Textes anarchistes savoureux

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par pelon » 14 Juin 2005, 11:23

Dans l'Almanach du Père Peinard (célèbre canard anar de la fin du 19ème siècle) de 1897 on peut lire les veillées du Père Barbassou.
Voici la première veillée. On pourra mettre les suivantes si cela vous plait :
a écrit :
PREMIÈRE VEILLÉE

La semaine dernière, un matin qu’il gelait à fendre les pierres, j’étais dans le bois de Bramepan, cheminant doucettement le long du Rivachot, où aiment à se poser des vols de canards sauvages.

J’étais tout transi, n’ayant encore rien foutu dans ma carnassière, quand le crépitement des feuilles sèches me fit quiller les oreilles et reluquer de tout bord : « Serait-ce les charpentiers à Félisque, ou bien le grand couillon de garde champêtre ?... »

Car, comme vous le pensez, les camaros, le père Barbassou a ça de commun avec tous les bons bougres de la campluche : le permis de chasse, il l’a sous la semelle de ses sabots.

Ce n’était pas cette saloperie d’hirondelles de potence ! C’était Pichevin, un gas de Terrefort, qui, par ce temps de chômage forcé de la terre, avait, lui aussi, décroché son fusil rouillé de la cheminée, - et, pour se désennuyer, faisait un tour de chasse.

-  « Et bonjour, vieille branche, as-tu fait bonne prise ?
-  Adieu, Pichevin, j’ai pas même eu l’occasion de tirer ; à peine ai-je lever une bécasse... et la garce s’est vivement carapattée sans demander ses restes... Et toi ?
-  Moi, j’ai eu un peu plus de veine ; là-haut, à la Roche-aux-Pruniers, sur une compagnie de perdreaux qui loge dans les vignes en friche, j’ai réussi à en déquiller deux. À l’étang de Mougnasse, j’ai descendu un canard.
-  T’es rien bidard ! T’as manqué ta vocation, t’aurais fait un bon braconnier.
-  Peut-être bien, vietdaze ! Mais à propos, puisque t’as rien pu foutre dans ton hâvre-sac , tu vas tout de même venir manger la soupe à la maison. Ce sera autant de pris.
-  Merci mon vieux, faut que je rentre à Janticot... Une autre fois !
-  Allons, pas de façons, réplique Pichevin. Nous sommes à vingt minutes de la cambuse, amène ta viande... Tu me feras un cours d’Anarchie...
-  Oh ! si c’est pour te faire un cours d’Anarchie, je ne me fais pas prier, j’en suis !... »

Et j’acceptai l’invitation du type.

Je passe sur le dîner... on s’est empli le fanal comme il faut, buvant rasade à chaque bouchée ; bref, à la fin, on avait les oreilles chaudes.

-  Ouf, maintenant qu’on s’est bien farci, tu vas me parler franchement. J’entends constamment parler d’un tas de types en « iste »... socialistes, anarchistes... Quoi que c’est que ce monde-là ? C’est-y tout la même chose ?
-  Bravo, mon vieux Pichevin, je suis bougrement content que tu t’intéresses à ces machines-là. Or donc, parlons peu, mais bien :

« Il y a vingt ans, y avait pas erreur ! Tout socialiste était un bon bougre. Qui disait socialiste disait un type qui ne veut plus de propriété particulière, qui veut que les richesses chapardées par les ventrus fassent retour à tout le monde. L’idée mère du Socialisme, c’était l’Expropriation, - c’est-à-dire le populo faisant main-basse sur le saint-frusquin des riches, pour donner à tous la croustille, les frusques et le logis.

« Aujourd’hui, cré pétard, tout ça a changé ! Des jean-foutre roublards se sont mis à frauder le Socialisme... comme déjà ils avaient fraudé la République !

« Et ils ont aux trois quarts réussi, les salauds ! Maintenant, qui dit « Socialisme » dit « Réformes Sociales », emplâtres sur jambes de bois, intervention de l’État fourrant son nez où les autres ont le cul ; - la fin finale serait l’État absorbant tous les monopoles actuels et devenant l’unique patron, l’unique proprio !

« Hein, ma vieille, nous serions frescots si les messieurs de Paris venaient décider à Terrefort et à Janticot ce qu’il faut semer dans tel ou tel champ.

« Oh là là, ousqu’est ma fourche ?

« D’autres encore ne voient dans le Socialisme qu’une balançoire nous retournant à l’ancien régime. Tous les marloupiers, tous les putassiers, tous les grinches de la haute se disent socialos. Bismarck a commencé la danse ; le petit pourri de Guillaume, la charogne de pape, les marquis, les comtes, les barons lui emboîtent le pas !

« Vont-ils nous foutre de la poudre aux yeux avec cette bouillabaisse ?

« Macache, cochon de dieu ! En face des socialos à la manque se dressent les socialos pour de bon. Et foutre, pas besoin de dire que c’est les seuls anarchos.

« Mais, avec tout ça, il se fait tard ; la mère Barbassou doit me trouver à dire, - nous recauserons une autre fois de l’Anarchie : jeudi prochain, si tu veux me rendre visite à la veillée... »


Vous allez pouvoir enrichir votre vocabulaire : camaros, campluche, carapatté (encore utilisé), bidard... le choix des lieux : le Rivachot, pas choisi au hasard.
J'aime particulièrement :" intervention de l’État fourrant son nez où les autres ont le cul".
Dans cette période du bac nous pourrions disserter sur : dans ce petit texte, le Père Barbassou parle de "Tous les marloupiers, tous les putassiers, tous les grinches de la haute se disent socialos". Est-ce que ceci n'évoque pas pour vous une actualité ? Vous avez 4 heures pour répondre bande de jean-foutres :sygus: .
pelon
 
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Message par artza » 14 Juin 2005, 13:35

Il s'agit de l'almanach du Père Peinard de 1897?

1893-98 c'est une majorité parlementaire réactionnaire qui soutient des gouvernements de sa couleur, menée par le président de la république Casimir Périer (des mines d'Anzin) et qui ne se contentait pas d'inaugurer des chrysanthèmes!

Les socialistes des diverses tendances ont eut 600 000 voix (5%) et 50 députés.
260 000 voix pour le seul Parti ouvrier de Guesde qui entre à la Chambre.

De l'avis général c'était un succès encourageant pour les socialistes.

L'anarchiste Pouget ne pouvait qu'enrager coincé entre son abstention et les récents attentats stupides de certains des siens.

Guesde fit dans cette période ses plus beaux discours parlementaires qui restent des fleurons de la littérature socialiste, sur le libre-échange, sur les huit heures, les magasins patronaux (économats), contre les lois scélérates dont souffraient les amis de Pouget et propose des lois "démocratiques" ce que reproche Pouget sur le droit de grève, et contre les conseils de guerre.
Deux députés socialistes sont condamnés à la prison pour des attaques contre C. Périer dans la presse.

Dans cette période prit forme sous prétexte de "défense républicaine" le ministérialisme (union de la gauche).
Après les élections municipales de 96 ou les socialistes emportèrent Marseille, Dijon, Toulon, Limoges, Calais etc...se tint "le banquet de St-Mandé" ou Millerand mettra en place "son programme socialiste "progressif" minimum et la suite est connue...

Tout ça pour dire que Pouget avec son talent non-dépouvu de démagogie ne fait pas dans la nuance et est très injuste avec nombre de socs de l'époque dont Guesde qui n'est pas encore celui de 1914 et même Jaurès défenseur des verriers de Carmaux et avocat au parlement des libertés politiques et syndicales pour les instituteurs.
Lus avec les yeux d'aujourd'hui, l'ignorance de ce temps ancien, et l'actualité du PS c'est plaisant mais donne aux amis une drôle d'idées des socialistes d'alors.
artza
 
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Message par Ottokar » 14 Juin 2005, 14:10

et puis faites attention, je suis tombé sur un texte du Père Peinard antisémite au moment de l'affaire Dreyfus, faisant l'assimilation Juif = Patrons ! Beurk !
Ottokar
 
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Message par pelon » 14 Juin 2005, 18:01

Bien entendu, le Père Peinard n'est pas notre référence et il y aurait beaucoup à dire, non seulement sur sa démagogie, mais tout simplement sur ce qu'il disait politiquement.
Nous sommes à un ou 2 ans de l'entrée de Millerand au gouvernement, qui sera d'ailleurs condamné par Guesde, Rosa Luxembourg etc. , les déformations chez certains socialistes sont déjà bien présentes mais nombre d'anarchistes ne sont pas en reste, août 1914 en sera le révélateur. Mais je propose que soit créé un fil plus sérieux pour discuter des courants socialistes et anarchistes, par exemple jusque 1914. En attendant je continue la publication des veillées du Père Barbassou :
a écrit : 
DEUXIÈME VEILLÉE

Exact au rendez-vous, Pichevin s’amena le jeudi soir, et avec lui Marquemal et Cadichot. Il faisait un frio abominable, un temps à pas foutre les chiens dehors.

Nous continuâmes notre dégoisage devant un grand feu allumé par la ménagère.

-  « Nom de Dieu, me dit Pichevin, j’ai bougrement ruminé tout ce que tu m’as jabotté la dernière fois, et je trouve que tu as un brin raison. Les deux copains à qui j’ai narré notre causette pensent kif-kif bourriquot.

« La putain de République, que nous superposions être bonne bougresse pour les pauvres, nous a couillonnés dans les grands prix. À coups de bulletins de vote, nous avons bien fichu les messieurs dehors, malgré ça, nous sommes jean-jean après comme avant. Aux conseils de commune on a envoyé des cul-terreux comme nous, - et ils ne peuvent rien foutre de bon ! Les républicains qui nous contaient fleurette, quand il s’agissait de décrocher l’assiette au beurre, sont aussi vaches que les monarchistes de tout poil - le Panama l’a assez prouvé !

« Les socialos, tu dis, et je le crois, que c’est du même tonneau, et qu’on veut nous gourrer avec le Socialisme comme on nous a déjà gourrés avec la République.

« Toi, t’es anarcho... Mais qui nous dit que les anarchos c’eszt pas des monteurs de coups, kif-kif les autres, qu’eux aussi ne nous foutent pas dedans ?

« Voilà la question que Marquemal, Cadichot et moi voulons te poser.

-  C’est très bien, vieux frères, que je dis. En se chauffant les tibias, on va vous donner des expliques. D’abord, je vais vous dire ce qu’est l’anarchie ; l’autre jour, je vous ai dit - et je ne m’en dédis pas ! - que les anarchos sont seuls vraiment socialos. Ben oui, y a qu’eux qui veuillent carrément la fin de toutes les exploitations ! Ils veulent que la propriété, accaparée par les couvents et les richards, fassent retour au populo ; ils veulent que la rente, l’impôt, l’hypothèque et toutes horreurs du même tabac soient remisés au vieilles lunes et aussi qu’il ne soit plus question de l’esclavage militaire.

« Quand on en sera là, les turbineurs des villes et ceux de la cambrousse s’entendront entre eux à la bonne franquette, pour l’échange de leurs produits.

« Jusque là, rien qui semble à prime vue nous séparer des socialos à la manque. Eux aussi, vietdaze, à certaines occases, ils disent vouloir emmancher la Sociale de cette façon ; mais, la fin finale de tous leurs discours, c’est que rien ne s’agencera bien s’ils ne sont à la tête ; une fois qu’ils seront grosses légumes, t’auras qu’à ouvrir le bec ; les alouettes dégoulineront du ciel toutes rôties.

« Les anarchos, c’est tout le contraire, ils ne veulent rien savoir en fait de places ! Ils ne veulent pas plus celle de cet empoté de Félisque que du plus petiot garde champêtre.

« À chacun d’agir en peinards », qu’ils dégoisent, autant de types qu’on élève, autant de gas foutus dans la crotte, - le meilleur devient le plus mufle ! L’émancipation des prolos doit être l’œuvre des prolos eux-mêmes.

« Les socialos jasent à toute occase de conquête des pouvoirs, des municipalités, et de tout le tralala politique ; voulant nous faire accroître qu’une fois l’assiette au beurre dans leurs pattes, chacun pourra y piquer à son aise.

« Tandis que, les anarchos gueulent, sans fin ni cesse : Assez de ces foutaises, mille bombes ! soupé des chefs, - chacun a son propre chef sur les épaules ! Assez du torche-cul électoral, - les types de Paris ne peuvent pas savoir ce qui est utile aux gas de Fouilly-les-Oies ou de Trépigny-les-Marmites : eux seuls, sacré pétard, peuvent chouettement manœuvrer leur barque.

« Que chaque prolo de la ville ou de la campluche y aille de son initiative ; qu’il se groupe avec de bons bougres comme lui pour répandre ses idées ; que, sans faire de magnes, les groupes s’entendent entre eux pour remiser leurs fiacres aux richards et leur faire comprendre que leur règne est dans le siau.

« Puis, quand toutes les sangsues auront démissionné, quand la terre sera revenue aux campluchards, la mine aux mineurs et les usines aux ouvriers, - que foutrait-on d’un gouvernement ? Il serait aussi utile que la vermine !

« Eh oui, les anarchos dégoisent de la sorte, et ils ont mille fois raison, pétard de dieu ! Le gouvernement est au corps social ce qu’est la vermine au corps humain.

« Et ça coûte chaud, un gouvernement ! Celui qu’on endure en France nous coûte, à vue de nez, quelque chose comme quatre milliards par an.

« Les services qu’il nous rend valent-y quatre milliards ?

« Je ne veux pas bavasser des saloperies qu’il fait, c’est les trois quarts de sa besogne : prélèvement de l’impôt, conscription, guerre, emprisonnement des bons bougres, fusillades de grévistes... J’arrête la litanie, car j’en aurais jusqu’à demain !

« Et le peu de choses utiles dont ce salaud s’accapare le monopole, c’est pour se faire accepter de nous. D’ailleurs, on s’en tirerait sans lui :

« Il fait les routes... les groupes de campluchards des communes ne les feraient-ils pas aussi bien ?

« Il donne l’instruction... est-ce à dire que les types instructionnés disparaîtraient avec lui ? Non pas ! Ils continueraient à instruire nos loupiots, et n’étant plus canulés par l’État ils y mettraient autrement plus d’ardeur.

« En tout et pour tout il en serait comme des routes et de l’instruction.

« Ça ne disparaîtrait pas avec l’État, - bien au contraire, tout prendrait un développement espatrouillant !

« En réalité, l’État est une machine à nous broyer : qu’importe que ce soit Pierre ou Jacques qui tourne la manivelle, - nous n’en sommes pas moins broyés.

« Donc, soupé de cet écrabouilloir, - n’en faut plus !

« Croyez-vous, les amis, qu’en tenant ce jaspinage, les anarchos vont se hisser aux râteliers ? Y a pas de pet !

« Ceci dit, que je vous résume leur dada :

« Pour le présent, c’est la lutte contre le capital et l’État...

« C’est l’ébauche du groupement corporatif et du groupement par affinités qui, grâce à la libre entente, mettront au rencard les capitalos et les gouvernements d’aujourd’hui...

« Et alors, quand le bien-être et la liberté seront le lot de tous, ce sera rupin ; : chacun naviguera à sa guise sans nul souci de bricheton ; le turbin sera aussi agréable qu’une partie de rigolade et on ne se regardera plus en chien de faïence, car il y aura des turnes et des chouettes frusques pour tout le monde.

Turellement, pas de douaniers, mille dieux ! Pas de flics, pas de rats de cave, plus de percepteurs, plus de cognes, plus de troubades, plus de jugeurs... rien qu’un mauvais souvenir de l’infernale dégoûtation de nos jours ! »

Comme il se faisait tard, on alluma les lanternes, on se serra la louche et chacun rentra dans sa chaumière, - en se donnant rendez-vous pour le lendemain soir.


Ici, les thèses anars, sur l'Etat par exemple, sont plus développées.
pelon
 
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Message par pelon » 16 Juin 2005, 14:58

Comment Dommanget explique la collectivisation de la terre à des petits paysans :

a écrit :
TROISIÈME VEILLÉE

Comme j’entendais le plin-plan de sabots de connaissance, j’allai vivement ouvrir. À peine les copains étaient-ils entrés que Marquemal me demandait comment on s’alignerait pour la culture des terres, un coup que la Sociale serait passé par là ?

-  Vas-t-on partager ? qu’il clame.
-  T’es malade, que j’y réponds. Partager !... Tu coupes encore dans ces mensonges de réacs ? Tu t’imagines que nous sommes des partageux ?

« Mais mon pauvre frangin, qu’avons-nous donc à partager ?

« Nous sommes logés à maigre enseigne ; prenons-nous les uns et les autres : toi, Marquemal, et Pichevin, et Cadichot, crois-tu que ça nous ferait une belle jambe de partager nos lopins ?

« Ça ne nous appauvrirait pas... mais ça ne nous enrichirait pas non plus !

« Non, jamais il n’a été question de partager : ceux qui disent ça sont de sacrés jean-foutre et des menteurs.

« C’est justement de tout le contraire qu’il est question : au lieu de partager les terres, on voudrait les rendre toute communes, afin de les travailler en commun, et grâce à ce biais, produire plus avec moins de peine.

« Mais, sache-le, Marquemal, quand les anarchos parlent des propriétaires, c’est pas nous qu’ils visent, - car nous sommes propriétaires de nom, mais pas de fait... oh là là, y a pas de pet, pécaïre !

« C’est bien nous qui bûchons comme des nègres, suant l’été et grelottant l’hiver... mais les revenus, c’est-y nous qui les touchons ?

« Ah non, misère ! C’est le cochon de percepteur, l’empocheur de la gouvernance, qui, chaque an, nous envoie sa note, quoiqu’il nous ait jamais prêté rien de rien.

« C’est aussi un birbe mieux calé que nous, à qui dans un moment de gêne nous avons emprunté quelques biftons et à qui il faut casquer l’intérêt.

« Ben oui ! Et ces gaillards empochent notre argent sans se faire de bile. Le pognon n’est pas comme les épis et le raisin, il ne craint ni gelée ni grêle.

« Voilà les vrais proprios de notre terre ! Pour ce qui est de nous, nous n’en sommes que les tenanciers.

« Vraiment, faut avoir une sacré couche pour supposer que les anarchos veuillent s’en prendre à nous [...]



[...] « Mais, vingt dieux, quand ils verront le chouette fourbi du travail en commun dans les champs de tous ; quand ils verront les machines faire sans s’esquinter le labeur qui des fois est si dur ; ça leur fera faire d’autres réflecs, et foutre, ils seront les premiers à demander que leurs pièces soient jointes au grand domaine.

« Et alors, ce qu’on aura de chiques récoltes, sans se crever à la peine ! Mais, motus... ce que j’ai à vous dégoiser là-dessus, je le garde pour demain. »
pelon
 
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Message par pelon » 19 Juin 2005, 09:19

Où l'on voit que les camaros anarcos de l'époque n'avaient pas une vision passéiste du travail du paysan :

a écrit :
QUATRIÈME VEILLÉE

Tout en épluchant la riche grillade de marrons qu’avait préparée la mère Barbassou et qu’on arrosait d’un petit vin blanc que Pichevin avait amené, on reprit la conversation :

-  Je vous disais donc que lorsque nous serons tous associés dans la commune, qu’on aura arraché les haies qui épuisent la terre et tiennent de la place, qu’on aura fichu les murs à bas et enlevé les bornes, - alors que nous serons tous frères et que le village sera quasiment une grande ferme, y aura mèche d’avoir de belles récoltes sans s’esquinter le tempérament.

« Sans même aller chercher midi à quatorze heures, y a qu’à reluquer ce qui déjà s’opère aujourd’hui.

« Ainsi, une ferme galbeuse, c’est le domaine de Witeall (en Angleterre), près de South, dans le comté de Lincoln ; il tient toute la commune du même nom, plus un bon morceau de la paroisse de Welton-the-Wold.

« Cette bougresse de ferme contient 2,175 acres (l’acre vaut, je crois, 50 ou 60 ares) dans lesquels sont plantées 38 piôles, ce qu’il y a de plus rupin, ça s’appelle des cottages. C’est là que perchent les gas de la ferme, au nombre de 93. À ce personnel pas ordinaire, faut ajouter trois forgerons et deux charpentiers, établis avec leurs compagnons dans des ateliers richement bien aménagés. Le travail est fait par des machines de toutes espèces ; un chemin de fer traverse l’exploitation et la relie directement au réseau le plus voisin.

« Faisons un tour aux étables, et vingt dieux, nous allons voir ce qu’elles sont bougrement garnies : 3,500 moutons, 360 bêtes de race bovine, 90 canassons, 230 porcs sans compter le proprio, - foutre, ils ne sont pas prêts de disparaître les jambons d’York dont se gavent les aristos !

« Les principales productions du sol sont le froment, l’orge, l’avoine, et les navets.

« Sans doute y a pas les primeurs et les fruits qui poussent au soleil de notre midi ; y a pas non plus les grappes galbeuses de la Bourgogne et du Bordelais. Mais, vietdaze, faut bien des navets pour faire la soupe, - comme il faut du picolo pour se rincer la dalle.

« Une autre ferme, espatrouillante aussi, c’est toujours en Angleterre, une ferme qui perche dans un patelin baptisé Hargham, - le diable m’emporte si je sais où c’est ! Là, c’est pas des navets qui y poussent, c’est du gibier !

« Ben oui, du gibier !

« Sur les 2,900 acres d’étendue qu’a ladite ferme, 45 sont en taillis ; un étang rupinskoff, entouré de collines, est farci de canards sauvages. L’année dernière on a fait venir plus de 2,000 poules faisanes, et les œufs sont recueillis avec bougrement de soins ; 600 poules sauvages se baladent dans les bois ; pour ce qui est des lièvres, et des lapins je préférerais qu’on me coupe la chique que d’être obligé de poser, à chaque un grain de sel sous la queue.

« Pour vous donner une idée du trafic qui se fait dans cette baraque, il me suffit de dire aux camaros, que, bon an mal an, on vend 12,000 pièces de gibier à plume.

« Puisque j’en suis à ces sacrées fermes spéciales, faut aussi que je bavasse de cette du Puget-Sound, aux pays des dollars, dans les Amériques. Là, c’est la volaille que l’on fait pousser.

« Et la broche peut tourner, pécaïre ! Les couveuses à vapeur ne chôment pas : 100,000 poules, 30,000 dindons, 8,000 oies, 1,300 canards, plus une foultitude de pigeons... Qué concert, qué roucoulement, qué piaulement doit faire cette marmaille ! Ouais, je m’en bouche les oreilles, rien que d’y penser.

« C’est cette ferme de 1,200 acres d’étendue qui approvisionne les marchés de l’Orégon, de San Francisco, de Sacramento et de New York, les plus grosses villes des États-Unis.

« hein, en voilà de la mangeaille produite à bon compte !

« Et ce n’est encore que de la gnognotte, comparé à ce qu’on peut obtenir. Mais, rien qu’en nous tenant à ça : si des fermes de ce calibre se créaient un peu partout, ce serait le bien-être pour tous, - y a fichtrement pas d’erreur !

« Y a des bon fieux, pas méchants pour deux liards, mais farcis de gnoleries bourgeoises, qui rengainent : Et si tout le monde veut bouffer du poulet, comment vous y prendrez-vous en anarchie, pour contenter tous ces goulus ?

« Eh bien, mon bon, on fabriquera des poulets ! Par le temps qui court, c’est pas plus difficultueux que de faire pousser des pommes de terre ; s’agit simplement de s’organiser en conséquence.

« Et pour le clouer, on lui cite l’exemple de la ferme de Puget-Sound.
pelon
 
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Message par artza » 20 Juin 2005, 07:32

Ais-je bien lu?
Il me semble que l'avenir de l'agriculture vue par Pouget n'est pas exactement celui des "écolos-alternativos-libertaires" d'aujourd'hui.
artza
 
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