Voici la première veillée. On pourra mettre les suivantes si cela vous plait :
a écrit :
PREMIÈRE VEILLÉE
La semaine dernière, un matin qu’il gelait à fendre les pierres, j’étais dans le bois de Bramepan, cheminant doucettement le long du Rivachot, où aiment à se poser des vols de canards sauvages.
J’étais tout transi, n’ayant encore rien foutu dans ma carnassière, quand le crépitement des feuilles sèches me fit quiller les oreilles et reluquer de tout bord : « Serait-ce les charpentiers à Félisque, ou bien le grand couillon de garde champêtre ?... »
Car, comme vous le pensez, les camaros, le père Barbassou a ça de commun avec tous les bons bougres de la campluche : le permis de chasse, il l’a sous la semelle de ses sabots.
Ce n’était pas cette saloperie d’hirondelles de potence ! C’était Pichevin, un gas de Terrefort, qui, par ce temps de chômage forcé de la terre, avait, lui aussi, décroché son fusil rouillé de la cheminée, - et, pour se désennuyer, faisait un tour de chasse.
- « Et bonjour, vieille branche, as-tu fait bonne prise ?
- Adieu, Pichevin, j’ai pas même eu l’occasion de tirer ; à peine ai-je lever une bécasse... et la garce s’est vivement carapattée sans demander ses restes... Et toi ?
- Moi, j’ai eu un peu plus de veine ; là-haut, à la Roche-aux-Pruniers, sur une compagnie de perdreaux qui loge dans les vignes en friche, j’ai réussi à en déquiller deux. À l’étang de Mougnasse, j’ai descendu un canard.
- T’es rien bidard ! T’as manqué ta vocation, t’aurais fait un bon braconnier.
- Peut-être bien, vietdaze ! Mais à propos, puisque t’as rien pu foutre dans ton hâvre-sac , tu vas tout de même venir manger la soupe à la maison. Ce sera autant de pris.
- Merci mon vieux, faut que je rentre à Janticot... Une autre fois !
- Allons, pas de façons, réplique Pichevin. Nous sommes à vingt minutes de la cambuse, amène ta viande... Tu me feras un cours d’Anarchie...
- Oh ! si c’est pour te faire un cours d’Anarchie, je ne me fais pas prier, j’en suis !... »
Et j’acceptai l’invitation du type.
Je passe sur le dîner... on s’est empli le fanal comme il faut, buvant rasade à chaque bouchée ; bref, à la fin, on avait les oreilles chaudes.
- Ouf, maintenant qu’on s’est bien farci, tu vas me parler franchement. J’entends constamment parler d’un tas de types en « iste »... socialistes, anarchistes... Quoi que c’est que ce monde-là ? C’est-y tout la même chose ?
- Bravo, mon vieux Pichevin, je suis bougrement content que tu t’intéresses à ces machines-là. Or donc, parlons peu, mais bien :
« Il y a vingt ans, y avait pas erreur ! Tout socialiste était un bon bougre. Qui disait socialiste disait un type qui ne veut plus de propriété particulière, qui veut que les richesses chapardées par les ventrus fassent retour à tout le monde. L’idée mère du Socialisme, c’était l’Expropriation, - c’est-à-dire le populo faisant main-basse sur le saint-frusquin des riches, pour donner à tous la croustille, les frusques et le logis.
« Aujourd’hui, cré pétard, tout ça a changé ! Des jean-foutre roublards se sont mis à frauder le Socialisme... comme déjà ils avaient fraudé la République !
« Et ils ont aux trois quarts réussi, les salauds ! Maintenant, qui dit « Socialisme » dit « Réformes Sociales », emplâtres sur jambes de bois, intervention de l’État fourrant son nez où les autres ont le cul ; - la fin finale serait l’État absorbant tous les monopoles actuels et devenant l’unique patron, l’unique proprio !
« Hein, ma vieille, nous serions frescots si les messieurs de Paris venaient décider à Terrefort et à Janticot ce qu’il faut semer dans tel ou tel champ.
« Oh là là, ousqu’est ma fourche ?
« D’autres encore ne voient dans le Socialisme qu’une balançoire nous retournant à l’ancien régime. Tous les marloupiers, tous les putassiers, tous les grinches de la haute se disent socialos. Bismarck a commencé la danse ; le petit pourri de Guillaume, la charogne de pape, les marquis, les comtes, les barons lui emboîtent le pas !
« Vont-ils nous foutre de la poudre aux yeux avec cette bouillabaisse ?
« Macache, cochon de dieu ! En face des socialos à la manque se dressent les socialos pour de bon. Et foutre, pas besoin de dire que c’est les seuls anarchos.
« Mais, avec tout ça, il se fait tard ; la mère Barbassou doit me trouver à dire, - nous recauserons une autre fois de l’Anarchie : jeudi prochain, si tu veux me rendre visite à la veillée... »
Vous allez pouvoir enrichir votre vocabulaire : camaros, campluche, carapatté (encore utilisé), bidard... le choix des lieux : le Rivachot, pas choisi au hasard.
J'aime particulièrement :" intervention de l’État fourrant son nez où les autres ont le cul".
Dans cette période du bac nous pourrions disserter sur : dans ce petit texte, le Père Barbassou parle de "Tous les marloupiers, tous les putassiers, tous les grinches de la haute se disent socialos". Est-ce que ceci n'évoque pas pour vous une actualité ? Vous avez 4 heures pour répondre bande de jean-foutres :sygus: .