a écrit :Brésil : tirer les leçons des quatre exclusions du Parti des Travailleurs et des douze mois de gouvernement Lula
Le 14 décembre 2003, la Direction nationale du Parti des Travailleurs a approuvé les mesures disciplinaires visant les quatre élus qui avaient publiquement dénoncé le projet de contre-réforme libérale défendue par le gouvernement Lula sur les retraites. Trois jours seulement après l’adoption définitive de cette loi anti-ouvrière par le sénat, les député(e)s João Batista Araujo dit « Babá », João Fontes et Luciana Genro ainsi que la sénatrice Heloísa Helena ont été exclus du PT par 55 voix contre 27.
Le 15 décembre, au lendemain de cette purge des « radicaux » du parti, la direction du Fonds monétaire international ratifiait le prolongement de quinze mois de l’emprunt de 30,4 milliards de dollars négocié avec le Brésil en septembre 2002, et que Lula s’était, par écrit, engagé à honorer, avant même sa victoire à l’élection présidentielle. Pure coïncidence ? Sûrement. Le geste du FMI n’en fait pas moins sens. Il témoigne des relations de confiance nouées par le PT avec les institutions financières internationales sur le dos du prolétariat des villes et des campagnes.
Les représentants du FMI et de la Banque mondiale ne peuvent, en effet, que saluer le remplacement de Fernando Henrique Cardoso par Luiz Inacio « Lula » da Silva à la tête du Brésil le 1er janvier 2003 : l’ancien métallo et son équipe ont réussi à imposer, en douze mois, trois réformes auxquelles le Fonds tenait particulièrement : celle des retraites, de la sécurité sociale et de la fiscalité. De surcroît, la direction « pétiste » a imposé l’austérité. Le gouvernement Lula devait dégager un excédent budgétaire permettant de régler les intérêts de la dette publique s’il voulait toucher les 80 % restant du prêt accordé par le FMI. Il fallait que le Brésil comptabilise un solde primaire de 3,75 % du PIB en 2003. Au cours des neuf premiers mois de l’année, son excédent budgétaire dépasse les 5 %… Inversement, la réforme agraire et l’opération « Faim zéro » qui figuraient parmi les priorités « sociales » du nouveau pouvoir accouchent d’une souris faute de crédit.
Les quatre exclusions sont en cohérence avec le ralliement du gouvernement Lula et de la direction du PT aux diktats du FMI et de la Banque mondiale. Nul ne peut s’en étonner. Et aucun courant révolutionnaire ne peut s’affranchir d’un débat public sur la situation au Brésil un an après la victoire « pétiste ».
Le président du PT, José Genoino, a invoqué le 14 décembre « Un intolérable manque de respect à la discipline du parti » pour justifier les sanctions. Se soumettre ou se démettre : le message est explicite. D’autres exclusions pourraient donc suivre… Les quatre pourraient ne pas être les derniers. Ce faisant, José Genoino révèle implicitement l’élément principal que l’on oublie trop facilement : sur les quatre-vingt-dix parlementaires « radicaux » que compte le PT, seuls quatre sont inquiétés. Et pour cause : l’écrasante majorité d’entre eux, à la différence de Babá, João, Luciana et Heloísa, ont justement respecté « la discipline du parti » et se sont résolus à voter, dans les deux chambres, avec les partis de droite, les projets gouvernementaux. C’est notamment le cas de parlementaires de la tendance Démocratie socialiste, courant lié à la Quatrième internationale et à la LCR, dont un des dirigeants, Miguel Rosseto, participe au gouvernement.
La position de DS était déjà intenable il y a un an, alors que le candidat du PT à la Présidentielle misait sur un compromis avec les représentants des couches les plus réactionnaires de la bourgeoisie brésilienne plutôt que de s’en remettre à la mobilisation des masses. Aujourd’hui, les camarades doivent se rendre à l’évidence : on ne peut être solidaire du gouvernement Lula et lutter aux côtés de ceux qui en combattent la politique. Le débat sur « les deux âmes du gouvernement Lula » est tranché, et ce, plutôt deux fois qu’une. Si une contradiction existe bel et bien au Brésil, elle ne traverse pas un gouvernement dont les intentions ne faisaient aucun doute avant même sa constitution. La contradiction se situe entre les aspirations de ceux qui ont porté Lula au pouvoir et la politique anti-sociale d’ajustement structurel commandée par le FMI et la Banque mondiale que le PT et de ses alliés défendent. C’est aux côtés des masses qu’il faut se ranger, sans redouter que la nécessaire rupture politique avec Lula s’accompagne d’une rupture organisationnelle avec le PT.
Déjà, des militants du Parti des Travailleurs, pour une part issue de Démocratie socialiste, ont annoncé qu’ils « n’acceptent pas de rester une minute de plus dans le parti ». Des dirigeants historiques appellent également à la création d’un nouveau parti. Il faut se tourner vers eux, miser sur l’effet d’entraînement que cela pourrait avoir, sans craindre les risques de la marginalisation qui pourrait en découler dans un premier temps. Il n’y a pas d’alternative. S’engager à la manière de la direction de DS dans une bataille démocratique pour obtenir la réintégration de Heloísa Helena est vain. C’est de plus faire peu de cas des député(e)s João Batista Araujo, João Fontes et Luciana Genro également exclus. « L’expulsion de la camarade Heloísa Helena, membre de la Direction nationale du PT et de sa Commission exécutive, est la plus absurde », estime DS dans une déclaration le 15 décembre. À nos yeux, les quatre exclusions sont condamnables, sans distinction ni hiérarchie. Ce qui est absurde, c’est d’instiller l’idée que certaines seraient plus légitimes que d’autres, c’est de laisser croire que la décision de la Direction nationale du PT n’est pas cohérente avec la politique conduite ces douze derniers mois par le gouvernement Lula.
« L’expulsion de parlementaires qui défendent les positions historiques du Parti des Travailleurs, y compris les positions adoptées lors de la dernière Rencontre nationale (congrès) réalisée en décembre 2001, qui refusent les changements d’orientation politique qui n’ont jamais été amplement débattues au sein du parti, n’a pas de légitimité démocratique », surenchérit DS. Le temps n’est plus à faire la démonstration des renoncements de la direction du PT, moins encore après un vote « légitime » au Parlement engageant les élus de DS comme les autres. Chercher à convaincre Lula et le PT de changer leur politique revient à nier ce qui l’a motivée, à s’illusionner sur la possibilité d’une autre voie que celle de la rupture avec la bourgeoisie. L’évolution du Parti des Travailleurs s’assimile à la trajectoire de toutes les organisations réformistes ; le PT a connu une transformation accélérée faute de marges de manœuvres économiques suffisantes pour entretenir l’illusion sur laquelle ont longtemps prospéré les sociaux-démocrates et leurs alliés staliniens un peu partout sur la planète au XXe siècle.
L’heure est à la création d’un cadre militant pouvant armer la classe ouvrière face à la politique de Lula, un outil qui assure l’indépendance de classe du mouvement ouvrier brésilien. Unifier l’action des masses autour d’un plan d’urgence : c’est l’unique perspective pour toutes celles et ceux qui n’entendent pas que Lula finisse le travail de Cardoso. La leçon vaut pour ici aussi. Et plus encore au moment où l’extrême gauche rencontre un écho grandissant.
Les militants du mouvement ouvrier doivent veiller à préserver leur indépendance de classe, leur liberté d’action. L’intégration progressive du PT à l’appareil d’État brésilien nous le rappelle, comme sa volonté de soumettre les consciences des militants ouvriers qui, au péril de leur vie, avaient participé avec Lula sous la dictature militaire à la construction d’un parti indépendant qui l’a accompagné.
Serge Godard