(Le Monde a écrit :
Au coeur des affrontements, à Villiers-le-Bel
a sent la lacrymo, le plastique brûlé et la rage. Celle d'une centaine de jeunes déterminés et organisés, qui disent vouloir "buter" le moindre "stroumpf" - le moindre policier. Lundi 26 novembre, entre 19 heures 30 et 22 heures 45, cinq rues de la Zac et du Puy, à Villiers-le-Bel, dans le Val d'Oise, là où, la veille, deux jeunes garçons de 16 et 15 ans, Larami et Moushin, sont morts dans le choc de leur petite moto contre une voiture de police, ont rejoué des scènes d'une extrême violence.
Restés invisibles tout l'après-midi, à la demande du maire de Villiers-le-Bel, les policiers se sont postés en masse, en fin de journée, devant la gare du RER D, après qu'un camion poubelle a été incendié. A peine les rideaux de fer tirés, les premiers lampadaires allumés, les jeunes attaquent avec des pavés, des cocktails Molotov, des feux d'artifice et des pétards "mammouth" - les plus gros.
Dès qu'un policier est touché, les garçons fêtent ça, les bras pleins de hargne levés au ciel. Même cri de victoire quand ils reculent. Les jeunes se hissent sur les toits des voitures, se prennent en photo l'un l'autre avec leurs portables, pour le souvenir, avant de cogner, avec colère, sur la carcasse.
"Attraper un flic", un "keuf", un "porc", comme ils disent : pendant trois heures, une poignée de meneurs répète les mêmes mots d'ordre : "Restons groupés", "solidaires les gars !". Les gars, disciplinés, respectent les consignes. Les "petits" – certains n'ont même pas 10 ans – jouent les éclaireurs. Agiles, discrets, furtifs, ils débusquent les policiers et leur jettent des cocktails Molotov à revers. A vélo, les plus grands s'assurent que les chemins empruntés sont libres et repérent les forces de l'ordre mobiles pour éviter de se faire prendre en embuscade.
TALKIE-WALKIE BRANCHÉ SUR UNE FRÉQUENCE DE LA POLICE
Certains portent des jerricanes d'essence pour remplir des bouteilles de verre et enflammer voitures, magasins et poubelles. Ils se ravitaillent dans les reservoirs de trois voitures du "95" dont on voit certains siphonner les réservoirs pour abreuver les bidons. Un gaillard en survêtement noir, talkie-walkie branché sur une fréquence de la police, les guide.
La troupe sait ainsi qu'il ne sert à rien d'attaquer la mairie : elle a fermé ses portes. Le conseil de crise qui réunit les élus se tient ailleurs, dans un lieu tenu secret.
Tous sont armés. Tout est bon à prendre : une multiprise, une épée, mais aussi un fusil à pompe. Mais la plupart des jeunes se battent avec des bâtons en bois ou des barres de fer volées dans les chantiers, de pavés arrachés aux trottoirs ou des morceaux de dalles des HLM. Quelques-uns portent des sacs plastique verts pleins de bouts de carrelage fins et coupants.
Ils se donnent des surnoms de footballeurs ("Anelka"), d'animaux ("chameau") ou de héros de télé ("Frelon", alias Bruce Lee). Ils cachent aussi leurs visages. Echarpes sur le nez, capuches , et même, pour certains, tenues de policiers, avec matraque et bouclier de CRS. L'un d'entre eux, caméra numérique montée sur pied, suit la troupe et filme chaque pavé lancé, dans chaque voiture brûlée. Quand certains s'attardent trop devant l'objectif, les meneurs sermonnent : "Oh les gars, c'est pas du cinéma, c'est la guerre !"
Les jeunes se rechargent en bouteilles dans les locaux de poubelles, ou dans les silos de recyclage du verre. Les panneaux d'affichage électoral ou de signalisation, les poteaux, les arbres sont arrachés pour servir d'arme ou de bouclier.
Des rues entières se retrouvent dans le noir, comme l'avenue du 8 mai 1945, après que des fils ont été dénudés. Des check-point de fortune de pierres et de poubelles bloquent certaines routes. "La guerre, c'est ça mon pote. C'est faire tourner en rond l'ennemi.", lance un meneur qui s'improvise général.
Comme la veille, certains magasins, certaines concessions automobiles passent à travers les flammes : avant de vrûler, on discute. "On touche pas à celui-là, il est à la famille", crie un jeune devant le pressing du 8 mai 1945. Le salon de coiffure, l'auto-école et le supermarché Aldi ont moins de chance : saccagés, pillés et incendiés pour le dernier par un gamin âgé d'a peine 13 ans."Faut brûler nos amendes", lâchent-ils aussi en chœur. C'est chose faite à 22 h 30, en incendiant le centre des impôts.
Une partie des habitants semble du côté des jeunes. Souvent, ils sont encouragés : "Allez les frères !" Les anciens descendent regarder le spectacle, médusés par tant de violence. D'autres sont autour de leur voiture pour la protéger ou la changer de place.
Certaines femmes jettent de l'eau de leur balcon des HLM permettant ainsi aux jeunes de soulager leurs yeux, endoloris par les gaz. Et lorsque les jeunes affrontent frontalement la police, des habitants n'hésitent pas à "caillasser" les forces de l'ordre du haut de leurs étages.
Service france