Un article un brin polémique du PCI - Le prolétaire sur le venezuela et la lcr.
a écrit :Venezuela : les fausses perspectives de la Lcr.
Le gouvernement de Chavez est encensé par une grande partie de la gauche et de l'extrême gauche en Europe qui croient dur comme du fer à la réalité du « processus révolutionnaire bolivarien » au Venezuela ou qui s'extasient devant les déclarations anti-américaines du bouillant colonel.
Lors de sa visite officielle en France en octobre 2005, les partisans de Chavez avaient tenu un petit meeting de soutien à la mairie du XIe arrondissement (maire George Sarre) où étaient présents entre autres, Chevénement, Danielle Mitterrand et Annick Coupé (Union Syndicale Solidaires). Le colonel avait accordé le lendemain une entrevue officielle à l'Hôtel Hilton à Marie-George Buffet pour le PCF et à Krivine pour la LCR. Le même jour, après un dîner avec Villepin, Chavez faisait une déclaration pour condamner les jeunes révoltés des banlieues : « sont-ils tous fous ? (...). Nous condamnons cela. Nous exprimons notre solidarité au peuple français et au gouvernement français, qui est un gouvernement frère, un ami » ! (1).
Les « trotskystes » de la LCR, en bons faux révolutionnaires, sont éternellement à la remorque de tous les réformistes et de tous les démagogues dès lors qu'ils ont une influence sur les travailleurs. Les déclarations d'amitié de Chavez avec le gouvernement français ne pouvaient donc pas suffire à doucher leur enthousiasme pour l'action de ce dernier au Venezuela. Il n'y a pas si longtemps qu'ils s'enthousiasmaient pareillement pour le brésilien Lula (un de leurs camarades était même devenu ministre de la réforme agraire, chargé de rouler les paysans sans-terre !) ou le sandiniste Ortega, aujourd'hui élu président du Nicaragua grâce au soutien de l'Eglise catholique à ses positions proprement réactionnaires. Sans parler du soutien sans faille apporté autrefois aux différentes organisations nationalistes bourgeoises dans les pays du dit « Tiers-Monde » qu'ils n'ont jamais hésité à qualifier de « socialistes » : il est vrai qu'ils contribuaient à répandre la fable de l'existence du socialisme dans les pays de l'Est où il n'y avait jamais rien eu de plus que du capitalisme d'Etat...
La LCR a publié l'année dernière une petite brochure intitulée « Le Venezuela en révolution ». Reconnaissant dans sa conclusion que « la révolution socialiste n'est pas faite au Venezuela, l'appareil d'Etat n'est pas démantelé, les travailleurs n'exercent pas le pouvoir, les capitalistes (...) ne sont pas expropriés » (autrement dit, pour des marxistes, la bourgeoisie est toujours la classe dominante ), elle y affirme cependant que nous sommes en présence d' « un processus révolutionnaire où tout est possible ».
Ce qu'est un processus révolutionnaire, par ailleurs « inédit », la LCR serait bien incapable de l'expliquer ; elle avertit donc l'éventuel lecteur qui, ayant quelques notions de marxisme, s'étonnerait de ses affirmations, qu'étant « à des milliers de kilomètres et dans de toutes autres conditions, [elle doit] mener ses analyses avec prudence et (...) s'appuyer sur ce que rapportent les révolutionnaires qui vivent et militent là-bas » (et sans doute aussi sur ce que lui confie Chavez)...
La « prudence » de la LCR ne s'exerce que vis-à-vis du marxisme. Dans la brochure de cette organisation qui se réclame (bien à tort !) de Trotsky, il est uniquement question de « peuple vénézuélien », de « mouvement populaire », etc., jamais de classes et de lutte de classe. En polémique contre les staliniens qui, en Allemagne, avançaient la formule de « révolution populaire », Trotsky rétorquait que c'était le langage des fascistes, qui opposaient ce slogan « à la formule marxiste de révolution de classe ».
Le peuple est composé de plusieurs classes sociales dont les aspirations et les intérêts sont différents. La révolution n'est donc possible, rappelait-il, « que si le prolétariat, loin de se laisser absorber par le « peuple », par « la nation », développe son programme particulier de révolution prolétarienne et contraint la petite bourgeoisie à choisir entre les deux régimes. Le mot d'ordre de « révolution populaire » est une berceuse, endormante pour la petite bourgeoisie comme pour les larges masses ouvrières » (2).
La LCR ne parle que de « nouvelles formes d'organisation populaires », d'« auto-organisation » des habitants des barrios de Caracas dans des « assemblées populaires », de la nécessaire « intervention décisive des masses populaires » dans le « processus révolutionnaire » en cours pour « achever la révolution », d'une « dynamique qui peut créer les conditions d'une transformation profonde de la société et des consciences » ; ce charabia ne sert qu'à cacher la nécessité de l'existence du parti de classe dirigeant les luttes du prolétariat pour que puisse voir le jour et triompher la révolution. Contre l'hypothèse avancée alors par certains dirigeants soviétiques qu'en Angleterre les syndicats pourraient être devenir le vecteur de la révolution, Trotsky énonçait il y a 80 ans avec le mode tranchant et sans équivoque du langage marxiste, la leçon cardinale enseignée par la lutte des classes :
« La révolution prolétarienne ne peut triompher sans parti, en dehors du parti, en passant à côté du parti, par un succédané du parti. (...) Nous avons payé trop cher cette conclusion sur le rôle et l'importance du parti dans la révolution prolétarienne pour y renoncer aussi facilement ou simplement l'atténuer » (3).
Sans l'organe dirigeant qu'est le parti, le prolétariat est toujours vaincu dans le combat contre son ennemi de classe, la bourgeoisie, de même qu'une armée qui irait à la bataille sans état-major serait immanquablement battue. Cet enseignement valable pour tous les pays, ses disciples dégénérés l'ont complètement renié. En effet les trotskystes soutiennent bien la construction d'un « Parti Révolution et Socialisme » car, disent-ils, les partis chavistes ne répondent pas au « besoin d'indépendance politique et de classe », mais la première décision de ce PRS a été... d'appeler à voter Chavez pour les élections de décembre ! Il ne s'agit donc que d'un nouveau parti chaviste, ni de classe, ni politiquement indépendant...
Les partisans de la dite « révolution bolivarienne » mettent régulièrement en avant l' « anti-impérialisme » du gouvernement, les discours violemment anti-américains de Chavez. La LCR reconnaît bien que « le chavisme poursuit néanmoins une politique extérieure assez classique, cherchant à sortir de la dépendance économique totale... sans s'affronter directement à la mondialisation capitaliste » (comment pourrait-il en être autrement si la bourgeoisie et son Etat n'ont pas été renversés ?) ; mais cela ne l'empêche pas d'y voir « des points d'appui contre l'impérialisme » et d'écrire que « le Venezuela est devenu une sorte de nouveau centre pour la gauche latino-américaine et une référence pour une grande partie de la gauche radicale et révolutionnaire ».
La seule chose à en déduire, c'est que cette gauche - et la LCR en fait partie - qui prend comme référence un « processus » qui ne s'affronte pas directement au capitalisme, qui ne s'attaque pas à l'Etat bourgeois ni ne songe à exproprier la bourgeoisie, est tout sauf radicale et révolutionnaire ! Elle n'est qu'une variété du réformisme dont la fonction éternelle est d'égarer le prolétariat, de lui barrer la route de la reprise de la lutte de classe en suscitant les pires illusions sur les possibilités de « transformation » sociale en laissant intact le capitalisme et toutes les institutions bourgeoises (4).
Pour avoir une vision réaliste de la nature et de la politique du gouvernement de Chavez, ce n'est pas vers ces pseudo-révolutionnaires qu'il faut se tourner, mais vers... les bourgeois eux-mêmes.
Le « Financial Times », porte-parole autorisé des milieux financiers de la city londonienne, a ainsi publié cet été un article intitulé : « La révolution de Chavez enrichit les banquiers vénézuéliens ». On peut y lire : « Lors des époques de révolution, les banquiers se retrouvent habituellement devant les pelotons d'exécution. Mais au Venezuela pour eux c'est la fête. (...) « Il nous faut transformer les structures du capitalisme" a dit récemment [Chavez] à ses partisans dans un discours semé de citations de l'idole révolutionnaire Che Guevara. Mais jusqu'ici, plutôt que nationaliser les banques, la redistribution « révolutionnaire » de l'argent du pétrole a multiplié les richards, faisant de plus en plus de Caracas un aimant pour les banquiers internationaux, Suisses et autres. Et ce ne sont pas uniquement les banquiers privés qui comptent sur la révolution. Francisco Faraco, un expert bancaire, dit que les banques locales sont en train d'engranger sous Chavez les plus gros profits de leur histoire » (5).
L'article entre ensuite dans des détails qu'il serait trop long de rapporter, notamment à propos d'une vaste opération spéculative organisée par l'Etat sur l'achat de bons argentins, avant de citer les paroles du président de la Banco Venezolano de Credito : « Grâce aux étroites relations de certains banquiers avec le gouvernement, les banques au Venezuela se portent extrêmement bien, mieux en réalité que ce que suggèrent leurs bilans officiels » (le quotidien londonien écrit qu'il est en effet difficile de savoir ce que gagnent les banques car leurs opérations à court terme, les plus profitables, n'apparaissent pas dans leurs bilans - et donc, ajouterons-nous, ne peuvent pas être sujettes à impôt !). L'article du Financial Times se termine en disant que cette orgie bancaire pourrait se terminer si la « rhétorique » socialiste chaviste devenait réalité, le gouvernement imposant une réglementation sévère à l'activité des banques (ce qui n'aurait en fait rien de socialiste, le socialisme signifiant la disparition de l'argent et donc des banques !).
Mais si la politique financière du gouvernement a bien été déterminée par ses « étroites relations » avec les milieux bancaires comme l'écrit le journal, c'est une preuve supplémentaire que ce gouvernement ne fera jamais de sa fumeuse rhétorique socialiste une quelconque réalité, parce que les intérêts qu'il défend, la classe qu'il représente, le mode de production qu'il soutient, sont intégralement et uniquement bourgeois.
Le rôle des « socialistes révolutionnaires » n'est donc pas comme le prescrit la LCR de « s'inscrire dans le mouvement suscité au Venezuela, pas en opposition au processus, mais bien au sein de ce processus pour y développer leur conception (sic !) du socialisme et du pouvoir aux travailleurs ».
Il ne s'agit pas d'une discussion ou d'un débat démocratique à mener entre diverses conceptions, mais de l'affrontement inévitable et nécessaire entre partisans de la révolution prolétarienne et défenseurs du capitalisme, reflet de l'affrontement entre les classes. C'est pourquoi le rôle, fondamental et irremplaçable, des « socialistes révolutionnaires » est à l'exact opposé : il leur faut travailler en vue de la constitution du parti de classe sur la base du programme communiste authentique ; travail qui n'est possible que dans la lutte contre toutes les fausses perspectives réformistes, contre toutes les adaptations au chavisme sous prétexte de son influence sur les masses et pour la rupture des prolétaires avec toutes les forces liées de près ou de loin à l'Etat bourgeois et la reprise de la lutte indépendante de classe.
C'est un travail qui ne peut pas espèrer des succès immédiats et faciles étant donné la force actuelle du réformisme chaviste. Mais c'est le seul qui est porteur d'avenir, le seul qui ne conduit pas le prolétariat dans les impasses mortelles où veulent le conduire tous ses faux amis, les charlatans « démocrates », « bolivariens » ou « révolutionnaires » en paroles.
parti communiste international
(1) Associated Press, Caracas, 20/10/2006.
(2) Lettre à Andrés Nin du 14/4/1931 publiée dans la brochure « Leçons d'Espagne ». cf L. Trotsky, « La révolution espagnole », p. 97.
(3) « Les leçons d'Octobre », 15/9/1924. Cité dans « L'Internationale communiste après Lénine », tome I, p. 232.
(4) L'hebdomadaire de la LCR en fait la démonstration à propos de la Bolivie. Défendant la semi-nationalisation ( le gouvernement parle de « processus de nationalisation » !) des compagnies pétrolières par le gouvernement de Morales, « mesure très positivement accueillie par l'ensemble de la société bolivienne (sic !) », y compris l'opposition de droite, « Rouge » accuse les partisans d'une véritable nationalisation de ne pas prendre en compte la faiblesse structurelle de l'Etat bolivien. L'objectif de Morales, selon « Rouge » qui le soutient implicitement, est de « reconstruire un appareil d'Etat (...) tout en faisant face aux compagnies transnationales et aux pressions corporatistes (re-sic !) ». Objectif intégralement bourgeois et spécifiquement anti-ouvrier...
(5) cf « The Financial Times », 17/8/2006. Dans un article du 16 août le « New York Times », écrivant qu'il faut distinguer la rhétorique et les faits, décrivait ce qu'il appelait les liens économiques croissants entre le Venezuela et les Etats-Unis ; en particulier « le Venezuela maintient des liens étroits avec les banques de Wall Street ». La banque d'affaires Morgan Stanley est notamment chargée de la fructueuse affaire de la vente des bons argentins au Venezuela.