Je viens de voir, à la télé, des extraits des témoignages des acquittés d'Outreau devant la commission parlementaire...
Avez-vous vu?
Ça fait froid dans le dos... On ne sait même pas quoi dire, là, immédiatement...
(Libération @ jeudi 19 janvier 2006 a écrit :Les mots pour dire Outreau
Face à la commission d'enquête parlementaire, les innocentés ont parlé longuement. Diffusés en direct à la télévision, ces témoignages ébranlent l'institution judiciaire.
par Florence AUBENAS
On avait vu les treize d'Outreau devant la cour d'assises de Saint-Omer en mai 2004. On les avait vus à la chancellerie après les sept premiers acquittements. On les avait revus en appel à Paris, puis après, encore, à Matignon. On avait l'impression de les avoir vus partout et pourtant jamais la France ne les avait vus comme ça, «en vrai», racontant aussi longuement que chacun d'eux le voulait cette affaire-là qui les a engloutis. Retransmises hier en direct à la télévision, les auditions des acquittés d'Outreau devant la commission parlementaire ont provoqué un choc. De l'un à l'autre, l'accent du Nord monte comme les eaux du canal, engloutit tout, la moquette, les ors et les lumières de l'Assemblée nationale. Les mots se bousculent, avec les larmes jamais très loin, et puis la voix se brise, toujours. Il n'y a plus que leurs visages mais tout se lit sur ces peaux trop blanches et ces traits trop marqués.
Sur le même sujet
A la création de la commission, décidée en décembre dans l'euphorie des six derniers acquittements, les députés ont ferraillé pour être un des trente membres qui la composent. «Dans ce genre d'exercice, il y a en moyenne deux candidats par poste. Là, on était quatre pour un.»
«En prison, on n'est plus rien.» Ils sont là. David Brunet, habitait la Tour-du-Renard. «Je vais essayer de rester calme et de m'exprimer sans haine. Est-ce que je peux parler comme je veux ? Ils m'ont dit que j'étais accusé d'avoir violé mon fils et tout le tralala. Tout était chamboulé dans ma tête. En prison, les détenus n'aiment pas les violeurs. On crachait dans ma bouffe. J'avais pas d'argent, alors je poussais les morceaux avec la salive et je mangeais le reste.» Pendant sa garde à vue, Odile Marécaux, infirmière scolaire, a fini par s'asseoir par terre. «C'est pas encore assez bas pour vous, sale pédophile», lui a dit le commissaire. Son mari Alain était huissier: «Je vais vous dire quelque chose de grotesque et d'horrible.» Marécaux s'arrête, comme étouffé par l'humiliation qui remonte d'un coup. «Un policier s'est planté devant moi : "Cela fait combien de temps que tu as fait l'amour à ta femme ?" J'ai répondu: "Lundi." Ils sont allés vérifier auprès d'elle. Ils sont revenus."C'est ça, mais pourquoi tu l'as pas pénétrée ?" J'ai raconté qu'elle avait ses règles. Le flic m'a dit : "Et alors ? T'es un spécialiste de la sodomie."» Pierre Martel, chauffeur de taxi : «On n'est plus rien. Je pensais avoir transporté un des accusés dans mon taxi. Le policier m'a dit : "Ici on ne pense pas. C'est oui ou c'est non." Dans la détresse, j'ai dit oui.» Karine Duchochois : «L'inspecteur m'a expliqué: "Si tu avoues, tu iras mieux. Regarde, ceux qui ont parlé, ils sortent."» Pas à pas, un à un, les huissiers, les garçons d'étage, les administratifs de l'Assemblée se sont approchés de la salle des auditions. Ils restent hypnotisés devant la porte entrouverte. Une femme de ménage s'est mise à pleurer doucement.
Plusieurs députés de l'UMP s'étonnent. Michel Hunault (Loire-Atlantique) : «On a l'impression que la liberté se monnaye contre des aveux en garde à vue.» Jean-Yves Hugon (centre) : «Mais vous êtes traités comme des délinquants !» Pendant la suspension, l'un des accusés n'en revient pas non plus. «Je n'ai pas compris si les élus se moquaient de nous ou quoi ? C'est bien eux qui votent les lois et dirigent le ministère des policiers, quand même ?»
«Le juge, il était le bon Dieu». Puis vient le récit de l'instruction. Pierre Martel, chauffeur de taxi, explique qu'il n'a vu le juge Fabrice Burgaud que quatre fois en trois ans. «Cinq minutes quand j'ai été arrêté, dix pour la mise en détention, une heure pour l'interrogatoire de personnalité, puis la confrontation. Il ne m'a jamais interrogé sur le dossier. Il était le bon Dieu, il avait pouvoir de vie et de mort sur moi. Au bout d'un moment, en prison, j'ai réalisé qu'il était en train de faire de moi un coupable.» Daniel Legrand, ouvrier du bâtiment : «Le juge ne voulait rien savoir. Je lui ai dit : "Vous incarcérez un innocent." Alors il m'a fait : "L'innocent, il est pas près de sortir."» Legrand reprend son souffle. André Vallini (PS), président de la commission, s'y trompe. «Vous voulez continuer ?» L'autre se fâcherait presque : «Ben et comment ! Je croyais qu'un juge, ça faisait une enquête, qu'il allait vérifier que j'avais ni sex-shop, ni maison en Belgique. Rien. Il notait, il notait, il était bon qu'à noter.» Odile Marécaux : «Tout était mené à charge, exclusivement. Il m'a reçue un jour et il a déblatéré sur le fait que j'avais changé de couleurs de cheveux. Pour les procès-verbaux, il écrivait, puis dictait au greffier. Il ne marquait que ce qu'il voulait : j'ai dit par exemple que le dimanche, nous allions au temple [protestant, ndlr] avec mon mari. Il a transcrit à Etample, une ville belge, parce qu'il était persuadé de l'existence d'un réseau international.» Christian Godard, le mari de la «boulangère» : «Moi j'ai raconté avoir apporté du pain à ma femme trois ou quatre fois à Outreau. Il a écrit : "Régulièrement." On ne pouvait pas le faire changer d'avis. Il disait à l'avocat : "Pour vos questions c'est plus tard."» Thierry Dausque rappelle qu'il a traversé dix-huit mois d'instruction sans avocat. «Tout ce qu'on pouvait dire, le juge il s'en foutait.»
«Une totale surdité». Le calendrier donne soudain à ces accusations une étrange résonance. Les deux jours précédents, Fabrice Burgaud a lui-même été entendu par l'inspection administrative pour déterminer s'il devra être personnellement sanctionné. Il a passé près de huit heures à contester la transcription du procès-verbal des inspecteurs après avoir protesté car il n'avait pu être accompagné d'un avocat. «Burgaud voulait faire carrière. La haute opinion que ces gens ont d'eux-mêmes les conduit à une totale surdité. Mon frère François volait des voitures, comme tous les jeunes. Pour Burgaud, il était quantité négligeable», ainsi parle Lydia Mourmand venue défendre le quatorzième accusé, mort en détention. Pour elle, comme pour les autres, l'injustice a eu un visage, celui de ce juge. «Burgaud, je n'en veux pas de ses excuses. Quatre ans plus tard, on ne nous a toujours pas dit de quoi mon frère est décédé. Nous, on est à la RMI, et on a dû payer les pompes funèbres.» Karine Duchochois : «Je ne veux pas sa tête mais je n'accepte pas qu'il ne reconnaisse pas ses erreurs.» A la commission, elle demande une faveur : que les treize puissent être dans la salle le jour de l'audition du magistrat. «On dira rien, c'est promis. Juste pour le voir. On en rêve.» Accordé. La séance devrait avoir lieu dans quinze jours.
Utilisateur(s) parcourant ce forum : Aucun utilisateur inscrit et 0 invité(s)