Salut à vous,
je ne rentre pas dans le débat politique présent. Juste pour vous dire que je suis revenu de Bolivie il y a deux semaines (j'y suis resté un peu plus de deux semaines) et qu'en effet la situation y était un peu à la guerre civile (je crois qu'ils en ont l'habitude). La majorité des gens avec qui j'ai eu l'occasion de discuter sont clairement pour Morales. Comme vous le savez, ce sont majoritairement des indiens et des pauvres, mais les riches contrôlent quelque part l'économie. Là-bas (je ne parle pas de la province de Santa Cruz où je ne suis pas allé), on a un peu le sentiment de se retrouver dans une cocotte-minute géante au bord de l'explosion.
A La Paz il y avait plusieurs manifestations quotidiennes notamment de la part des handicapés, des lycéens et "campesinos" (paysans souvent affiliés au MAS). Pour les handicapés, étant avec un ami qui maitrise le langage des signes, nous avons pu discuter avec un des manifestants qui nous expliquait que le gouvernement actuel (et par là EVO) ne s'occupait absolument pas d'eux et les laissait dans la misère sans possibilité matérielle ou sociale. Ils demandent avant tout un statut, une reconnaissance, plutôt que de vivre de la mendicité.
Dans toutes les villes, sur les murs, des slogans de gauche, des slogans de droite (même des croix gammées), des appels à voter pour Morales pour le référendum (et dans les trois jours suivants déjà des slogans relatant sa victoire), des appels à voter pour tel ou tel préfet,.....
Dans les régions du sud notamment la province de Chuquisaca dont la capitale est Sucre, les "campesinos" mettaient en place des "bloqueos" sur toutes les routes reliant la ville au reste du pays afin d'une part d'obtenir des explications sur la répression dont ils ont été victimes lors des manifestations de mai (3 morts) et d'autre part afin de contrer la politique de droite de leur gouverneur et demander un nouveau référendum sur la continuation de son mandat. Ils pensent que de grosses fraudes ont eu lieu. Quand j'ai quitté Sucre, ils en étaient au 4° jour de blocage total des voies d'accés (grosse galère car rien de motorisé ne passe sur des dizaines de kilomètres) et le lendemain la région de Potosi, minière en grande partie allait se joindre à eux. De leur côté, les "civicos" menaçaient de bloquer la frontière avec l'Argentine au niveau de Yacuiba et de la route de Tarija. A Villazon, dernier point de passage, il n'y avait pas de blocage.
J'imagine que la ville de Santa Cruz ressemble un peu à ce que j'ai pu voir à Sucre. De gros 4x4 (bcp de voitures personnelles, ce qui n'existe pas ailleurs en Bolivie) côtoient une mendicité et une pauvreté extrêmes, ce que l'on ne voit pas ailleurs même à La Paz ou El Alto (en effet à Sucre on travaille, lorsqu'on est pas blanc, dès l'âge de 5 ans comme cireur de chaussures, vendeur de tout et n'importe quoi ou on fait la manche en plus d'aller un peu à l'école). D'un autre côté, gros 4x4 qui font sans arrêt le tour de la place principale (véridique), filles habillées à "l'Européenne", maisons construites en dur et crépies (rare ailleurs, enfin où je suis allé), ville majoritairement propre. est-ce dû au tourisme ou à la richesse de la région je ne sais pas. La grande majorité des gens avec qui j'ai eu le loisir de discuter sont pour Morales (j'avoue ne pas avoir rencontré de "riches") et veulent du changement, mais la droite a l'air de contrôler. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi pétrole et gaz quittent le pays alors qu'il en manque beaucoup à l'intérieur et surtout pourquoi les richesses ne reviennent pas à la Bolivie.
Autre fait marquant, la situation entre étudiants et professeurs dans cette même ville. Ces derniers ont décidé sans consultation, d'augmenter leurs traitements de 12% en moyenne et de se mettre en grève. Réponse des étudiants, mise en grève aussi, affichage des anciens et nouveaux salaires sur la place publique, manifestations,.... le tout apparemment contrôlé par les trotskistes étudiants qui à la fin de la manifestation à laquelle nous avons assistés, sont partis mettre le feu au garage du doyen et s'en prendre à sa maison et à sa famille. Mon sentiment est que dans les villes et provinces contrôlées par la droite, la situation n'est pas simple pour celle-ci même si elle arrive à manipuler une part de la population.
Enfin, sur la comparaison avec l'Afrique, elle ne me semble pas pertinente. En effet, beaucoup de routes ne sont que des pistes, même à l'intérieur des villes. Il y a beaucoup de pauvreté mais les deux continents sont très différents. En Bolivie, plus grand accés aux soins, beaucoup de magasins, un réseau de transport en commun bien fourni au niveau national,... C'est certes le pays le plus pauvre d'Amérique du Sud mais sa situation n'est pas comparable avec l'Afrique. (ce n'est que mon avis de personne de moins de 25 ans) Si j'osais, je comparerais plutôt sa situation à celle de la Roumanie en Europe ou d'un autre pays de l'est.
Au niveau personnel, j'ajoute que c'est le pays le plus politisé que j'ai vu, le plus magnifique à beaucoup de niveaux (tant sur les paysages que sur l'amabilité générale ou ce que j'apellerai la "prise au coeur"). Pour ceux qui en ont l'occasion, c'est vraiment à voir plutôt que de lire des choses dans nos chers quotidiens, magazines ou autres (ou même dans les leurs). C'est pour moi un pays où personne, qu'il soit à droite ou à gauche ne renonce. Je pense que c'est justement parce qu'ils y croient (il y a encore dans leur tête de l'espoir, (pas comme ici?)) que la situation est comme elle est (même si j'ai l'impression que ça s'est pas mal envenimé depuis que je suis parti).
Voilà bonne journée à tous
