a écrit :A Mayotte, la fin de l'illusion départementale
Maintenant que l'île a obtenu le statut de département, les Mahorais n'hésitent plus à revendiquer l'égalité avec la métropole. Depuis près d'un mois, ils manifestent contre la vie chère.
Après 25 jours de conflit, la tension est vive à Mayotte et a passé un seuil critique avec la mort d'un homme de 39 ans, mercredi 19 octobre, au beau milieu d'un cortège. "Si aucune solution n'est trouvée avant lundi, tout va dégénérer", redoute un cadre du conseil général.
Jusqu'à quel point? Déjà, la situation est critique: les magasins, qui ne peuvent pas ouvrir leurs portes depuis bientôt un mois, ont été pillés, saccagés et incendiés. La voiture du préfet a été caillassée alors que le représentant de l'Etat sortait des studios de Mayotte Première, où il venait de faire une intervention télévisée. Et quotidiennement, des heurts opposent les forces de l'ordre aux manifestants. Un jeune chef d'entreprise nous explique partir "pour quelques jours à Madagascar. Mon frigo est vide, et de toute façon, on ne peut pas travailler". Selon une source bien informée, le mouvement aurait déjà entraîné au moins quatre cents licenciements. "Mayotte va se réveiller avec une énorme gueule de bois."
Dans les manifestations, on ne parle que de la vie chère, pas du département
La situation est donc explosive sur ce territoire devenu département en avril, au terme de cinquante ans de combat pour obtenir cette évolution statutaire. Faut-il y voir un lien direct, notamment lorsque les symboles de l'Etat sont à ce point visés? Au ministère de l'Outre-mer, on estime qu'il s'agit de deux choses différentes: "Cette départementalisation, le gouvernement l'avait promise et il a tenu ses engagements. Mais là, on parle d'un autre problème, celui de la vie chère". Une version relayée sur place: " Dans les manifestations, on ne parle que de la vie chère, pas du département", assure aussi Ansoir Abdou, porte-parole du collectif des citoyens perdus.
Pourtant, si personne ne parle de département, c'est bien la raison profonde qui explique un mouvement aussi massif. Débarrassée de cette question, qui monopolisait tous les débats et les programmes politiques, la population se tourne vers de nouvelles préoccupations. "L'explosion sociale était latente depuis plusieurs années. Mais l'attente du département en retardait le déclenchement, explique le nouveau sénateur (DVG) de l'île, Mohamed Thani. Dans la tête des gens, ce statut était le seul à même d'ancrer définitivement Mayotte dans la République."
Il existe désormais de véritables banlieues, des bidonvilles avec des jeunes sans perspectives d'avenir
En 2009, alors que le mouvement antillais s'était propagé à l'ensemble de l'outre-mer, Mayotte n'avait pas bougé une oreille. A cette époque, tous les esprits étaient tendus vers la consultation populaire sur la départementalisation de l'île organisée en mars. Le "oui" l'avait remporté à plus de 95%. "Longtemps, les Mahorais n'ont pas voulu avancer ce type de revendications pour ne pas contrecarrer l'évolution institutionnelle", analyse un cadre du conseil général. "Après avoir tourné la page départementale, l'étendue de la misère sociale est en train de se révéler. D'où l'ampleur de la manifestation, mais aussi des violences: autour de Mamoudzou, il existe désormais de véritables banlieues, des bidonvilles avec des jeunes sans perspectives d'avenir qui veulent en découdre".
Pour Ansoir Abdou, "Maintenant que nous sommes le 101e département, nous nous battons pour l'égalité avec la France métropolitaine". Vendredi, les grandes surfaces étaient toujours fermées pendant que les négociations se poursuivaient. Au ministère, on prône le dialogue et on se montre plutôt optimistes pour les jours qui viennent. Sur place, en revanche, deux solutions sont avancées: un essoufflement du conflit ou, au contraire, une explosion de violence dès lundi.