Un article de l'humanité daté du 30 avril 1996
("Humanité" a écrit :L’abbé Pierre persiste et s’exclut de la LICRA
Les dernières déclarations du fondateur d’Emmaüs appelant à « lever un tabou » sur la Shoah sont jugées très graves et suscitent de vives réactions.
LE soutien de l’abbé Pierre à Roger Garaudy n’était ni une faiblesse d’amitié ni un dérapage d’octogénaire. Dans une interview à « Libération » d’hier, le fondateur des communautés d’Emmaüs estime que les écrits qui valent à Roger Garaudy d’être mis en examen pour contestation de crimes contre l’humanité (la négation du génocide des juifs commis par les nazis) touchent à « un sujet sur lequel le débat n’est pas clos ».
Plus grave encore, l’abbé Pierre s’estime « convaincu » qu’en remettant en cause l’holocauste, « il y a une espèce de ouf ! Le tabou est levé ». Il raconte avec enthousiasme qu’à l’occasion d’un voyage récent en Belgique, « dès que je suis sorti de voiture à l’aéroport de Bruxelles, des gens sont venus vers moi (...) pour me dire : merci, parce que vous avez eu le courage de remettre en cause un tabou ». Au point d’en éprouver un soulagement : « On ne se laissera plus traiter d’antijuif ou d’antisémite si on dit qu’un juif chante faux. »
Evidemment, l’abbé Pierre se défend toujours de s’aligner sur les révisionnistes. C’est pourtant aux responsables d’une association de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, la LICRA, qu’il s’en prend le plus durement. Car, dit-il, « ils n’acceptent absolument pas le dialogue, contrairement à Garaudy. Ils considèrent que le débat (sur le génocide des juifs) est clos. Qu’oser le rouvrir n’est pas possible. Par exemple sur la question des chambres à gaz, il est vraisemblable que la totalité de celles projetées par les nazis n’ont pas été construites ».
Et alors ? En quoi cette relativisation, aussi macabre que douteuse, change quoi que ce soit à la réalité et à la signification de l’horreur ? « Rien du tout », concède l’abbé Pierre. Avant d’ajouter toutefois : « Mais mes amis de la LICRA me disent qu’avancer de telles affirmations, c’est contester la Shoah. Ce n’est pas sérieux. » Et d’enfoncer le clou le plus rouillé du révisionnisme : « Croyez-vous qu’avec quarante ans de recherche, on a épuisé, mesuré toutes les dimensions d’un pareil événement ? » Quant au risque de voir une aussi sale affaire briser un lien affectif avec l’opinion, l’abbé Pierre n’y croit pas. Au contraire : « Une fois la tornade passée, beaucoup de Français moyens diront : il nous a aidés à y voir plus clair. »
En attendant, la tornade n’a pas faibli. La LICRA a réagi très vite et très fermement en indiquant « qu’en se rangeant ainsi aux côtés des négationnistes, l’abbé Pierre doit tirer les conséquences de ses choix, et quitter de lui-même l’association où sa présence ne se justifie plus ». Le président de Radical, Jean-Michel Baylet, dénonce des propos qui « ouvrent la porte de l’antisémitisme ». Et Bernard Kouchner reproche à un ami personnel « d’absoudre l’intolérable ».
La mise au point du grand rabbin
Du côté de la communauté juive, après quelques hésitations et paroles approximatives, les réactions sont désormais très fermes. Une évolution particulièrement nette chez le grand rabbin de France. Dimanche matin, sur Radio Judaïque FM, Joseph Sitruk défendait l’idée que pour opposer les faits aux falsifications, il fallait « réunir les historiens pour débattre de la Shoah ». Aussitôt, Faurisson et Roques, chefs de file des falsificateurs, se déclaraient prêts au débat. Le trouble était tel que dimanche, à 0 h 30, le grand rabbin Sitruk devait adresser une mise au point à l’AFP : « Je refuse clairement toute idée de débat contradictoire sur la Shoah, dont la réalité n’est plus à démontrer. » Il ajoute craindre « un réveil de la haine antisémite ».
GILLES SMADJA
http://www.humanite.presse.fr/journal/1996...96-04-30-751021