En effet Koceila, c'est bien là où je voulais en venir, il semble plus pertinent de réfléchir - comme déjà le recommandait Ibn Khaldoun - sur les modes de production.
La pj suivante est assez instructive pour apporter une réponse matérialiste à l'histoire du peuplement du Maghreb en corrélation avec l'évolution des rapports de production. Je l'ai prise
là.
Quelques extraits, même si une lecture complète s'impose:
a écrit :
Beaucoup plus près de nous (+ 40 000 ? + 25 000 dans le Maghreb) les hommes de l'Atérien
nous demeurent pourtant totalement inconnus malgré quelques restes fragmentaires découverts à
Taforalt ou dans la région de Tanger. Nous sommes donc incapables pour ce qui concerne ces
premières nappes de peuplement, d'en préciser l'origine, l'extension comme d'en évaluer le poids
biologique dans la constitution des populations à venir. Seuls les archéologues peuvent nous
éclairer sur les deux premiers points. Les cultures de l'Atérien couvrent une aire géographique
considérable mais dont l'extension varie grandement selon les critères typologiques que l'on adopte.
Les hommes dispersés sur ces espaces, devaient malgré des différences culturelles notées, relever
d'un même stade évolutif et donc d'un même type. Puis dans le temps, en certains points et pour
certains, l'Atérien pourrait par une lente évolution mener jusqu'aux confins de l'épipaléolithique et
donc de l'Ibéro-Maurusien sans donc que les hommes de l'Atérien soient remplacés par des
nouveaux venus (venus d'où? pour exterminer les populations en place?)
a écrit :
Aux Homo erectus, aux néandertaliens et aux hommes de l'Atérien, vont succéder des auteurs bien mieux connus d'une transition qualifiée d'épipaléolithique à travers les industries Ibéromaurusienne et Capsienne, celle-ci succédant à celle là.
Les gisements Iberomaurusiens sont bien connus au Maroc (dont Taforalt), en Algérie, et ils paraissent moins nombreux en Tunisie peut-être submergés par la remontée des eaux car il s'agit d'un peuplement de l'extrême nord du Maghreb, très largement littoral dont les premières traces semblent apparaître vers le 16e millénaire avant le présent (BP)* et qui disparaît vers le 10e millénaire voire le 8e BP à el Haouita.
Pour la première fois dans cette vaste région du Nord-Afrique, une industrie dont l'évolution est bien suivie, bien corrélée aux évolutions que connaît le climat au long de ces millénaires, reconnaît un auteur également identifié par de nombreux restes bien typés (près de 500 sujets dans une trentaine de gisements), l'homme de Mechta el Arbi.
a écrit :
3. Origine orientale ou sud-orientale du Capsien : c'est la plus vraisemblable
On retrouve en effet en Libye mais aussi au Soudan et jusqu'au Kenya, une industrie semblable. Mais dans ces régions, le Capsien ou ses analogues est soit contemporain de celui du Maghreb, soit plus récent. Il semble donc logique de rechercher pour origine comme centre de diffusion ou de migration, un foyer plus ancien. Celui-ci semble pouvoir être situé en Palestine dans le Natoufien, même si le Natoufien de Palestine apparaît d'emblée plus achevé que celui du Maghreb. Il ne nous semble pas impensable que l'essaimage d'une fraction d'une population entraîne des modifications dans l'industrie en particulier lithique de la fraction migrante, du seul fait des capacités des individus migrants ou de la nature différente des matériaux de base disponibles…
(Voir la remarque déjà faite qu'un trait culturel n'est pas un marqueur populationnel).
Illustration du foisonnement de cette période de transition et de renouvellement entre le paléolithique et le néolithique beaucoup de variantes ont été décrites dans les cultures épipaléolithiques du Maghreb. Nous ne nous y attarderons pas et nous nous bornerons à constater qu'elles matérialisent les évolutions en réseau, chères aux biologistes.
Le néolithique va voir s'accentuer les échanges culturels et génétiques aussi. Il semble pour l'Afrique du Nord relever de trois grands courants dont certains centrés sur le Capsien.
4. Les courants africains
Le passage d'une économie de prédation à une économie de production se manifeste très tôt dans le Maghreb, mais évidemment très progressif, il n'a laissé à ses débuts que l'on peut situer vers le 7e millénaire BP*, que des traces très fugaces. La néolithisation semble donc avoir été très précoce dans l'ouest et succéder lentement en direct à l'Ibéromaurusien. En fait excepté la zone centrale de diffusion du Capsien (7500 BP), c'est un néolithique Tellien donc une transition sans doute issue des Ibéromaurusien qui se met en place du 7e au 6e millénaire BP. Au sud-est, Vauffrey a situé un néolithique de tradition Capsienne un peu plus tardif (depuis le 6e millénaire BP au Sahara nord jusqu'au 4e millénaire BP sur l'est des Hauts-Plateaux). Du Sud-Est encore, diffuse un Néolithique "saharien" précoce (7e millénaire BP). Nous relèverons qu'à cette période le Sahara n'est pas le désert que nous connaissons aujourd'hui mais plutôt un Sahel sub-aride, parcouru de fleuves et parsemé de grands lacs. Il ne constitue pas un obstacle total aux échanges culturels et… génétiques.
5. Les courants européens
Deux sont le fait de voisinages évidents : la péninsule ibérique à l'Ouest, la Sicile et l'Italie à l'Est, mais les échanges ont sans doute acquis que tardivement de l'importance. Il n'apparaît pas clairement qu'ils aient joué un rôle déclenchant. Enfin la diffusion d'une part importante des acquis du Néolithique oriental demeure un fait majeur au moins au plan culturel.
La préhistoire se termine et l'histoire va se compliquer à l'extrême pour le nord de l'Afrique, terre riche et convoitée, qui verra se mêler les cultures et les hommes, le commerce et les conquêtes.
Nous achevons donc ici cette très longue mise en place sans laquelle le biologiste ne peut poser des questions pertinentes, élaborer une stratégie appropriée pour y répondre. L'étude biologique en particulier génétique de l'humain ne peut méconnaître son environnement culturel, son histoire et… sa préhistoire.
* la datation BP (Before Present) s'appuie sur la technique dite du carbone 14. Par convention, elle prend pour présent de référence 1950. Ici, il faut donc lire le 14ème millénaire avant l'ère chrétienne.
et à présent, le décor étant planté, ce que les biologistes peuvent dire sur le peuplement berbère du Maghreb. L'auteur de cette étude pose trois questions:
a écrit :
1) Peut-on dessiner les contours d'une originalité génétique des Berbérophones? Sont-ils autre chose qu'une juxtaposition de singularités culturelles, sociales et linguistiques?
2) Si oui, la submersion du Maghreb par les conquérants arabes a-t-elle été surtout un fait culturel ? Dans ce cas on doit retrouver dans une forte proportion d'Arabophones du Maghreb des particularités génétiques des Berbérophones, ce qui illustrerait l'asynchronisme évolutif entre le biologique et les superstructures culturelles.
3) Si oui, peut-on essayer de retracer au plan biologique l'histoire évolutive des Berbères: foyer originel, migrations éventuelles?
conclusions (les longs développements sont à consulter sur le document en pdf):
a écrit :
1 - Ainsi arrivé au terme de la lecture des travaux les plus récents nous pouvons avancer qu'il existe un profil génétique des habitants de l'Afrique du Nord occidentale ;
ce profil semble original a bien des titres par les fréquences retrouvées à partir de méthodes très différentes et dessine les contours d'un fond de population du Nord-Ouest Africain encore en grande partie Berbérophone ; mais nous allons le voir, ces contours s'élargissent à d'autres zones à partir du Nord-Ouest du Maghreb, ce qui paraît bien être un témoignage, un jalon d'une occupation peut-être très ancienne.
2 - Ainsi il semble, dans l'état actuel des populations étudiées qu'il existe bien une discontinuité génétique pour certains systèmes entre l'est et l'ouest de l'Afrique du Nord.
Cette discontinuité, si elle se vérifie, pourrait
venir étayer l'hypothèse d'une implantation très ancienne des populations berbérophones dans l'ouest africain
et souligner aussi leur poids dans la constitution de l'actuel pool génique des populations du Maghreb.
3 - Ainsi selon le ou les marqueurs utilisés, selon l'importance et le degré de définition des échantillons de populations analysés, les conclusions peuvent être diamétralement opposées. Ce qui doit nous inciter à la modestie… et à la prudence. Nous devons avant tout en conclure que l'absence d'un caractère dans un échantillon de population donné ne permet pas de nier sa parenté avec telle autre population chez laquelle il est présent, surtout s'il est rare chez celle-ci. Les chances du tirage au sort, des problèmes particuliers de sélection ou d'équilibre interne du génome qui nous demeurent largement inconnus, l'effet fondateur, etc… peuvent suffire à expliquer l'absence ou la présence… en excès.
4 - Peut-on essayer de retracer au plan biologique l'histoire des Berbères. Retrouver le foyer d'origine, matérialiser les migrations éventuelles?
Nous savons ce que nous dit aujourd'hui l'archéologie : Peut-être faut-il rechercher dans l'est et jusqu'au Moyen Orient, l'origine des premiers néolithiques méditerranéens. Nous savons aussi ce qu'elle ne peut actuellement nous dire : l'origine et la destinée des Ibéro-Maurusiens, le poids démographique de leurs populations face aux Capsiens, leur devenir dans le monde berbérophone. Nous savons que personne n'est en mesure de trancher et Jean Guilaine me le rappelait récemment entre le modèle diffusionniste et les grandes migrations de Néolithiques venus de l'Est, du Moyen-Orient. Nous savons aussi que des ébauches des rudiments d'agriculture apparaissent tôt dans l'Ouest du Maghreb, hors de la zone Capsienne. Nous savons que jusqu'au IVe millénaire avant notre ère, le Sahara n'était pas le désert que nous connaissons aujourd'hui, qu'il était plus ou moins densément habité et que sa façade atlantique encore plus humide constituait un couloir de communication sans doute fréquenté avec l'Afrique de l'Ouest. Hélas, on ne peut pour l'instant fouiller au Sahara.
Dès l'Ibéro-Maurusien, il existait dans le Nord-Ouest de l'Afrique un peuplement d'hommes modernes venus peut-être du Soudan, peut-être de la péninsule arabique ou succédant sur place aux hommes de l'Atérien et assez analogues à nos cro-magnoïdes pratiquant une activité de chasse et de cueillette. Progressivement ils "bafouilleront" un peu dans une tentative de protection de certaines productions sauvages intéressantes pour eux comme J. Guilaine le décrit pour les vesces par exemple dans l'Ouest européen. Venant de l'Est est arrivé vers -7000 un nouveau modèle d'économie basé sur une agriculture encore rudimentaire et s'accompagnant de certains animaux domestiques comme le mouton.
Ceux qui gagnaient vers l'Ouest en apportant ce nouveau mode de subsistance parlaient une langue dont dérivent les parlers Berbères actuels. Ils n'ont sans doute pas submergé les premiers occupants. Ils ont été assimilés avec ce qu'ils amenaient de progrès avantageux. Leur poids culturel a été fort. Mais leur poids génétique dans l'évolution des populations ultérieures est demeuré faible. Le fractionnement des groupes lié sans doute aux évolutions climatiques, aux guerres et aux invasions successives, aux autres révolutions culturelles aboutit à la dispersion et aux particularismes que nous connaissons aujourd'hui.
berberes_maghreb_larrouy.pdf