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Au Congo, les gorilles des plaines préfèrent parfois l'outil à la force[/center]
LE MONDE | 01.10.05 | 10h08
La plupart des singes anthropoïdes emploient toutes sortes d'objets pour en faire des outils rudimentaires. Ainsi, les chimpanzés de la forêt de Taï (Côte d'Ivoire) cassent des noix en les frappant avec des pierres sur des enclumes de bois ou effeuillent de minces tiges qu'ils plongent dans les termitières pour en extraire les "habitants".
Mais, jamais encore, on n'avait observé dans la nature l'utilisation d'outils rudimentaires par des gorilles alors qu'on l'avait constaté chez des individus hébergés par des zoos. Les gorilles, disait-on, n'avaient pas besoin de tels artifices car, plus forts que leurs cousins, ils peuvent briser les noix avec leurs dents et détruire les termitières avec leurs mains pour accéder aux insectes.
Des observations menées en octobre et novembre 2004 dans la forêt marécageuse de Mbeli Bai, située dans le parc national Nouabalé-Ndoki au nord de la République du Congo, ont mis fin à ces certitudes infondées. A deux reprises, des chercheurs de la Wildlife Conservation Society (WCS), du parc de Nouabalé-Ndoki et du Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology de Leipzig (Allemagne) ont photographié des gorilles de plaine (Gorilla gorilla ) utilisant un bâton comme outil. Ces témoignages peuvent être consultés gratuitement à partir du samedi 1er octobre sur le site de PLoS Biology (
www.plosbiology.org). Ils seront dans la version papier de la revue en novembre.
La première fois, expliquent les scientifiques dirigés par Thomas Breuer de la WCS, ce fut lorsqu'une femelle appelée Leah appartenant à un groupe observé depuis 1995 voulut traverser un grand trou d'eau formé par les éléphants. Rapidement, l'animal se retrouve avec de l'eau à mi-corps. Elle en ressort, brise une branche d'un arbre mort et s'en sert pour mesurer la profondeur du trou jusqu'à une distance de dix mètres. Constatant que le trou est trop profond, elle retourne sur la rive, récupère son petit qui pleure et contourne l'obstacle pour aller se nourrir d'herbes aquatiques.
La seconde observation a été effectuée sur une femelle nommée Efi appartenant à un autre groupe. Les chercheurs ont cette fois remarqué qu'Efi détachait une branche d'un arbre mort, s'appuyait dessus de sa main gauche pour se stabiliser dans une zone marécageuse et pouvait ainsi, de la droite, ramasser des plantes aquatiques. Puis, à l'aide de ses deux mains, elle a placé la grosse branche sur le sol détrempé pour se déplacer dessus à quatre pattes.
"Pour nous, c'est une découverte stupéfiante, explique Thomas Breuer. L'utilisation d'outils chez les grands singes nous apporte des informations sur l'évolution de l'outillage dans l'espèce humaine. Le détecter pour la première fois chez les gorilles est important à plusieurs titres." Ainsi, ce comportement témoigne-t-il peut-être "d'une adaptation à des conditions environnementales particulières", les abords de la forêt de Mbeli Bai étant souvent inondés.
Marie-Claude Bomsel, vétérinaire et professeur au Muséum national d'histoire naturelle, se réjouit de cette étude, qui "permet de revaloriser l'intelligence des gorilles" , que certains considèrent comme des brutes. Or, "ces anthropoïdes doux et massifs sont les plus attachants des grands singes" , insiste la spécialiste.
La plupart des travaux sur l'intelligence des primates chimpanzés et orangs-outans ont été effectués en laboratoire. Ce qui n'a jamais pu être réalisé avec les gorilles, "qui sont extrêmement effrayés par le regard humain, beaucoup plus que les chimpanzés. De plus, émotifs et très introvertis, ils sont très difficiles à garder en captivité en raison de leur stress non apparent" , ajoute Mme Bomsel.
Les grands zoos étrangers, qui disposent de moyens supérieurs à ceux de leurs homologues français dans ce domaine, parviennent à les garder en vie en les installant dans un espace vaste. Mais, comme les autres singes anthropoïdes, ils sont menacés, car dans leur milieu naturel, en raison de leur poids (200 kg), ils sont souvent chassés comme viande de brousse. Et aussi par des braconniers qui proposent aux touristes des mains et des crânes en souvenir.
Christiane Galus