a écrit :Série. Dans la fiction de Canal +, un policier scientifique le jour se fait tueur en série la nuit.
«Dexter», sang pour sang réussi
«Dexter» en douze épisodes, Canal +, 20 h 50.
Par Bruno ICHER
QUOTIDIEN : jeudi 17 mai 2007
Peut-on imaginer en France un programme conçu pour déranger ? Une fiction écrite et réalisée afin, précisément, d'instiller un malaise poisseux auprès d'un public qu'il ne faut pas brusquer ? Une série dont la vertu n'est pas, comme un Julie Lescaut, de rassurer les masses populaires sur l'efficacité des services de police ? Difficile à envisager, non ?
Dexter a été lancé sur la chaîne américaine Showtime à la rentrée 2006. Le personnage principal, Dexter Morgan, qui est aussi le narrateur en voix off, est un rat de laboratoire, un solitaire. Son travail d'anonyme consiste à analyser les tâches de sang sur les scènes de crime pour la police de Miami. On est loin de l'omniscience vaguement totalitaire des Experts, et tant mieux. Dexter est joli garçon, calme, solidement introverti, mais consciencieux dans son travail et serviable dans les faméliques relations qu'il entretient avec d'autres êtres humains. On se doute que tout cela n'est qu'une existence alibi, mais pas à ce point-là. Dexter est, aussi, un tueur en série. Régulièrement, il doit répondre à l'appel du sang, faisant subir à ses victimes un sort épouvantable avec tout un tas de jolis instruments chromés et tranchants, dont certains électriques.
Névrose. Apportant la contradiction aux thèses du nouveau président de la République, Dexter n'est pas né comme ça. On ignore (pour l'instant) les causes obscures de sa névrose, mais on comprend vite qu'il n'a pas le choix. Il doit tuer. Et ce n'est pas tout : l'humanité le répugne, l'amitié est un concept vague, et l'hypothèse d'avoir des relations sexuelles l'enthousiasme autant que de changer un pneu crevé. Mais Dexter a appris à se camoufler dans le monde «normal». Il sourit aux vannes beauf de ses collègues, encourage sa petite soeur à mener sa carrière de flic, et il a même trouvé le foyer idéal en la personne d'une divorcée, traumatisée par un mari violent, qui ne veut plus entendre parler de parties de jambes en l'air. Ainsi va Dexter, la monotonie faite homme entre deux brusques flambées de violence barbare. Son petit manège bien rôdé est perturbé par l'irruption dans le panorama d'un autre tueur en série qui va mobiliser toutes les forces de police du coin. Dont lui-même.
La trame est tirée de l'oeuvre de Jeff Lindsay, auteur de romans plutôt médiocres et complaisants. A l'écran, c'est tout le contraire. Scénarisée par James Manos Jr, un vieux routier de la série US ( Sopranos, The Shield, tiens, tiens), et tournée par Michael Cuesta (réalisateur au cinéma de L.I.E. et Twelve and Holding ), qui filme Miami la décadente avec sensualité, la série a aussi hérité de Michael C. Hall dans le rôle titre. Il était le frère gay de la famille de croque-morts de Six Feet Under. Il fait ici une démonstration impressionnante de subtilité, distillant un trouble sentiment d'attirance et de répulsion à l'égard de ce «héros» qu'il est impossible de qualifier de positif.
Culpabilité. Dans ce registre, The Shield avait jadis ouvert la voie. Dexter va plus loin, qui provoque sans cesse chez le spectateur une sourde culpabilité. Culpabilité à s'amuser de sa maladresse burlesque dans ses relations avec autrui. Culpabilité à éprouver un soulagement quand il échappe à des situations dangereuses. Culpabilité, surtout, à voir Dexter assouvir ses pulsions criminelles. Car, comble de perversité scénaristique, le petit monstre sait choisir ses victimes. Ses proies sont uniquement des individus que personne ne regrettera. Assassins, violeurs, sadiques, pédophiles, trafiquants d'esclaves. Des salauds, des vrais... Sauf que Dexter ne tue pas ses victimes parce qu'elles le méritent. Il les choisit parce que ça l'arrange. A chaque spectateur d'y trouver sa morale. Bon courage.