a écrit :Le canard laqué résiste à la grippe aviaire
LE MONDE | 28.01.06 | PÉKIN CORRESPONDANT
Le canard de Pékin étant à la capitale chinoise ce que la choucroute est à Strasbourg, les experts ont de quoi s'inquiéter en ces temps de grippe aviaire alors qu'un milliard trois cents millions de Chinois devaient célébrer, samedi 28 janvier au soir, le Nouvel An.
La nouvelle année a beau être placée sous le signe du chien, ce sont bien les gallinacés qui continuent à poser problème. En Chine, les plats de fête sont traditionnellement composés de volaille, et de nombreux citoyens de l'empire du Milieu rentrent chez eux en trimbalant des poulets ou des canards vivants pour être certains de la fraîcheur de leurs produits. Or on sait que c'est précisément la proximité des humains avec la volaille qui est source d'infections. Les autorités chinoises ont annoncé, le 25 janvier, la septième victime du virus H5N1 : une employée dans un marché de la ville de Chengdu, au Sichuan. En tout, dix cas d'infection ont été signalés en Chine.
Dans l'un des plus grands restaurants de la capitale, l'heure n'est cependant pas à la panique. Au Quanjude, où l'on se flatte d'exister depuis cent quarante ans, la grippe aviaire n'a pas fait fuir le client. "Nos consommateurs ne craignent rien", assure Mme Li Min, responsable des relations publiques, en nous remettant un luxueux prospectus où sont reproduites des photos de stars venues au restaurant, comme Henri Kissinger ou George Bush senior, que l'on voit en train d'enrober la peau croustillante d'un canard laqué dans de petites crêpes fourrées de poireaux comme le veut l'usage. "Nous disposons de nos propres élevages de canards, et ces derniers sont soumis à des tests de dépistage constants, assure Mme Li. D'ailleurs, pour le Nouvel An, on affiche déjà complet pour nos dîners spéciaux..."
Dans la salle, une fonctionnaire à la retraite, Mme Tian, attend sagement que sa famille la rejoigne pour dîner. "C'est vrai que les achats de volaille sur les marchés ont baissé, observe-t-elle, mais, moi, je n'ai jamais changé mes habitudes alimentaires. En Chine, on mange la volaille très cuite, comme toutes les viandes, pas comme en Occident, où vous mangez des steaks saignants ou de la viande crue ! Je n'ai pas peur de la grippe aviaire."
La traditionnelle semaine de vacances du Nouvel An, qui a commencé samedi, a donné lieu à des transferts records de population. Officiellement, on estime à environ 2 milliards le nombre de voyages que les Chinois viennent d'effectuer durant cette période, 90 % d'entre eux voyageant en train, une quinzaine de millions seulement par avion.
L'année du coq laisse donc la place à celle du chien, censée être propice aux mariages, mais source possible... d'épidémies, comme vient de l'avancer, avec une certaine pertinence, un astrologue hongkongais. A propos de la race canine, cette année commençant sous ses auspices permet de rappeler que le chien bénéficie en Chine d'un statut ambigu : l'émergence d'une classe moyenne urbaine a vu la multiplication du nombre d'animaux de compagnie, choyés comme en Occident, et particulièrement des chiens. Mais ces derniers continuent à être consommés, une dizaine de millions d'entre eux étant encore abattus chaque année dans des conditions d'hygiène douteuses. Certains sont mêmes écorchés vivants, leur mort lente étant censée donner à leur viande un goût particulier.
En attendant, les Pékinois — et les Chinois en général — peuvent cette année s'adonner aux joies des pétards, plaisir qui leur était refusé depuis 1994, date à laquelle ils furent interdits dans deux cents villes.
Les festivités de samedi soir s'annonçaient dangereuses, sachant que 187 personnes ont été tuées en Chine, en 2005, lors de périlleuses expériences pyrotechniques. Mais, pour les Chinois, parce qu'une longue tradition veut que les explosions fassent fuir les mauvais esprits et les fantômes, un Nouvel An sans pétards ne serait pas vraiment un Nouvel An.
Bruno Philip