Revenons à la question de départ : les forces productives se sont-elles accru depuis 1938 ? Il me semble que sauf à violer tout à la fois la réalité, le bon sens commun et toutes les statistiques, on ne peut répondre que par l'affirmative.
Evidemment, cette croissance a été plus forte dans les pays impérialistes que dans les pays colonisés. Evidemment, les statistiques peuvent contenir une marge d'erreur. Mais aux Etats-Unis, les chiffres indiquent une multiplication du PIB par un peu plus de 8,5, en France par près de 7 depuis 1938. Pour une illusion d'optique, cela fait tout de même beaucoup.
Au passage, le constat que faisait alors Trotsky s'explique très bien par le contexte de l'époque : guerre mondiale, croissance douteuse des années 1920, crise catastrophique des années 1930, et nouvelle guerre mondiale à venir.
Trotsky pensait que le plus probable était que le capitalisme était devenu incapable de connaitre désormais autre chose que la stagnation, voire la décadence.
La suite a infirmé ce constat, au moins pour un temps. Mais cela n'invalide pas davantage les raisonnements de Trotsky que les "erreurs" de Marx ou de Lénine sur la proximité de la révolution prolétarienne mondiale n'invalident le socialisme scientifique.
Ensuite se pose la question de savoir si cette croissance a été "artificielle". Là, il faut tout de même distinguer deux périodes : celle qui va en gros jusqu'au début des années 1970, et après. C'est vrai qu'à partir de 1970, l'économie capitaliste mondiale a vécu de plus en plus sous perfusion d'un endettement croissant. Mais cet endettement n'explique pas en totalité la croissance constatée. Quant à l'armement, c'est à la fois une erreur théorique de penser qu'il est facteur de croissance, et une erreur factuelle de le considérer comme un élément de plus en plus important, puisque son importance relative dans les économies impérialistes a décru.
Pour finir, les cycles : sous une forme très générale, bien des marxistes ont cherché à distinguer et à comprendre les grandes périodes du capitalisme. Certains ont parlé de cycles, d'autres d'ondes longues, d'autres encore de phases, encore un autre de stade (suprême)... etc.
Naturellement, on doit discuter des critères employés pour identifier ces périodes, et de l'analyse qu'on en fait. Kondratieff n'est certainement pas celui qui a écrit les choses les plus pertinentes. Mais en soi, vouloir étudier ces questions n'est pas plus réformiste que ne l'est la question de savoir s'il y a eu des grandes phases de développement et de recul du mouvement ouvrier, et pourquoi.
Pour finir, parce que je commence à faire roupiller tout le monde, je réitère ma tendresse pour les travaux de Duménil et Lévy, qui se sont attachés à périodiser le capitalisme par les grands mouvements du taux de profit et de ses composantes. Si on les suit (Duménil et Lévy, pas les composantes), en gros, la croissance d'après-guerre s'explique par une période exceptionnelle de hausse tendancielle du taux de profit, amorcée dès le début du siècle aux Etats-Unis, qui a en quelque sorte redonné un "ballon d'oxygène" au capitalisme, ballon qui s'est épuisé à la fin des années soixante.
C'est fini, vous pouvez reprendre la sieste...