les forces productives cessent elles de croitre?

Marxisme et mouvement ouvrier.

Message par Jacquemart » 03 Mars 2004, 00:03

Revenons à la question de départ : les forces productives se sont-elles accru depuis 1938 ? Il me semble que sauf à violer tout à la fois la réalité, le bon sens commun et toutes les statistiques, on ne peut répondre que par l'affirmative.
Evidemment, cette croissance a été plus forte dans les pays impérialistes que dans les pays colonisés. Evidemment, les statistiques peuvent contenir une marge d'erreur. Mais aux Etats-Unis, les chiffres indiquent une multiplication du PIB par un peu plus de 8,5, en France par près de 7 depuis 1938. Pour une illusion d'optique, cela fait tout de même beaucoup.
Au passage, le constat que faisait alors Trotsky s'explique très bien par le contexte de l'époque : guerre mondiale, croissance douteuse des années 1920, crise catastrophique des années 1930, et nouvelle guerre mondiale à venir.
Trotsky pensait que le plus probable était que le capitalisme était devenu incapable de connaitre désormais autre chose que la stagnation, voire la décadence.
La suite a infirmé ce constat, au moins pour un temps. Mais cela n'invalide pas davantage les raisonnements de Trotsky que les "erreurs" de Marx ou de Lénine sur la proximité de la révolution prolétarienne mondiale n'invalident le socialisme scientifique.
Ensuite se pose la question de savoir si cette croissance a été "artificielle". Là, il faut tout de même distinguer deux périodes : celle qui va en gros jusqu'au début des années 1970, et après. C'est vrai qu'à partir de 1970, l'économie capitaliste mondiale a vécu de plus en plus sous perfusion d'un endettement croissant. Mais cet endettement n'explique pas en totalité la croissance constatée. Quant à l'armement, c'est à la fois une erreur théorique de penser qu'il est facteur de croissance, et une erreur factuelle de le considérer comme un élément de plus en plus important, puisque son importance relative dans les économies impérialistes a décru.
Pour finir, les cycles : sous une forme très générale, bien des marxistes ont cherché à distinguer et à comprendre les grandes périodes du capitalisme. Certains ont parlé de cycles, d'autres d'ondes longues, d'autres encore de phases, encore un autre de stade (suprême)... etc.
Naturellement, on doit discuter des critères employés pour identifier ces périodes, et de l'analyse qu'on en fait. Kondratieff n'est certainement pas celui qui a écrit les choses les plus pertinentes. Mais en soi, vouloir étudier ces questions n'est pas plus réformiste que ne l'est la question de savoir s'il y a eu des grandes phases de développement et de recul du mouvement ouvrier, et pourquoi.
Pour finir, parce que je commence à faire roupiller tout le monde, je réitère ma tendresse pour les travaux de Duménil et Lévy, qui se sont attachés à périodiser le capitalisme par les grands mouvements du taux de profit et de ses composantes. Si on les suit (Duménil et Lévy, pas les composantes), en gros, la croissance d'après-guerre s'explique par une période exceptionnelle de hausse tendancielle du taux de profit, amorcée dès le début du siècle aux Etats-Unis, qui a en quelque sorte redonné un "ballon d'oxygène" au capitalisme, ballon qui s'est épuisé à la fin des années soixante.
C'est fini, vous pouvez reprendre la sieste...
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Message par logan » 03 Mars 2004, 10:33

a écrit :Si on les suit (Duménil et Lévy, pas les composantes), en gros, la croissance d'après-guerre s'explique par une période exceptionnelle de hausse tendancielle du taux de profit, amorcée dès le début du siècle aux Etats-Unis, qui a en quelque sorte redonné un "ballon d'oxygène" au capitalisme, ballon qui s'est épuisé à la fin des années soixante.


J'ai lu avec attention leurs textes
J'ai du mal quand ils parlent de la crise de 29 en tant que "crise de sortie de crise"
Pour eux nous sommes sortis de la crise des années 70, elle-même due à la baisse tendancielle du taux de profit.
Encore selon eux la révolution de l'information et de la télécommunication est le facteur qui a permis un redéveloppement de la production sans apport de capital fixe, et donc de rétablissement du taux de profit au milieu des années 80.
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Message par Jacquemart » 03 Mars 2004, 10:56

(logan @ mercredi 3 mars 2004 à 10:33 a écrit :J'ai du mal quand ils parlent de la crise de 29 en tant que "crise de sortie de crise"
Pour eux nous sommes sortis de la crise des années 70, elle-même due à la baisse tendancielle du taux de profit.
Encore selon eux la révolution de l'information et de la télécommunication est le facteur qui a permis un redéveloppement de la production sans apport de capital fixe, et donc de rétablissement du taux de profit au milieu des années 80.


Je ne voudrais pas me retrouver à faire l'avocat de Duménil et Lévy, car dans ce qu'ils écrivent, tout n'est pas de la même qualité.
Mais pour parler des points que tu soulèves :
Ils ont peut-être défini la crise de 29 comme une "crise de sortie de crise", mais c'est une formule destinée à frapper l'imagination. Ce qui compte, c'est leur raisonnement sur la crise de 1929, disant qu'elle intervient dans une période de hausse du taux de profit, ce qui expliquerait son caractère très différent des crises des années 1870 et 1970, produites par des baisses tendancielles du taux de profit.
D'autre part, quand ils disent qu'on est sorti de la crise des années 1970, ce n'est pas pour affirmer que la production est repartie de l'avant, mais simplement que l'économie connaît une nouvelle phase, avec des caractéristiques différentes des années 1950-1970. En particulier, une hausse du taux de profit (sans reprise particulière de la production).
Quant à expliquer cette remontée du taux de profit, effectivement, aux Etats-Unis, ils font intervenir la baisse du coût du capital, due aux progrès de productivité dans l'informatique. Mais ils ne parlent pas de "redéveloppement de la production" au sens d'une nouvelle phase d'expansion du capitalisme (même s'ils n'écartent pas, c'est vrai, cette possibilité pour l'avenir).
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Message par Jacquemart » 03 Mars 2004, 12:47

Ca y est, on discute gentiment, et il y en a qui s'énervent...

a écrit :Alors, sur le site des gens pour qui tu as de la tendresse, dis-tu, on trouve une courbe des dépenses militares en dollars contant (qui permet bien plus de comparer, si les chiffres de progression CONSTANTE de la valeur absolue du budget militaire , on ne veut pas les lire).

Je suis désolé, mais en l'occurrence raisonner sur des valeurs absolues est une faute élémentaire. En valeur absolue, il y avait plus de paysans en France dans les années 1950 qu'au Moyen-âge. Et alors, ça prouve quoi ? Que jamais l'agriculture n'avait été aussi importante pour la société qu'en 1950 ?

a écrit :Dernier point "factuel" : je me demande quel crédit on peut accorder - mais Logan l'a relevé - a des économistes qui considèrent que les crises économiques de 1929 et 1938 aux USA (avec entre temps les débuts historiques de l'Etat fédéral sur la scène économique) s'inscrivaient dans une dynamique de hausse du taux de profit.

Il y a des économistes - et pas que Duménil et Lévy - qui s'embêtent à compiler des stats, à faire des calculs, et à essayer de voir les mouvements réels du taux de profit réel, puis à les expliquer. Peine perdue. Wolf a décidé que ça ne pouvait pas être ainsi, sans même avoir besoin de regarder les chiffres (quitte à en contester la crédibilité, c'est une autre affaire). Comment discuter dans ces conditions ?

a écrit :Comment affirmer de but en blanc que c'est une "erreur théorique" (...) que de dire que les dépenses militaires contribuent à la croissance. Là il faudrait s'expliquer un peu sérieusement au lieu d'affirmer des choses pareilles.

Je me suis effectivement mal exprimé, et tel quel, j'ai dit une bêtise.
Je pense que l'erreur, c'est de prêter aux dépenses militaires un rôle spécifique, distinct des dépenses publiques en général, et de penser que ces dépenses militaires sont un besoin économique pour la classe capitaliste (alors qu'elles sont pour elle, fondamentalement, une charge). On peut ouvrir un fil exprès pour en discuter, si tu veux.
Mais l'idée de la nécessité économique des dépenses militaires n'a été défendue que par Rosa Luxemburg, puis plus tard par Kidron, avec des arguments très discutables à chaque fois. Elle n'a à ma connaissance jamais été avancée par Marx ou Lénine, et a été explicitement combattue par Boukharine (entre autres).
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Message par logan » 03 Mars 2004, 12:57

a écrit :Mais l'idée de la nécessité économique des dépenses militaires n'a été défendue que par Rosa Luxemburg, puis plus tard par Kidron, avec des arguments très discutables à chaque fois. Elle n'a à ma connaissance jamais été avancée par Marx ou Lénine, et a été explicitement combattue par Boukharine (entre autres


Suite à la crise de 29 les Etats des pays développés ont tous eu une politique de course à l'armement.
Pourquoi?

Le marché solvable s'est écroulé avec la baisse des salaires, les licenciements. Donc l'état est forcé de relancer la production de produits qui n'ont pas besoin de marché. L'armement n'a pas besoin de débouchés pour etre développés (enfin à long terme si : la production d'armement a besoin du débouché de la guerre pour continuer à se développer)
Quand les usines se remirent à produire dans les années 30 ce fut pour produire des tanks et des canons
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Message par Jacquemart » 03 Mars 2004, 13:12

a écrit :Suite à la crise de 29 les gouvernements des pays développés ont tous eu une politique de course à l'armement. Pourquoi?

Euh... je ne sais pas, pour préparer une guerre, par exemple ?

a écrit :Le marché solvable s'est écroulé avec la baisse des salaires, les licenciements. Donc l'état est forcé de relancer la production de produits qui n'ont pas besoin de marché, c'est à dire l'armement.

L'Etat n'était "forcé" à rien, il a fait certains choix, variables selon les pays, avec des résultats d'ailleurs mitigés. Il faudrait que je vérifie, car je n'ai pas les chiffres sous la main. Mais il me semble que dans les années trente, la seule vraie "relance" de l'économie par la course aux armements se soit faite en Allemagne. En France, en Angleterre et plus encore aux Etats-Unis, il n'y eut rien de tel.
Et du strict point de vue des effets sur l'économie, les dépenses militaires auraient très bien pu être des dépenses civiles (type grands travaux).
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