Informations Ouvrières N° 828 - L'éditorial du 17 janvier 2008 “A la française” ?C’était il y a presque neuf ans. L’Assemblée nationale, à majorité « gauche plurielle » (PS-PCF-Verts), débattait de la transposition de la directive européenne brisant le monopole d’EDF-GDF. Le rapporteur de la loi, le député Jean-Marc Ayrault (qui préside aujourd’hui le groupe socialiste à l’Assemblée), défendait un projet de loi qui prétendait transcrire « a minima » la directive, Ayrault promettant qu’ainsi serait « préservé l’essentiel du statut d’EDF ». On osera même parler quelques mois plus tard d’une « transposition de gauche » de la directive européenne !
Neuf ans plus tard, chacun peut juger du résultat. EDF et GDF ont été coupés l’un de l’autre, le monopole est démantelé, le capital ouvert au privé, le statut (et pour commencer le régime de retraites) des agents engagé sur la voie de la liquidation, les agences ferment à tour de bras… et les tarifs grimpent en flèche !
Bref : il n’y a pas de transposition de « gauche » ou « de droite ». Quand Bruxelles ordonne de privatiser, quiconque accepte ce diktat devient l’agent du démantèlement du service public.
Neuf ans plus tard, le Premier ministre, François Fillon, salue l’accord patronat-syndicats sur la modernisation du « marché du travail » comme « un vrai pas vers la flexisécurité à la française ».
« A la française » : il y a dans cette expression comme un parfum de civilisation, de République, de démocratie, de respect des droits. On l’aura compris : « à la française », la flexisécurité de Fillon est censée nous rassurer comme naguère la « transposition de gauche » de Jospin et Ayrault.
Qu’en est-il sur le fond ? Informations ouvrières a analysé, soigneusement, les termes de l’accord (lire page 4).
Et cela en partant exclusivement des faits.
Ainsi, lecteurs, vous pourrez juger par vous-mêmes.
Relevons ici que les commentaires les plus enthousiastes viennent du côté des patrons et du gouvernement.
Le journal patronal Les Echos salue la « maturité des partenaires sociaux » (1). D’aucuns s’empressent d’y voir un événement d’une « dimension historique ».
De son côté, Mme Parisot, présidente du Medef, déclare : « Ce concept de séparabilité (…) marque un progrès souhaitable vers l’égalité entre l’employeur et l’employé. D’une manière générale, la mise en œuvre de ce projet d’accord exprimerait enfin la reconnaissance publique par les employeurs et les employés de leurs intérêts communs » (2).
L’égalité entre l’employeur et l’employé ? Mais le contrat de travail n’est pas un contrat égal. Il établit et reconnaît le lien de subordination du salarié vis-à-vis de l’employeur. Et ce contrat est établi dans le cadre des relations collectives entre la classe des employeurs et celle des salariés, relations collectives antagonistes et conflictuelles.
C’est là le fondement de la démocratie : la reconnaissance du droit de la classe ouvrière à s’organiser collectivement, dans et par la lutte de classe, face à la classe capitaliste.
Et l’accord sur « la modernisation du travail » — qui bouleverse tout le contrat de travail — viserait à établir une autre relation sociale fondée sur « l’égalité » (sic) entre patrons et ouvriers, et sur leurs « intérêts communs » (re-sic) ?
Si tel était le cas, cela porte un nom : le corporatisme. D’où il faudrait en conclure que cette « flexisécurité »-là n’est rien d’autre que celle définie par le sommet européen de Lisbonne des 13 et 14 décembre 2007 (le même sommet a adopté le fameux traité et les « principes directeurs de la flexisécurité ») : une politique visant à associer les organisations ouvrières à la remise en cause des « législations protectrices de l’emploi ».
Mais la lutte de classe a ses lois, on l’a vu ces dernières semaines et on le verra à nouveau ces prochaines semaines.
Alors, « à la française » ?
Pour notre part, nous nous prononçons pour la lutte de classe « à la française », celle des garanties collectives arrachées par la classe ouvrière, celle de l’indépendance des organisations syndicales et de la Charte d’Amiens, celle de la lutte de classe comme fondement de la démocratie, tout simplement.
Ce qui suppose, on l’aura compris, pour les travailleurs français et leurs organisations (comme pour tous ceux des autres pays d’Europe), de ne pas céder à l’offensive corporatiste et d’avoir le courage de dire non au carcan de l’Europe de Maastricht et Lisbonne.
Daniel Gluckstein(1) Les Echos, 14 janvier 2008.
(2)
www.medef.fr. Rappelons ce qu’avait écrit M. Kessler, président du groupement des assurances, à propos de la Sécurité sociale, de la fonction publique et des retraites : « Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945. »