par magdalene » 06 Oct 2003, 20:41
CITATION Fort de ses premiers succès, le mouvement Ni putes ni soumises interpelle le chef de l'Etat
LE MONDE | 04.10.03 • MIS A JOUR LE 04.10.03 | 13h12
Les mines sont encore graves et le ton ému au souvenir des premières agressions. En ouvrant la première université du mouvement Ni putes ni soumises, qui se tenait à Dourdan les 3, 4 et 5 octobre, Fadela Amara, sa présidente, a tenu à placer l'événement sous l'égide du souvenir de Sohane. La mort de la jeune femme, brûlée vive le 4 octobre 2002 à Vitry-sur-Seine, fut en effet le déclencheur d'une prise de conscience de bon nombre de filles des quartiers. "C'est le symbole d'une femme qui a refusé la soumission et les règles de la cité et qui l'a payé de sa vie. Aujourd'hui, nous avons réussi à dénoncer cette violence et l'omerta qui la recouvre, mais tout reste à faire", a assuré Mme Amara devant plus de 300 participants, en rappelant les différentes étapes de la création de son mouvement. Etats généraux des femmes des quartiers en janvier 2002, manifeste contre le machisme et les violences masculines en mars de la même année, marche des femmes contre les ghettos et pour l'égalité en février 2003, manifestation nationale le 8 mars à Paris réunissant 30 000 personnes... Le succès est arrivé vite. La construction et l'enracinement sont, eux, plus difficiles.
Six mois après la marche, le mouvement revendique 23 comités locaux et 5 associations affiliées. "On ne change pas les mentalités en six mois", remarque Franck Chaumont, un des animateurs de l'association. Pour de nombreux jeunes, surtout les filles, il est encore difficile de s'afficher sous la bannière de Ni putes ni soumises. Dans certaines cités, le climat entre les garçons et les filles demeure lourd. "A Vitry, l'ambiance est terrible et les mecs sont des fous. C'est normal que les filles aient peur", explique M. Chaumont en rappelant que, lors de la reconstitution des faits, le meurtrier de Sohane s'est fait applaudir. Alors, pour éviter de se faire agresser, certains collectifs de filles ont préféré choisir une autre dénomination ; d'autres groupes se sont affiliés directement au siège national et militent en dehors de leur cité.
Tous témoignent de la méfiance mais aussi de l'écoute qu'ils rencontrent. Comme Lassad Khazen, jeune Bordelais qui raconte s'être fait prendre à partie dans un bus par un jeune homme qui lui disait ne pas comprendre son militantisme : "Il m'a dit que c'était la loi de la cité et qu'on n'y pouvait rien changer. Mais les filles, elles, nous écoutent", relate-t-il. Ou Reine-Claude Lasry, mère célibataire de 26 ans habitant la Grande Borne à Grigny (Essonne), qui a vu sa boîte aux lettres saccagée et sa voiture abîmée depuis qu'elle s'est engagée. "Qu'on ait un comité Ni putes ni soumises dans la cité ou pas, les mecs vous mettent la pression. Alors je préfère ne pas baisser la tête", souligne-t-elle.
Qu'il dérange ou qu'il libère la parole, le mouvement connaît un vrai succès. Tous les jours, la permanence parisienne reçoit plus de 30 coups de fil, dont les deux tiers "sont des appels au secours", assure Mme Amara. Le site Internet voit les connexions se succéder pour des demandes de renseignements ou pour participer au forum de discussion. Le gouvernement semble suivre de près les premiers pas de l'association. Pas moins de deux ministres se sont déplacés lors de l'université - Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville, et Nicole Ameline, secrétaire d'Etat déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle -, et le premier ministre a tenu à téléphoner en direct, vendredi après-midi, pour apporter un message de "soutien attentif et admiratif" à sa présidente. Le député (PS) Laurent Fabius a également assisté aux travaux.
Les cinq propositions du mouvement lancées au lendemain de la manifestation du 8 mars ont commencé à trouver un début de réalisation. 50 hébergements d'urgence ont été débloqués au début de l'été pour des jeunes filles en rupture familiale et autant sont désormais disponibles : "Confidentiels, immédiats et protégés, nous mettons en permanence à disposition de l'association 50 appartements d'avance", explique M. Borloo. Un "guide du respect", rédigé par le mouvement et financé par Matignon, doit être bientôt distribué dans toutes les classes de 4e, 3e et 2de. Un premier "point d'écoute" pour les femmes des cités doit être installé à Sainte-Geneviève-des-Bois (Essonne). "Nous en avions proposé dix, mais nous manquons de forces et de moyens", s'excuse Mme Amara. Les cellules d'accueil dans les commissariats pour les jeunes femmes agressées, promises par Nicolas Sarkozy, sont en place dans 24 circonscriptions. "L'idée est de les généraliser à tous les commissariats et postes de gendarmerie", assure-t-on au ministère de l'intérieur. Enfin, des fonds ont été débloqués pour financer l'université des femmes de quartier.
Pour les militants, ces gestes ne suffisent pas. La rencontre devait être l'occasion de réclamer un effort plus important, en particulier des ministères de l'éducation nationale et de la ville. D'abord en demandant une refonte des cours d'éducation sexuelle au collège : "Ils doivent devenir des vrais cours où on parle du désir, du plaisir, du respect de l'autre et pas seulement de prévention", explique la présidente. A M. Borloo, l'association veut demander de "favoriser toutes les initiatives prises par les femmes dans les quartiers".
Pour marquer les esprits, Fadela Amara a décidé d'interpeller directement le chef de l'Etat, en lui demandant de faire de la condition des femmes, un "grand chantier national", au même titre que les handicapés, le cancer et les accidents de la route. "Dans notre pays, une chose est devenue insupportable : c'est la régression de la condition des femmes. Nous ne devons plus l'accepter", a clamé Mme Amara, vendredi. Cet appel devait être lancé officiellement dimanche à l'adresse de Jacques Chirac.
Sylvia Zappi
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