Forum social de la Fête de l’Humanité
samedi 13 septembre 2008
Réponses de Bernard Thibault.
7 octobre, journée d’actions mondiale pour un travail décent
Des mobilisations très importantes sont prévues au Pakistan et en Colombie, pays qui détient notamment le triste record d’assassinats de syndicalistes.
Nous avons réfléchi avec les autres organisations syndicales françaises pour savoir comment travailler ensemble pour faire du 7 octobre une grande journée. Tout le monde a accepté de travailler, sauf deux confédérations: il s’agit de FO et de la CFTC. L’argument qui est présenté est de ne pas mélanger les revendications nationales et internationales ! Lors de la création de la nouvelle organisation syndicale mondiale, la Confédération Syndicale Internationale (CSI), nous avons estimé que l’on ne pourrait apporter des solutions si l’ensemble des syndicats ne se mobilisait pas sur leurs propres revendications, dans chaque pays.
C’est aussi une journée où nous allons parler des revendications des salariés qui travaillent en France. Le gouvernement est en train de mettre en place le RSA, ce qui revient à placer des salariés en dessous du seuil de pauvreté. Il s’agit bien de la question du travail décent. Nous nous sentons pleinement solidaires de ces revendications internationales.
La question est maintenant d’organiser concrètement le 7 octobre qui doit passer par des manifestations de rue mais aussi des arrêts de travail. Des responsables syndicaux de la Confédération européenne des Syndicats et le Secrétaire général de la CSI, Guy Ryder, sont invités et viendront au rassemblement Place du Trocadéro à Paris. Je vous invite à tout faire pour que nous ayons un très grand rassemblement.
Journées d’actions
Nous n’avons jamais dit qu’on s’en tiendrait à une journée d’action. Ce qui se passera après le 7 octobre dépendra précisément de ce qui se passera le 7 octobre. Une journée ne suffira pas. En affirmant qu’une journée « ne sert à rien », on justifie toujours par avance une absence, l’immobilisme. Regardons ce qui s’est passé cet été. Les syndicats ont été unanimes à condamner la politique du gouvernement mais tout le monde n’était pas présent dans les manifestations et les actions.
Représentativité et syndicalisation
Je comprends que les salariés aient du mal à se repérer dans le paysage syndical français. Même quand on est au fait de la question syndicale, on peine à s’y retrouver. Cela étant dit, la première cause de la faiblesse syndicale en France, c’est la « trouille ». On sait bien que dans les entreprises, lorsqu’on se syndique on est soumis à des pressions, des sanctions. Il n’est pas normal qu’en France la liberté syndicale ne soit pas respectée.
Je rappelle que la Cgt est pour le retrait du décret qui a fondé le fichier Edvige. Ce fichier organise et met en fiches tout citoyen, dès lors qu’il appartient à un syndicat, à un parti politique, à une association alors que le droit syndical est une liberté constitutionnelle.
Les premières caractéristiques de la faiblesse de la syndicalisation sont la répression et la déficience des syndicats à organiser les salariés dans les petites entreprises
Au congrès de la CGT en décembre 2009, nous aborderons la question pour accroître la présence de notre organisation dans les petites entreprises et nous prendrons des décisions. Une des caractéristiques de cette faiblesse évoquée plus haut est également la dispersion et la division des organisations syndicales. Les employeurs se sont beaucoup évertués à empêcher la CGT de se développer. Des organisations ont été créées de toutes pièces par les employeurs. L’UIMM a financé l’organisation de syndicats maison, voire fascisants, comme la CFT ou la CSL, pour s’opposer frontalement à la CGT.
Sur la représentativité des syndicats, il est hypocrite d’affirmer que chaque organisation syndicale compte pour une. Nous souhaitons depuis longtemps une règle plus démocratique. Pour notre part, nous reconnaissons le pluralisme syndical : non pas que nous le souhaitons, mais c’est un fait. Nous ne pensons pas que le pluralisme syndical donne plus de forces aux salariés. C’est pourquoi le poids, notamment dans les négociations, des organisations syndicales doit être celui de leur résultat aux élections.
Qu’est ce qui va changer en matière de représentativité?
Tout syndicat pourra se présenter aux élections professionnelles (y compris les non confédérés). Lorsque j’entends dire que les nouvelles règles vont supprimer ces syndicats, je dis que ce n’est pas vrai. Une fois que les élections auront eu lieu, il ne suffira pas que trois personnes adhèrent à une Confédération pour signer un accord. Il faudra, pour s’asseoir à la table des négociations, représenter 10 % des votants et que les signataires éventuels atteignent les 50 % pour que l’accord soit valide. C’est tout simplement la démocratie. Si certains estiment que cela les menace, c’est peut être qu’ils pensent faire moins de 10 % aux élections. Qu’ils s’interrogent alors sur leur décalage avec les salariés. On nous dit : « oui, mais la CGT va être favorisée ». Peut-être cela signifie-t-il que la Cgt représente mieux les salariés français ?
Le nombre d’organisations syndicales par pays est un problème en soi. On s’en est rendu compte en créant la CSI. Que faire ? Nous avons en France à propos de la représentativité des annonces de responsables syndicaux pour organiser une OPA sur la restructuration syndicale.
Le syndicat est un regroupement de femmes et d’hommes –qui peuvent avoir des différences sur l’extra syndical. Je ne conçois pas une modification des structures syndicales par le haut. Il faut discuter des objectifs, du mode de fonctionnement et la CGT a un rôle à jouer. J’espère qu’à l’occasion des élections prud’homales sa première place sera confortée. La CGT elle même doit réfléchir à ce qu’elle est, à ce qu’elle dit pour être un espace de rassemblement le plus large possible. Des militants qui viennent de la CFDT, à partir d’une analyse de désaccord avec cette confédération expliquent dans un livre témoignage comment ils sont venus à la CGT avec leur expérience, leur impatience. Ils veulent améliorer, changer le syndicalisme. Si on fait la démonstration dans les entreprises que la désunion, l’éparpillement, ce n’est pas inéluctable, on avancera. Une part de la réponse se trouve aussi dans la CGT. Quelle que soient la catégorie sociale, les préférences politiques, religieuses, philosophiques, la CGT doit savoir intégrer des salariés venus de tous les horizons.
On objecte parfois que les patrons pourraient présenter des syndicats maison. Pour qu’un syndicat puisse se présenter, il faudra deux ans d’ancienneté, justement pour éviter la création de syndicats de ce type. Il n’y a pas de dispositions nouvelles qui seraient un frein à l’élection de candidats présentés par les syndicats de salariés.
Ne demandez pas à une loi de se substituer au travail militant.
L’implantation syndicale repose avant tout aujourd’hui sur un élargissement et un renforcement de nos bases. Nous devons nous interroger sur notre capacité à créer des syndicats, avoir des adhérents dans les petites entreprises. On peut regrouper des adhérents de plusieurs entreprises. Il faut sortir du cadre unique de l’entreprise.
Il y a beaucoup de revendications communes aux petites et aux grandes entreprises : temps de travail, conditions de travail. Les salariés qui voudront donner plus de poids à la Cgt, donneront leur voix à la Cgt.
Syndicalisme et efficacité
Comment apprécie-t-on l’efficacité de l’action syndicale ? Beaucoup de salariés viennent taper à la porte des locaux CGT en cas de licenciements ou de problèmes spécifiques. On a même du mal à répondre aux besoins des salariés, parce qu’il y a trop d’entreprises sans syndicats. Ces salariés savent qu’interpeller la CGT peut aider. On sait peu, parce que cela ne fait pas la « une » des médias, ce qu’une section syndicale est en capacité d’organiser pour des augmentations de salaires sans pour autant passer par la grève.
La majorité des salariés qui sont dans les entreprises sans syndicats voient bien que les augmentations de salaires sont à la discrétion du patron et que le rapport de force n’est alors pas en leur faveur.
Quel rapport de forces faut-il créer pour contrer le gouvernement ? Tout en ne parvenant pas à faire renoncer ce dernier sur toutes les réformes, on arrive à le faire bouger. Sur le fichier Edvige, le Président de la République a dû prendre la mesure de la protestation. On a déjà eu – sur le CPE - la loi votée mais non appliquée, on pourrait aller vers un décret signé mais pas non plus appliqué.
Autre exemple, les sans papiers. Nous avons des zones de non droit en France. La CGT est en train de faire la démonstration que l’on peut attaquer et obtenir gain de cause ; on en est à près de 1 000 régularisations. Il nous faut continuer à développer un vaste mouvement de soutien. S’ils ne bénéficient pas de ce soutien, les sans-papiers seront placés en situation d’extrême faiblesse. Pour que l’action réussisse, il faut un mouvement de soutien qui dépasse leur propre entreprise.
On ne nie pas, on ne doit pas nier, qu’on ne gagne pas à tous les coups. Il nous faut réfléchir avec les salariés, se demander, avec eux, pourquoi ? Vous ne pouvez pas demander à la CGT de se mettre dans le bain sans vous y mettre vous-même. Nous avons besoin de l’engagement de tous.
La force des syndicats n’est pas suffisante aujourd’hui. Nous devons avoir ce débat pour réfléchir sur la place et les structures de la Cgt. Nous constatons, comme la majorité des salariés, un bilan positif de l’intervention de la CGT, même si nous sommes lucides.
La Poste
On peut gagner ! Je pense que cette bataille n’est pas perdue, elle commence. Cet été les militants de la Fapt-CGT ont fait signer une pétition Elle a recueilli des dizaines de milliers de signatures. La Poste est un service public, comme l’hôpital ou l’école. C’est donc un grand enjeu national et il faut élargir ce débat au delà des seuls salariés concernés. Nous sommes là sur des enjeux de société. Nous avons, avec Colette Duynslaeger, Secrétaire générale de la FAPT, rencontré Christine Lagarde sur le changement de statut de La Poste. Notre première question a été pourquoi changer le statut ? La réponse donnée est d’ordre financier. Nous avons fait remarquer que s’il s’agissait d’argent, il fallait poser la question du financement, de la conception du service public, pas celle du statut. Est-ce que les citoyens français attendent de La Poste qu’elle soit, avec la mise en concurrence dans tous les Etats européens, la première en Roumanie ou ailleurs ? Pourquoi cela devrait-il se traduire par des restructurations en France ? Nous sommes de ceux qui veulent développer des mobilisations et des initiatives. Le gouvernement est face à un rassemblement qui dépasse les clivages politiques. Dans les circonscriptions électorales, les élus souhaitent conserver La Poste. Il y a donc des pressions locales qui s’exercent et des convergences qui s’expriment.
Il va nous falloir contrer un certain nombre d’arguments. La manière la plus rapide de répondre, c’est de rediffuser les propos d’un certain Nicolas Sarkozy, Ministre de l’Economie, qui assurait, parlant du changement de statut d’Edf GDF, qu’il n’y aurait pas de privatisation. Nous allons diffuser largement ses paroles. Pour notre part, nous n’avons pas reçu d’arguments pour un changement de statut de La Poste.
C’est l’évolution du rapport de force qui déterminera l’avenir. La décision finale n’est pas arrêtée sur cette question. Constatons que le gouvernement n’a pas officiellement repris le Plan Bailly à son compte et ne faisons donc pas comme si l’on se battait juste pour la posture.
Bernard THIBAULT a été interrogé par Paule MASSON (L’Humanité) et Rémi BARROUX (Le Monde).
Le débat a été animé par Jean-François JOUSSELIN, Directeur de la Rédaction de la NVO