psychanalyse lacanienne » (le groupe dont nous parlions, même s'ils revendiquent, avec raison, le fait qu'ils ne sont pas inféodés à Lacan) et, en troisième lieu, toujours de façon schématique, ce groupe du XIIIe (Paumelle, Diatkine, Racamier et Lebovici) qui dira : « C'est la psychanalyse en institution... mais surtout pas la psychanalyse lacanienne ! »


Grâce à ce que vous venez de dire de façon schématique et hautement discutable, on arrive au seuil des problèmes que peut poser la terminologie de « psychothérapie institutionnelle » hic et nunc et comment est-ce que les gens la ressentent et la comprennent. Rien que cette question montre à quel point tout cela vous est extérieur, totalement extérieur, et ça pour moi c'est un grave problème. La psychothérapie institutionnelle ne se lit pas, cela se pratique. Mais en fait, on ne trouve pas des gens plus « liseurs » que ceux qui se passionnent pour la psychothérapie institutionnelle. Ces gens-là lisent ; mais ça se pratique aussi, ça se vit et c'est toujours de mode, d'actualité... c'est on ne peut plus d'actualité. D'autre part, il y aussi l'erreur qu'on fait, encore à l'heure actuelle, de rattacher le mouvement de la thérapie institutionnelle uniquement aux murs de l'hôpital. Dès le début l'erreur a été commise, parce que les actions ne se limitaient pas à l'espace physique de l'établissement « asilaire ». À Saint-Alban les gens sortaient dans le village, il y avait des relations avec le public, etc., ce n'était pas du tout renfermé sur un groupe asilaire.

On a l'impression que la pratique des psychothérapies institutionnelles est réduite de nos jours à quelques rares lieux particuliers de prise en charge des patients psychiatriques, par exemple La Borde, la clinique de La Chesnay. Peut-il y avoir aujourd'hui une pratique d'un certain type de psychothérapie institutionnelle sang prendre l'exemple de ces institutions-là 
Bien sûr qu'il peut y en avoir. Je crois qu'il y a une chose qu'il faut garder présente à l'esprit : le principe fondamental, c'est qu'une expérience institutionnelle quelque part (La Borde, La Chesnay, etc.) est unique et ne se reproduit pas, on ne peut pas la prendre pour modèle et la reproduire ailleurs. Si je veux faire une expérience institutionnelle à Sainte-Anne de type La Borde, je vais me casser la figure et la casser aux autres. Si j'avais voulu faire cela à Maison-Blanche, J'aurais cassé la figure de tout le monde car j'étais dans un hôpital extrêmement lourd avec un fonctionnement intrahospitalier, intercollègues, etc., qui était tel qu'il n'était pas question de caricaturer ce qui était fait à La Borde où il y a un groupe unique qui fonctionne d'une certaine façon... d'ailleurs, pas sans risques ni sans conflits. C'est une chose à ne pas oublier. Une expérience institutionnelle est unique et non reproductible. Je dirais tout d'abord qu'elle n'est pas reproductible sur place par ses propres promoteurs, c'est-à-dire qu'il faut évoluer, il faut vivre, et non pas rester en disant que c'est comme cela et qu'il n'y a pas lieu de changer. On ne peut pas s'autoreproduire sur place parce que c'est mourir, ni reproduire ailleurs car c'est caricaturer et se casser la figure. Déjà ça, c'est un point fondamental. Si l'on a ça bien ancré en soi, on fait l'acquisition de la liberté et de la sagesse. C'est déjà pas mal.


Quelle définition personnelle donneriez-vous de la schizophrénie ?


Je ne vais pas donner de définition de la schizophrénie, tout d'abord parce que je pense pour la schizophrénie comme je pense pour tout en psychiatrie, et peut-être pour tout dans le monde entier, à savoir qu'il y a beaucoup de choses qu'on est censé avoir définies et qui sont en fait des pures hypothèses de travail. Il y en a plein les livres des définitions de la schizophrénie. Les gens, dans bien des cas, ne sont pas d'accord entre eux et vont se mettre à abattre des murs là-dessus. Moi, ce qui m'intéresse d'abord ce sont les schizophrènes plutôt que la schizophrénie ; je ne dirais même pas des « schizophrènes » mais des « personnes schizophrènes », ce n'est pas la même chose quand même. Ce qui m'intéresse ce sont les personnes schizophrènes et ce que ça représente concernant la vie et donc les deux : la vie et la mort. C'est cette problématique-là qui est présente en permanence. On ne peut pas se sortir de là, à mon avis, sans introduire une dimension qui est l'art. Je crois que l'art en relation avec la créativité, c'est un élément fondamental de réflexion sur les schizophrénies, d'accès à une relation avec eux. Ce qui ne veut pas dire du tout que les productions des malades schizophrènes soient des productions d'art par-dessus tout et que tout schizophrène soit un génie. Absolument pas. Depuis trois ou quatre ans, je faisais un séminaire que j'avais intitulé « Art de vie », et non pas « Art de vivre » ; vous voyez à J'arrière-plan toute ma révolte contre les prétendus questionnaires et les prétendues évaluations sur la « qualité de vie ». Qu'est-ce que c'est que la qualité de vie telle qu'on la conçoit à la place des personnes schizophrènes, plutôt que d'essayer de voir quelle place ils occupent, de quelle place ils disposent et quel art de vie ils pratiquent, qui n'est pas forcément, encore une fois, un art génial et qui n'est jamais Lin art facile, et qui n'est pas forcément un art intéressant ? Je connais plein de malades avec lesquels j'ai goûté à l'ennui, comme tout le monde avec eux. J'ai été fascinée, comme tout le monde, par certains contenus de délire, mais j'en suis revenue !D'ailleurs un de mes patients m'avait donné le titre d'une communication que j'avais faite à Montebello et s'est amené un jour à sa séance (parce qu'il y avait des « séances » à ce moment-là) et m'a dit : « There's a line between love and fascination. » Je me suis interrogée beaucoup là-dessus. À d'autres moments il a été plus explicite, il m'a dit : « J'ai tout de même assez travaillé pour vous... tous ces délires que je vous ai offerts. »


Quels messages souhaitez-vous faire passer aux jeunes psychiatres ?


Aux psychiatres, je ne peux pas ne pas leur dire qu'à l'heure actuelle, je trouve qu'ils ne sont pas assez combattants et combatifs. C'est évidemment difficile. Maintenant, est-ce que les psychiatres peuvent se réunir pour s'accorder sur certains points fondamentaux, ce qui changerait peut-être quelque chose dans la vie que nous menons, je me le demande.

Être plus combattant et combatif mais sur quels fronts ?


Le front. Il y a une seule chose qui compte, le respect des personnes souffrantes et la confiance dans leur humanité, c'est-à-dire le parti pris, s'il y en a un à avoir, de réciprocité dans la relation avec les patients. Rien que le vocabulaire qu'on utilise à l'heure actuelle, si on y prêtait attention, nous apprendrait beaucoup sur la manière dont nous fonctionnons avec eux : « il faut leur donner... il faut leur faire... il faut les placer... ». Qu'est-ce que c'est que cette position dominant-dominé permanente avec les personnes à la souffrance de qui on a quelque chose à voir ? Ce n'est pas du tout naturel ; c'est fréquent, mais ce n'est pas naturel.

Wapi
 
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Message par Wapi » 19 Fév 2005, 13:28

a écrit :
voila un long document qui n'a rien à voir avec la schizophrenie, bien qu'il soit publié dans "la lettre de la schizophrenie"....pour la lisibilité du fil schizophrenie il devrait etre déplacé dans le fil la psychiatrie en france.


a écrit :

A Hélène Chaigneau :

Quelle définition personnelle donneriez-vous de la schizophrénie ?


Je ne vais pas donner de définition de la schizophrénie, tout d'abord parce que je pense pour la schizophrénie comme je pense pour tout en psychiatrie, et peut-être pour tout dans le monde entier, à savoir qu'il y a beaucoup de choses qu'on est censé avoir définies et qui sont en fait des pures hypothèses de travail. Il y en a plein les livres des définitions de la schizophrénie. Les gens, dans bien des cas, ne sont pas d'accord entre eux et vont se mettre à abattre des murs là-dessus. Moi, ce qui m'intéresse d'abord ce sont les schizophrènes plutôt que la schizophrénie ; je ne dirais même pas des « schizophrènes » mais des « personnes schizophrènes », ce n'est pas la même chose quand même. Ce qui m'intéresse ce sont les personnes schizophrènes et ce que ça représente concernant la vie et donc les deux : la vie et la mort. C'est cette problématique-là qui est présente en permanence. On ne peut pas se sortir de là, à mon avis, sans introduire une dimension qui est l'art. Je crois que l'art en relation avec la créativité, c'est un élément fondamental de réflexion sur les schizophrénies, d'accès à une relation avec eux. Ce qui ne veut pas dire du tout que les productions des malades schizophrènes soient des productions d'art par-dessus tout et que tout schizophrène soit un génie. Absolument pas. Depuis trois ou quatre ans, je faisais un séminaire que j'avais intitulé « Art de vie », et non pas « Art de vivre » ; vous voyez à J'arrière-plan toute ma révolte contre les prétendus questionnaires et les prétendues évaluations sur la « qualité de vie ». Qu'est-ce que c'est que la qualité de vie telle qu'on la conçoit à la place des personnes schizophrènes, plutôt que d'essayer de voir quelle place ils occupent, de quelle place ils disposent et quel art de vie ils pratiquent, qui n'est pas forcément, encore une fois, un art génial et qui n'est jamais Lin art facile, et qui n'est pas forcément un art intéressant ? Je connais plein de malades avec lesquels j'ai goûté à l'ennui, comme tout le monde avec eux. J'ai été fascinée, comme tout le monde, par certains contenus de délire, mais j'en suis revenue !D'ailleurs un de mes patients m'avait donné le titre d'une communication que j'avais faite à Montebello et s'est amené un jour à sa séance (parce qu'il y avait des « séances » à ce moment-là) et m'a dit : « There's a line between love and fascination. » Je me suis interrogée beaucoup là-dessus. À d'autres moments il a été plus explicite, il m'a dit : « J'ai tout de même assez travaillé pour vous... tous ces délires que je vous ai offerts. »

Wapi
 
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Message par Wapi » 20 Fév 2005, 11:28

Un texte de Roger Gentis ("les murs de l'asile"), de 1967.

On peut y voir un essai "d'évaluation' des psychothérapies "analytiques" à l'hôpital, et toujours d'actualité.

a écrit :
Roger GENTIS : Psychothérapies individuelles dans un service hospitalier. Revue de psychothérapie institutionnelle - N°5 - 1967
R.GENTIS - Revue de psychothérapie institutionnelle - N°5 - 1967
Article élaboré au cours d’une série de discussions avec MM. ee et MM. ALAGIRAUDE, BERNARD, M. et P. BLANADET, FRIT, KIPMAN-PLANKAERT, LAFFIN, LE CORRE, PASQUIER. H., M et S. RANCOEUR, SECHERESSE SUDRÉ, THOMAS TROUVÉ.
PSYCHOTHÉRAPIES INDIVIDUELLES DANS UN SERVICE HOSPITALIER



Nous nous proposons de faire part ici d'une expérience que nous poursuivons depuis près de deux ans. Nous ne sommes pas encore en mesure d'en tirer des conclusions péremptoires : nous pensons qu'il nous faudra encore une dizaine d'années pour en arriver là, mais nous ne sommes pas pressés. Peut-être aussi les enseignements mêmes de cette expérience nous amèneront-ils un jour à l'interrompre - plus probablement à en modifier l'orientation - nous ne savons pas encore.
Il nous parait néanmoins intéressant de l’exposer dans se précarité et son inachèvement, car nous pensons qu'elle s'inscrit dans la ligne de préoccupations actuellement assez répandues. Elle répond en "tout cas" à certains des soucis les plus précis de notre pratique actuelle. à nous, dans un service déterminé de l'Etablissement psychothérapique de Fleury-les-Aubrais.
En 1963, le Dr PARENTE, alors médecin chef de ce service, confie à Mme KIPMAN, psychologue, elle-même en début d'analyse, le soin d'organiser des psychothérapies individuelles et de groupes parmi les malades hospitalisés. Mme KIPMAN prend contact avec différents infirmiers, qui pour la plupart n'osent pas se lancer dans ce qu'ils considèrent un peu, et on les comprend, comme une aventure. Seule, une jeune infirmière, très récente dans le métier et un chef d'unité de soins acceptent et se lancent. Si l'infirmière en question a quitté depuis l'Etablissement, l'infirmière chef d'unité de soins n'a jamais abandonné les psychothérapies : il a au contraire, largement étendu se pratique et, est aujourd'hui sur le point d'entreprendre une analyse personnelle.
Il faut préciser toutefois que, en marge des psychothérapies au sens strict, le Dr PARENTE' engage plusieurs infirmiers dans des relations duelles serrées avec certains malades, particulièrement des schizophrènes : ces infirmiers se voient confier un malade précis dont ils prennent plus spécialement la charge au long de la journée, dans chaque moment de son existence.
Ces innovations entraînent incontestablement des transformations considérables dans le service, à des niveaux et dans des sens très divers. En Mai 1964, lorsque Dr Gentis prend le relais du Dr Parente, la situation peut être schématisée :
- le psychologue et deux infirmiers continuent donc à assurer des entretiens psychothérapiques réguliers avec un petit nombre de malades. Certains d'entre eux ont pour thérapeute la psychologue seule, d'autres l'infirmier et la psychologue ensemble ; ensemble, ils dirigent également un groupe de trois jeunes schizophrènes. Il s'agit de psychothérapies assises, purement verbales, interprétatives, d'inspiration freudienne. Quant à l'infirmière, elle s'entretient comme elle peut avec un jeune schizophrène assez difficile, accumulant maladresses et bonne volonté, et obtenant dans l'ensemble une amélioration notable de son malade.
- Le personnel du service apparaît comme extrêmement sensibilisé au problème des psychothérapies. Le changement de médecin a probablement révélé et durci des positions extrêmement diverses et divergentes, les uns prenant passionnément l'entreprise amorcée, - d'autres rejetant en bloc dans la trappe à foutaises toutes les préoccupations psychothérapiques et analytiques -, d'autres encore considérant la chose, à distance respectueuse comme une affaire de spécialistes. Ces attitudes, dont nous n'avons cité que les plus schématiques, s'inscrivent, bien sûr, dans tout un contexte d'oppositions dynamiques comme on en trouve dans toute institution, et qu'il serait trop long d'analyser ici.
Disons simplement à ce propos, on ouvrant une parenthèse méthodologique, que le décryptage et l'exploitation de ce contexte furent autant que possible pris en compte dans les décisions qui aboutiront à la mise en place du dispositif expérimental dont nous allons parler. Ces décisions s'intégraient donc, en bref, dans une stratégie globale du développement Institutionnel. Ceci nous semble fort important à considérer pour ne pas commettre l'erreur de penser que nous étudions une expérience ayant une valeur de méthode en soi ou de technique en soi. Notre expérience, notre méthode, nos résultats ne nous semblent pas exactement, transposables, en dehors du cas bien aléatoire d'une homologie panchronique de structures entre Institutions. A chaque instant, notre action dans le domaine des psychothérapies s'est développée à partir du contexte total de l'institution et en réponse à celui-ci. Compte tenu des erreurs que nous avons, pu commettre dans leur application, nous sommes dans notre entreprise restés fidèles à deux principes auxquels nous sommes depuis longtemps attaché : que la relation duelle n'existe pas en tant que telle dans une Institution thérapeutique et n'y apparaît que comme un leurre, et que ce qui importe avant tout, ce qui peut-être seul, c’est la psychothérapie de l'institution elle-même, ou, si l'on hésite à parler de psychothérapie d'une institution, sa désaliénation.
Dans la ligne de notre propos, nous donneront trois exemples d'intervention qui, - parmi d'autres qui furent sans doute moins opportunes, nous semblent avoir eu valeur d'actes thérapeutiques au niveau de l'institution :
1) - un des premiers soins du nouveau, sondé et discrètement sollicité par les différents partis en présence, fut de connaître sans ambages son attachement au Freudisme et son intention de continuer à engager le service dans la voie d’une exploration institutionnelle des données analytiques.
2) L’opposition de certains infirmiers aux psychothérapies devait être interprétée comme la répression, par crainte de ne pas être “à la hauteur“, d'un désir réel d'y participer également. Cette interprétation n’avait pas à être verbalisée ;
Il était bien préférable de se tourner vers ces infirmiers, entre autre, pour leur demander de se joindre à un groupe de “psychothérapeutes” qui put fonctionner dans des conditions point trop exigeantes et point trop solennelles.
3) Le développement des psychothérapies exigeait assurément que fusent dépassées certaines oppositions constituées, eu premier chef, celle qui existait entre “les thérapeutes” d'une part et les non-psychothérapeute de l'autre. Par exemple, il eut été maladroit de confier à la psychologue, partie prenante en l'un des fermes, le soin de former des psychothérapeutes parmi d'autres infirmiers : la solution qui s'imposait était de réunir en un seul groupe les psychothérapeutes et ceux qui ne l'étaient pas encore et de les placer dans une situation, de nivellement, situation aisément obtenue ai le médecin du service dirigeait lui-même ce groupe. La structure de ce groupe pouvait encore s'améliorer en plaçant en situation de nivellement différentes catégories de personnes : aussi avons-nous cherché à y faire participer, outre des infirmiers de tout grade, (y compris le surveillant général du service et un moniteur d'ergothérapie) des internes et une seconde psychologue. La devise d'un tel groupa pourrait être en somme : “la psychothérapie est l'affaire de tout le monde dans le service”. Il n'est d'ailleurs pas dit que nous n'y intégrions pas, à un stade plus avancé de notre pratique, quelques malades hospitalisés.
Notre groupe, qui n'a pas tardé à s'appeler "'groupe de contrôle”, bien que ce qui s'y fait n'ait rien à voir avec un contrôle de quoi que ce soit, a compté jusqu'à 18 personnes. il faut dire que, par suite des décalages d'horaires et des nécessités variables du service, ces 18 personnes ne se sont pratiquement jamais trouvées réunies. Chaque réunion, et nous en faisons une de deux heures environ tous les vendredis, compte en fait suivant les jours de cinq à dix participants. Par suite de remaniements intervenus il y a quelques mois dans l'établissement, plusieurs de nos psychothérapeutes ont quitté le service : à l'heure actuelle, le groupe se compose de 13 personnes : 3 infirmiers, un moniteur d'ergothérapie (également infirmier), trois chefs d'unités de soins, le surveillant-général du service, les deux internes et les deux psychologues, le médecin-chef.


Nous avons donné pour consigne de départ à nos thérapeutes :
1- D'avoir au minimum deux entretiens par semaine avec leur malade, à raison d'une demi-heure à une heure chaque fois.
2. De mener cet entretien sans aucune idée préconçue, avec naturel et spontanéité, à leur guise.
3- De consigner si possible immédiatement après l'entretien, le déroulement de celui-ci, avec bien entendu leurs propres interventions.
Le choix des malades s'est effectué suivant deux modes :
Certains malades ont été pris en psychothérapie simplement parce que l'indication d'une psychothérapie individuelle semblait se poser pour eux. La décision a été prise pour ceux-ci au niveau du collectif de soins du service. Presque tous ces malades ont été confiés soit à la psychologue, soit au chef d'unité de soins dont nous avons parlé plus haut, en raison de leur plus grande expérience des psychothérapies Individuelles. Deux ou trois d'entre eux ont cependant été confiés à d'autres personnes.
2- D'autres malades (18 exactement) ont été choisis dans une intention thérapeutique beaucoup moins précise. Le choix s'est effectué ici après discussion dans le groupe de psychothérapeutes, mais évidemment en consultant également les autres membres du personnel intéressé. Les critères des choix effectués, qui n'avaient pas été précisés au départ, se sont en fin de compte ainsi définis :
- Ce qui a peut-être compté le plus, c'est le choix spontané du thérapeute, donc les sympathies déjà nouées. Toutefois, ce critère a pris au bout d'un certain temps moins d’importance car on s'est aperçu qu'il était assez inconfortable pour le thérapeute de travailler dans le pavillon où vivait son malade. Nous avons donc choisi de préférence, à partir de ce moment-là, un malade d'un autre pavillon : de ce fait, les contacts pris, antérieurement ont perdu de leur importance pour certains de nos thérapeutes.
- Le critère le plus marquant a sans doute été la chronicité, et ceci pour deux raisons : d'abord parce que, chez de tels malades il n'y avait pas grand chose à perdre, ensuite parce que de toute façon, la psychothérapie constituait une relance du traitement et qu'à priori le malade devait plutôt tirer profit d'un contact assidu avec quelqu'un. Nous avons ainsi pris en psychothérapie plusieurs schizophrènes anciens assez bien asilisés.
Nous avons enfin attaché une certaine importance à l'âge du malade. Comme il se pouvait après tout que la psychothérapie aboutisse à une amélioration, nous avons pensé qu'il serait plus intéressant de prendre des sujets relativement jeunes, 30 à 35 ans, au plus. Nous avons donc consacré une séance d'une heure et demie à 2 heures par semaine à l'étude et à la discussion de ces entretiens. Chaque semaine un ou plusieurs thérapeutes reprennent les notes rédigées au cours des semaines précédentes. Cette lecture était entrecoupée de commentaires et de discussions. Au début, la plupart de ces commentaires étaient faits par le médecin-chef, un peu par la psychologue en cours d'analyse, mais assez vite d'autres participants se sont hasardés à donner leur avis et se sont même, plus tard enhardis à livrer leurs propres interprétations. Nous devons dire qu'au départ nous ne savions pas trop dans quel style et avec quelle technique mener ces réunions. Nous avions cependant défini un fil conducteur que nous n'avons jamais abandonné : c'est que ce qui nous semblait important dans ces entretiens, c'est la relation qui s'établissait et se développait entre les parties et que c’est avant tout cette relation, que nous devions éclairer. Nous nous sommes donc attachés à recentrer constamment nos commentaires sur les problèmes transférentiels, et nous n'avons eu qu'à nous louer de ce parti-pris :
-parce que nous avons pu constater combien les aperçus ainsi donnés étaient véritablement éclairants pour les thérapeutes et avec quelle aisance ils comprenaient et assimilaient à ce niveau.
- parce qu’il nous a semblé que cette façon de faire, contribuer puissamment à faire évoluer la relation dans un sens authentiquement psychothérapique, celui pouvant être grosso modo défini comme l’acquisition par le thérapeute d’une authentique attitude de “neutralité bienveillante”.
Nous avons été conduits presque tout de suite à adopter un style franchement didactique. Ceci a sens doute découlé en grande partie de l'apétance de nos thérapeutes pour les révélations psychanalytiques. Notre expérience nous permet à cet égard de faire les propositions suivantes, qui fondent notre technique actuelle : -1- Nous pouvons interpréter sens restriction le discours du malade lui-même et nous ne nous privons, donc pas de le faire. La discussion collective est d'ailleurs fort précieuse à cet égard car, avec des participants déjà un peu entraînés et connaissant peu d'inhibitions, elle fait saillir de multiples surdéterminations qui échappent souvent à une personne unique : c'est que cette discussion draine, à partir du noyau constitué par l'entretien lui-même un matériel venu de tous les coins de l'institution. Elle éclaire la vie quotidienne du malade et de quelques autres sous divers angles et elle en fait saillir de multiples aspects. Nous pensons que ceci est également capital du point de vue didactique car de telles discussions amènent chez le personnel soignant une mutation radicale dans la façon de voir et d’entendre le malade.
-2- En ce qui concerne les propos, les interventions verbales ou autres des thérapeutes au cours de l’entretien, nous avons été jusqu’à présent d’une grande prudence nous gardant la plupart du temps d’interpréter. Lorsque nous avons cru pouvoir le faire, nous avons considéré que ce qu’il y avait à interpréter chez le thérapeute concernait non seulement sa relation avec le malade lui même mais aussi et peut-être surtout ses relations avec les autres membres de l’Institution et bien entendu plus particulièrement avec le médecin-chef qui se trouve être également directeur du groupe. C’est d’ailleurs cette complexité fondamentale du problème qui rend pour nous difficile la pratique d’interprétations ainsi situées et nous inspire pour le moment une assez vive réserve. Nous pensons pourtant que l'entreprise que nous menons ainsi constituant qu'on le veuille ou non une thérapie des thérapeutes, il y aurait intérêt certain à en affiner la méthode et à disposer d'une technique d'interprétation un peu élaborée.
Il faut bien dire cependant que, comme nous le verrons plus loin, une véritable évolution thérapeutique des membres du groupe s'effectue peu à peu, et nous ne pensons pas nous tromper en avançant qu'il s'agît là d'un effet du travail en groupe lui-même. Nous ne voulons pas tenter ici d'analyser en détail les ressorts thérapeutiques qui peuvent jouer dans une telle institution, ceci déborderait de trop loin notre sujet. Rappelons simplement que nous avons fait allusion tout à l'heure à une certaine mise en situation des membres du groupe que nous avons appelés “nivellement”; On pourrait sans doute dire d'une autre façon que ce qui a été mis en place, c'est un appareil institutionnel ayant fonction de castration. Notons aussi qu'un tel appareil remplit dans notre cas une fonction d'autant plus importante que les membres du groupe ont dans l'hôpital, comme nous l'avons noté, des fonctions très diverses et surtout occupent des échelons très divers de la hiérarchie administrative.
Pour laisser l'accent sur la structure du groupe, nous pouvons aussi faire remarquer que le médecin qui le dirige ne présente pas de matériel et n'a d'ailleurs aucun malade en psychothérapie individuelle dans son service : sa position dans le groupe est donc particulière, elle est marquées par une différence et se définit entre autres par un trait négatif très appuyé. Ce qui n'empêche pas sa fonction dans le groupe de pouvoir être assumée transitoirement par qui veut la prendre : noue avons vu que personne ne se privait de donner une opinion et même d'interpréter.
Quant aux autres membres du groupe, ils se trouvent tous dans des positions par définition non seulement équivalentes mais surtout interchangeables et qui permutent effectivement sans cesse : chacun apporte tour à tour son matériel (sans toutefois qu'il y ait un tour de rôle établi ; on s'entend entre soi, et ce qui prime en général, c'est le désir qu'on éprouve de parler de son malade), et chacun écoute et critique celui des autres. Comme dans tout groupe de ce type, il y a donc à l'oeuvre une dialectique du sujet, et de l'autre dont les effets sont vraisemblablement considérables.
Nous ne donnons ces indications que pour situer le problème et montrer que, sous une forme de discussion apparemment banale (et elle l'est effectivement, mais c'est la banalité même qui est profonde) se dissimule toute une machinerie relationnelle dont nous sommes loin d'avoir épuisé la description et qui constitue en elle-même un appareil thérapeutique à fonctionnement quasi-automatique.
Quels sont donc, au bout de 20 mois de pratique, les résultats de cette expérience ? Il est casez difficile d'en parler dans la mesure où cette expérience n'a pu être menée dans des conditions d'isolement qui permettraient de lui attribuer à coup sûr certains effets constatés. Elle est venue conjuguer son action avec celle des réunions de personnel, des psychothérapies de groupe, des activités sociothérapeutiques, des autres méthodes de formation que nous utilisons, etc... Nous n’aborderons pas ces “résultats” qu’avec une certaine réserve que nous demandons à nos lecteurs de partager.
Ce que nous attendions avant tout de ces psychothérapies, c'est un changement d’attitude du personnel soignant vis à vis du malade. Non que, dans l'ensemble, le personnel du service ait conservé une attitude asilaire : nous rappelons à qui l’ignorait que, dès les années 4, l’Etablissement psychothérapeutique de Fleury-les-Aubrais a été défriché et sérieusement travaillé par DAUMÉZON, et c'est bien parce que les comportements asilaires ne subsistent plus ici qu'à l'état de vestige
que nous avons pu lancer des infirmiers dans de véritables entretiens psychothérapiques. Mais nous pensions qu'il y avait beaucoup à faire encore, ici comme ailleurs, pour que chacun, dans sa pratique quotidienne se comporte à chaque instant avec les malades d'une façon véritablement thérapeutique, ce qui représente l'idéal que nous devons nous efforcer d'atteindre. Disons d'ailleurs que nous sommes encore loin de savoir exactement en quoi peut consister, dans telle et telle circonstance, un comportement thérapeutique :
aussi avons-nous toujours pensé que le plus court chemin pour atteindra ce but était d'amener d'abord les gens à s'observer eux-mêmes, à se mettre en question à se demander pourquoi ils agissaient de telle ou telle façon.
Sur ce terrain, nous avons l'impression que notre expérience est tout à fait concluante. Nous citons ici les propos qui ont été tenus lors des réunions
consacrées à la préparation de cet article :
“Ca oblige à se poser des questions, à réfléchir sur ce qu'on a fait, à se demander pourquoi on agit comme ça et pas autrement...
Si un malade se met en colère par exemple, on se demande mieux pourquoi ; on ne se contente pas du motif superficiel...
On a plus de contacts avec les malades, on a des contacts plus faciles ; on est plus réceptifs, on discute plus longuement avec eux : avant, on leur coupait davantage la parole ; maintenant on les écoute ; on avait aussi tendance à abuser de notre autorité sans s'en rendre compte...
On considère davantage le malade comme une personne, un être humain avec
une histoire....
C'est une autre conscience de la profession qui est apparue, une tout autre vision du malade et de la maladie mentale...
Les chefs d'unité de soins se sentent davantage responsables des malades, davantage engagés avec eux ; avant, ils se sentaient responsables -surtout de leur équipe, de la marche du pavillon...
-Au début, il y a eu chez certains un mouvement de recul, mais au moins depuis six mois on parle des malades d'une autre façon, même dans les pavillons très ambivalents ;- c'est peut-être particulièrement net pour les éthyliques : autrefois, certains infirmiers les considéraient nettement comme des saloperies.
Il ne venait même pas à l’idée qu'ils étaient malades : avec eux, c'était simple,
on faisait les épreuves en série, on n'écoutait pas leurs histoires ; On pensait avoir tous les droits sur le .malade : par exemple ajouter 2 ou 3 comprimés d'Espéral pour qu'il réagisse ; maintenant, personne ne se sentirait plus le droit de faire ça ; Il reste peut-être encore deux ou trois infirmiers dans le service qui regrettent les anciennes méthodes sans trop oser l'avouer ; mais même chez ceux-ci, on commence à sentir un début d'évolution ; l’un d'entre-eux a beaucoup changé en tout cas ces derniers mois, on l'a vu évoluer à vue d’oeil.

La barrière entre Infirmiers et malades commence à tomber en ce que chacun a le droit de dire ce qu'il veut ; il y a une tendance au nivellement ; ça apparaît par exemple dans des plaisanteries : “en l'an 2000, il n'y aura plus de différence : tout le monde sera malade”.
Tous ces propos sont assez clairs. Ils mettent également en évidence un fait important : c'est que les participants du groupe n'ont à aucun moment l'impression d'être les seuls à avoir changé, c'est de l'évolution d'ensemble du service dont il s’agit toujours. Une de leurs préoccupations constantes a en effet été de ne pas se couper des autre du fait de leur participation à une expérience qui apparaît comme très “en pointe”. Ce souci et les mesures institutionnelles, qu'il a inspirée, a été pour beaucoup dans la diffusion des méthodes nouvelles. Cette diffusion est d’ailleurs objectivement constatable : on ne compte plus les infirmiers qui prennent le temps de discuter parfois très longuement avec leurs malades et conduisent apparemment ces entretiens avec beaucoup de neutralité et beaucoup de bienveillance.




-l'es relations se sont également modifiées parmi le personnel soignant. De façon générale, on cherche d'avantage à coordonner l'action des uns et des autres : on a pris l'habitude de se concerter et souvent de se confronter avant de prendre une décision, que ce soit entre infirmiers de fonctions diverses ou à l'intérieur du même pavillon. On se rend compte que personne n'a vraiment un rôle privilégié dans le traitement d'un malade, que le traitement est un ensemble de soins, que chacun y a son rôle à Jouer. Même les psychothérapies, qui sont apparues comme quelque chose de tellement extraordinaire au début, quelque chose de très calé, on voit bien que ça ne peut pas marcher si on ne s'occupe pas du malade par ailleurs, s'il n'a pas d'autres activités, si les autres infirmiers se désintéressent de lui.
Au début, on est d'ailleurs tombé dans des pièges et il a fallu quelque temps pour les éviter. Par exemple, les infirmiers avaient tous plus ou moins tendance, avec un malade en psychothérapie, à adopter une attitude de neutralité, d'ailleurs très difficile à tenir dans la vie quotidienne du service. On rationalisait cette attitude en disant qu'on ne voulait pas gêner la psychothérapie, mais bien entendu, il se cachait là dessous tout un lot de sentiments hostiles et critiques, de rivalités inconscientes, de craintes et d'angoisses de toute sorte, etc... Inversement d'ailleurs, le psychothérapeute était peut-être le premier, sinon le seul, à vouloir à tout prix qu'on prenne des décisions pour le malade dont il avait la charge, et à proposer lui-même des décisions parfois tout à fait intempestives.
Les conduites de rejet ont été également bien analysées : sous couvert de neutralité, on refuse, en fait, de s'occuper en quoi que ce soit du malade en psychothérapie, et celui-ci peut en arriver à produire des acting-out en série qui obligent, en fait, à s'occuper, de lui, parfois dans des conditions d'urgence parfaitement inopportunes. Ces conduites de rejet manifestent, en fait, chez le personnel une attitude concurrentielle à l'égard du psychothérapeute : inconsciemment, on s'arrange en somme pour que la psychothérapie tourne mal et aboutisse à une impasse. Ceci engendre évidemment un vif sentiment de culpabilité chez le thérapeute qui a bien du mal à garder son sang-froid et à ne pas se livrer, à des manifestations parfaitement antipsychothérapiques. A la limite, tout le monde pourrait se dire que les psychothérapies sont des méthodes dangereuses dont il est préférable de s'abstenir dans une institution. Ceci montre seulement qu'il est indispensable pour entreprendre de telles psychothérapies de les réinsérer constamment dans l'ensemble institutionnel et de disposer des lieux nécessaires pour confronter les points de vue, faire évoluer les attitudes et coordonner l'action thérapeutique. Malgré la multiplicité des réunions régulières dans le service, il nous est parfois arrivé de devoir tenir des réunions extraordinaire pour pour tenter de liquider de tels problèmes.
Si ces difficultés donnent pas mal de soucis et de peine, nous pensons toute-fois qu'elles sont précieuses dans une Institution comme la nôtre : l'ampleur des phénomènes induits tant chez les malades que chez le personnel est, en effet telle que, pour peu que les gens soient déjà rompus à se mettre en question, tout le monde ou presque a le sentiment que chacun est concerné dans l'affaire et que personne n’est pur de toute responsabilité. Il est donc relativement facile de faire évoluer des positions qui s'il n'y avait pas de ces petits drames pourraient demeurer parfaitement fixées, et nuire tout autant au traitement des malades. Nous avons même l'impression que les psychothérapies, comme d'autres nouveautés - d'ailleurs, ne font guère qu'exacerber et faire saillir des conflits préexistant, sous une forme plus larvée et plus tolérable. C'est ainsi que des conduites de rivalité développées à propos d'un ou deux malades en psychothérapie ont permis à peu de frais de faire prendre conscience aux intéressés de certains mobiles affectifs encore peu clairs. D'une façon générale, ainsi que nous l'avons dit plus haut, les gens se rendent rapidement compte qu'en de telles circonstances leur affectivité .leur joue des tours et qu'il convient au moins de se poser des questions même si les affects en cause ne parviennent pas encore clairement à la conscience.
Les psychothérapies ont encore modifié dans une certaine mesure l'existence personnelle des thérapeutes. On peut remarquer tout d'abord que, plus que
dans toute autre réunion organisée dans le service, les discussions de notre groupe sont souvent illustrées de souvenirs ou de constatations tirées de la vie personnelle des thérapeutes. Il s'agit bien sûr très souvent de souvenirs d'enfance. Lorsque nous avons fait le bilan de notre expérience, nous avons relevé à ce sujet les propos suivants :
Un tel, ça l'a vraiment transformé, avant, il était dur avec ses enfants, maintenant il a complètement changé de comportement avec eux ; de même pour un autre : ça a eu un excellent effet sur sa vie familiale. Mme X... reconnaît qu'elle fait plus attention avec son fils, qu'elle se pose des questions et réfléchît sur tout ce qu'il dit et sur ce qu'il fait..
Un autre infirmier trouve qu'il n'est plus si sûr de lui, plus si entier dans ses opinions, et pas seulement sur le plan professionnel ; en contrepartie, il lui arrive de subir un sentiment d'insécurité parfois assez angoissant...
Plusieurs personnes ont cette impression de n'être plus aussi sûres de leurs opinions, de leurs jugements, ce qui est parfois pénible : on a démoli certaines choses ; On s'est bien rendu compte qu'on ne pouvait plus s'y accrocher. Mais maintenant ça laisse un peu un vide, on ne sait pas encore bien quoi mettre à la place...
Du point de vue familial aussi, ça suscite quelques difficultés chez certains :
l'entourage se rend compte qu'ils ont changé et qu'ils changent encore, ça pose des problèmes...
Même en reconnaissant que tout, dans les changements et les évolutions que nous avons notés ne découle pas de notre expérience de psychothérapies, il reste que nous possédons probablement là une méthode assez efficace pour susciter de tels mouvements chez le personnel soignant Que les malades en tirent un bénéfice thérapeutique, c'est d'autant moins douteux que nous l'avons dit :il s'agît d'une évolution en profondeur de toute l'institution. Il reste cependant à se poser une question : les malades qui ont été pris ainsi en psychothérapie, qu'en est-il résulté pour eux ? Nous allons voir qu'il est difficile de porter un jugement d'ensemble sur ce point ; car ces malades posaient des problèmes extrêmement divers et ont d'ailleurs évolué de façon très diverse. De plus, les psychothérapies ont été conduites conjointement avec d'autres traitements, ce qui pose des problèmes pratiques que nous évoquons. Enfin, ces psychothérapies ont été effectuées dans des conditions et avec des intentions elles-mêmes très hétérogènes. Dans ces conditions, on nous permettra de demeurer très réservés quant à l'intérêt thérapeutique propre de ces psychothérapies.
Dix des 38 malades qui ont fait l'objet de cette expérience étaient des schizophrènes post-processuels anciens, menant à l'établissement une vie très routinière et stéréotypée. Nous avons rangé dans ces dix cas un jeune homme généralement considéré comme arriéré mental, dont la psychothérapie a bien fait tomber le masque d'arriération et à mis en évidence des problèmes, psychotiques certains. Sur ces dix malades, un est décédé au bout de quelques semaines d'une affection apparemment intercurrente (phlébite et embolie pulmonaire) ; un autre a constitué une récidive de tuberculose pulmonaire peut-être en relation avec la tentative de traitement (cette psychothérapie s'était d'ailleurs révélée assez riche et animée, ce qui surprend chez un malade très chronique et très effacé) :smile: son retour du service de phtisiologie, il a refusé catégoriquement de reprendre les entretients ; son comportement est pratiquement identique à ce qu’il était antérieurement. Cependant, il faut noter que la psychothérapie a amené ce malade à reprendre quelques contacts avec sa famille qu’il n’avait pas vu depuis une vingtaine d’année.
Dans ce groupe, une autre psychothérapie a été abandonnée au bout de six mois environ par découragement, les propos du malade restant extrêmement stéréotypés et superficiels. Un autre schizophrène s'est dérobé au bout de quelques semaines. sans qu'il soit possible jusqu'à maintenant de le raccrocher.
Deux psychothérapies enfin ont été interrompues parce que le thérapeute quittait le service. Dans l'un de ces cas, le thérapeute comptait reprendre ses entretiens au bout de quelques semaines, mais ses nouvelles fonctions lui ont décidément rendu cette entreprise difficile et il a fallu y renoncer. Là encore, il s'agissait d'un schizophrène, assez fixé, d'allure très psychasthénique, qui a réagi à cette interruption par un surcroît de passivité et de laisser-aller et qu'il a fallu quelques mois pour remettre un peu en selle : exemple donc d'une interruption mal préparée de la cure et d'une erreur à ne plus commettre. Dans l'autre cas, le départ du thérapeute a pu être envisagé plusieurs mois à l'avance et l'interruption de la psychothérapie a pu s'effectuer dans de bonnes conditions. Les progrès très sensibles réalisés par ce malade pourront vraisemblablement être maintenus et consolidés.
De ce groupa de dix malades chroniques, menant une vie véritablement asilaire, quatre donc restent actuellement en psychothérapie. Au bout d'un à deux ans de ce traitement, on peut dire que tous quatre ont réalisé des progrès très sensibles, mais ceci ne va pas sans certaines difficultés ; depuis quelques mois, un de ces malades a “oublie” par exemple, ses séances, s'y présente à une heure où le thérapeute est absent ou indisponible. Chez ce même malade et chez un autre du même groupe, la psychothérapie a entraîné parfois une recrudescence d'angoisse de dissociation à laquelle nous avons dû répondre par une cure de sommeil ; or, nous avons constaté qu'au réveil de la cure, le malade se sentait bien, beaucoup plus à l'aise, mais que le contenu des séances devenait soudain extrêmement pauvre et sans grand intérêt. Le traitement biologique entraîne évidemment dans ces cas une reconstitution de défenses inopportunes, et il est donc difficile d'intégrer le processus psychothérapique dans une stratégie thérapeutique globale, où il peut éventuellement s'articuler avec différents traitements biologiques et médicamenteux, avec différentes indications d'ordre sociothérapique, etc...
Quoi qu'il en soit, la plupart de ces malades chroniques ont au moins tiré un bénéfice de la psychothérapie; on les a découverts ou redécouverts. Pour certains d'entre eux, le soi-disant débile profond dont nous parlions plus haut, par exemple, la surprise a été de taille : jamais, dans le courant de l'existence quotidienne à l'hôpital, ces malades n'avaient révélé une telle richesse de préoccupations, d'intérêts, de souvenirs de toute sorte. Aux yeux d'une partie du personnel, ces malades se sont vraiment mis à exister, ce qui n'est pas rien. Du coup, on a bien plus souvent parié d'eux aux réunions. on s'est posé des questions au sujet de leur emploi du temps. on a cherché à rencontrer leur famille, etc... Avec eux, ce sont les autres malades chroniques qui profitent de cette évolution des idées: on commence à détecter sous le vide apparent de leur existence une richesse enfouie qu'on pourra peut-être un Jour exploiter, pour ceux d'entre eux, du moins, qui n'ont pas encore atteint l'âge du respect thérapeutique.
A l'opposé de ce premier groupe nous trouvons huit malades hospitalisés pour des épisodes pathologiques plus ou moins aigus, représentant une décompensation d'un état névrotique antérieur. Ces épisodes aigus étalent variés dans leur forme, allant de la dépression anxieuse banale à l'expérience interprétative de pronostic spontané très grave. La psychothérapie se proposait deux buta dans ces cas: d'une part, d'élucider ai possible les conditions de constitution de l'épisode aigu et, d'autre part, de modifier peut-être en profondeur les dispositions personnelles du malade. Plus sans doute que chez tous les autres, il est difficile de se faire une idée, en ce qui concerne les malades, de l'intérêt réel que présentait pour eux la psychothérapie. Six d'entre eux ont, bien entendu, quitté l'Etablissement et repris une activité normale un septième s'apprête à en faire autant, mais ce n'est pas sur ce critère que nous pouvons noua prononcer quant à ce qui nous préoccupe ici. Disons plutôt que pour cinq de ces malades, le déroulement même des entretiens a montré à l'évidence
qu'ils atteignaient leurs buts et qu'ils avaient été très opportunément proposés. Nous citerons, par exemple, un homme d'une cinquantaine d'années, dont le fils, schizophrène, se trouve également hospitalisé dans le service : les entretiens psychothérapiques ont amené une élucidation certaine d'une partie au moins des relations familiales pathogènes ; ils ont également permis au malade d'évoquer très longuement ses expériences militaires pendant la guerre d'Algérie, dont le rôle pathogène était fort probable. Il est à noter que cet homme, déjà soigné à plusieurs reprises dans le service pour des épisodes anxieux analogues, n'avait jamais abordé vraiment ces sujets dans les entretiens qu'il avait pu avoir avec les infirmiers ou les médecins.
Nous parlerons maintenant d'un groupe de dix malades psychotiques anciens, pour la plupart des schizophrènes post-precessuels, que nous distinguons nettement de ceux du premier groupe parce que, pour des raisons de circonstances, ils ont eu la chance d'échapper a une chronicité asilaire. Quatre d'entre eux ne font d'ailleurs que des séjours plus ou moins brefs et espacés a l'Etablissement, trois de ceux-là étant suivis en psychothérapie dans le cadre du Dispensaire d'Hygiène Mentale. Parmi ces dix malades, trois semblent à peu près tirés d'affaire, ils ont une activité sociale régulière.Quatre autres évoluent d'une façon très favorable et deux d'entre eux ne présentent plus depuis longtemps aucune manifestation psychotique. Pour. ces sept malades, le déroulement même de la psychothérapie s'effectue de façon très encourageante. Nous devons dire, d'ailleurs, que c’est dans ce groupe de malades que nous rencontrons le moins de difficultés pratiques, en particulier en ce qui concerne leur coopération au traitement. Nous devons signaler aussi que huit de ces malades, en plus de la psychothérapie individuelle et des activités de toute sorte qu'ils ont à l’Etablissement participent encore à des séances assidues et régulières de psychothérapie analytique de groupe.
Le dernier groupe, assez disparate, que nous présentons, est constitué de onze malades que l'on peut situer comme des névrosés graves, les problèmes névrotiques ayant d'ailleurs entraîné l'hospitalisation. La psychothérapie de ces malades est incontestablement la plus difficile de toutes dans les conditions où nous travaillons : dans six de cas, nous avons aboutit à des impasses dont nous n'avons pu nous tirer. Il s’agit de malades extrêmement retors qui s'efforcent d'utiliser la psychothérapie pour en tirer des bénéfices secondaires, esquivent par toutes sortes de procédés un approfondissement réel de leurs difficulté, et parviennent, si l'on n’y prend pas garde, à jouer les uns contre les autres les membres du personnel soignant et même les autres malades. Il n'y a d'ailleurs rien qui puisse surprendre dans ces difficultés : ce sont des malades qui sont venus à l'hôpital soit pour fuir quelque chose, soit pour tirer un profit quelconque de l'hospitalisation, mais jamais avec le souci véritable de faire quelque chose pour s'en sortir. Pour Je moment, nous ne sommes pas en mesure de résoudre ces difficultés dont la solution ne se trouve d'ailleurs certainement pas au niveau de l'abord psychothérapique proprement dît, mais nécessite sans doute des moyens autrement variés, aussi bien dans l'hopital qu'au dehors.
Nous devons cependant signaler que dans ce dernier groupe, un de nos malades, bien qu’ayant interrompu prématurément sa psychothérapie, a quitté l’Etablissement et mène une vie acceptable, et que trois autres poursuivent encore actuellement leur traitement.
Voila ce que nous pouvons dire actuellement sur notre expérience. dans l’ensemble, nous n’en sommes pas mécontents car nous pensons avoir obtenu quelques succès thérapeutiques, elle nous a fait beaucoup réfléchir et nous avons l’impression que toute l'institution en retire au fond quelque chose. Nous pensons que c'est en fonction de tels critères et de telles perspectives qu'il faut juger de telles expériences, qui n'ont plus grand-chose à voir avec ce qui se fait au cabinet de l'analyste. Il s'agit ici de psychanalyse appliquée, et appliquée à des conditions et à des circonstances très impures, et très impropres : nous avons un peu l'impression, parfois, de nous servir d'un outil de précision très compliqué, très précieux, à la façon d'un marteau ou d'une défonçeuse. Le plus curieux est que, jusqu'à plus ample informé, cet outil nous également propre à cet usage.



DISCUSSION

Dr OURY: On oppose souvent à la probabilité de prise en charge psychanalytique à l'intérieur de l'hôpital la notion de neutralité analytique. Comment pouvez-vous assumer la relation analytique, nous dit-on, dans un milieu où les gens vous voient en tant que médecin, en tant qu'existant, avec votre famille et tous vos problèmes personnels ? Cette question, par qui est-elle posée ? Par des médecins qui ne veulent pas trop se mouiller dans l'hôpital ? Par des psychanalystes exerçant en ville, loin de cette atmosphère asilaire ? Par des psychologues à qui on a parlé de la fameuse neutralité analytique et des règles strictes d'exercice de cette discipline ? Sommes-nous condamnés à ne pouvoir exercer une technique analytique à l'intérieur des hôpitaux, là où réside l'immense majorité des bénéficiaires de la découverte freudienne dans des conditions plus ou moins précaires ? La possibilité d'extension de cette technique mérite que nous nous penchions un peu plus sur ses conditions d'exercice. Certaines personnes - assez rares - redoutent d'être prises en analyse par des gens qu'elles connaissent. C'est déjà là un symptôme d'entrée en analyse dont il est discutable d'envisager le résolution plus ou moins rapide. C'est une sorte de défense consciente dont les ressorts n'ont certainement pas grand chose à voir avec la notion de neutralité. L'analyste de ville a-t-il une position de vraie neutralité ? Bien souvent, il est installé dans sa profession et exerce honnêtement son métier sans s'être posé la question de savoir si son statut social est un facteur qui a un rôle quelconque dans la relation analytique proprement dite, si son "être de classe" est à articuler topiquement dans le registre de l'lnconscient. Dans quelle mesure les demandes qui nous sont adressées peuvent-elles être métabolisées dans une articulation signifiants efficace ? N'y-a-t-il pas là, au niveau même de la pulsion, des facteurs sociaux qui, fondamentalement, en modifient la portée et le sens ? Ne trouve-t-on pas un barrage extra-analytique qui, faute d'être intégré dans la relation, empêche le patient d'accéder à une relation transférentielle suffisante ? La méconnaissance, sinon la forclusion de cette dimension par l'analyste risquent de fausser son approche diagnostique, rejetant dans l'incurabilité des sujets tout à fait aptes à bénéficier de cette technique. Le problème de l'argent peut grossièrement schématiser, par son exigence massive, cette barrière qui dresse le professionnel pour empêcher de venir à lui des êtres un peu trop dépourvu. Entendons bien qu'il ne s'agît pas là, dans cette critique, d'une entreprise dont le but serait de faire glisser la psychanalyse dans le registre de la charité. Mais l'histoire des Sociétés analytiques nous indique trop qu'il y a, du côté du social, un manque de maîtrise, une non connaissance, qui précipitent chroniquement ces sociétés dans des problèmes d'aliénation d'une triste banalité. Pourtant, la découverte freudienne demande à être respectée et doit être en masure d'apporter un éclaircissement particulier à l'ensemble de ces processus complexes. Nous sommes certains que cet aspect ne doit pas être négligé, ne serait-ce que par la plus élémentaire prudence veut qu'on ne considère pas comme fermée une science qui n'en est qu'à ses débuts et même, dans beaucoup de cas, qu'à ses balbutiements. Nous ne pouvons pas ici développer tous les aspects de ces problèmes majeurs.
Mais c'est dans cet esprit que nous n'avons pas hésité à prendre en analyse des malades et des moniteurs d'un collectif psychiatrique dans lequel nous travaillons. Ceci exige une rigueur théorique et l'approfondissement analytique de tout ce qui est mis en jeu. Nous en avons déjà parlé au Congrès de Barcelone de 1958.
C’est ici que l'apport théorique de LACAN nous semble indispensable. A l'intérieur de l'Institution, il est tout à fait évident que différents registres se distinguent : l'imaginaire et le symbolique et, d'autre part, le réel. La position de l'analyste, dans la relation analytique, se définit clairement dans le jeu de ces différents plans. Le problème de la neutralité n'est pas un problème de la réalité, mais un problème de topique très spéciale : il s'agit de pouvoir répondre d'une certaine place .../...


GENTIS Roger : - "Le droit à la connerie"
GENTIS Roger : - "Ecrire un pack" - Extrait de EMPAN n. 11 Juin 1993 pp. 61-64
GENTIS Roger :- "Psychothérapies individuelles dans un service hospitalier". Revue de psychothérapie institutionnelle - N°5 - 1967
GENTIS Roger : - "Traité de psychiatrie provisoire" - cahiers libres 318-319 / françois Maspero
GENTIS Roger : - "Paroles techniques et paroles émotionnelles dans les thérapies corporelles". 

Wapi
 
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Inscription : 08 Jan 2005, 16:30

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