Logan, dans le message introductif de ce débat, écrit :
«
Beaucoup de sociologues estiment que Marx s'est trompé : la société ne se divise pas de plus en plus entre ouvriers et bourgeois. »
Les ouvriers… les prolétaires… C'est vrai que nos glorieux pairs ont jonglé avec ces deux termes, en employant parfois indifféremment l'un ou l'autre. Mais il y a peut être une nuance ?
Marx et Engels avait adhéré à la "Ligue des Justes" au début 1847, je crois. Durant l'été 1847, cette association prit le nom de "Ligue des communistes". Engels rédigea un projet préliminaire qui ne sera pas publié : "Principes du communisme" – il y procédait par questions et réponses. Durant le congrès de la fin novembre 1847, la Ligue chargea Marx et Engels de rédiger un manifeste pour annoncer la bonne nouvelle au monde d'alors. Ce sera le "Manifeste du parti communiste" qui incluera certaines idées du projet d'Engels (ensuite on connaît l'histoire...).
On trouve, par exemple, dans les "Principes du communisme" de Engels :
a écrit :I. Qu'est-ce que le communisme ?
Le communisme est l'enseignement des conditions de la libération du prolétariat.
II. Qu'est-ce que le prolétariat ?
« Le prolétariat est la classe de la société qui tire sa subsistance exclusivement de la vente de son travail, et non de l'intérêt d'un capital quelconque, dont les conditions d'existence et l'existence même dépendent de la demande de travail, par conséquent de la succession des périodes de crise et de prospérité industrielle, des oscillations d'une concurrence sans frein. Le prolétariat, ou la classe des ouvriers, est, en un mot, la classe laborieuse de l'époque actuelle. »
Friedrich Engels, "Principes du communisme". Principes préparatoires au "Manifeste du parti communsite", rédigés durant l'automne 1847. Paru en 1914.
Un petit vendeur dans un magasin tire bien sa subsistance pourtant de la vente de son travail ?
Sur les classes moyennes, les affirmations sont claires :
a écrit :IV. Comment est apparu le prolétariat ?
« [...] Dans les pays civilisés, presque toutes les branches de la production ont été incorporées dans le système de la grande industrie et dans toutes les branches d'industrie, la production artisanale et la production manufacturière sont éliminées par la grande industrie. C'est ce qui explique également la ruine, de jour en jour plus prononcée, de l'ancienne classe moyenne, artisanale[B], la transformation complète de la situation des [B]ouvriers[B] et la constitution de [B]deux nouvelles classes, qui englobent peu à peu toutes les autres, à savoir :
l) la classe des gros capitalistes, qui sont déjà, dans tous les pays civilisés, en possession exclusive de tous les moyens d'existence et des matières premières et instruments (machines, fabriques) nécessaires à la production des moyens d'existence — c'est la classe des bourgeois, ou bourgeoisie ;
2) la classe de ceux qui ne possèdent rien, et qui sont obligés de vendre leur travail aux bourgeois pour recevoir d'eux les moyens de subsistance nécessaires à leur entretien – c'est la classe des prolétaires, ou prolétariat. »
Friedrich Engels, "Principes du communisme". Principes préparatoires au "Manifeste du parti communsite", rédigés durant l'automne 1847. Paru en 1914.
Le "Manifeste du Parti Communiste” dit-il que les classes moyennes disparaissent, et qu'on n'aura plus que des ouvriers et des bourgeois ?
a écrit :« Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans, tout l'échelon inférieur des classes moyennes de jadis, tombent dans le prolétariat ; d'une part, parce que leurs faibles capitaux ne leur permettant pas d'employer les procédés de la grande industrie, ils succombent dans leur concurrence avec les grands capitalistes ; d'autre part, parce que leur habileté technique est dépréciée par les méthodes nouvelles de production. De sorte que le prolétariat se recrute dans toutes les classes de la population. »
Karl Marx, Friedrich Engels. “Manifeste du Parti Communiste”. Publié à Londres, en février 1848.
a écrit :« Cependant, le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat. »
Karl Marx, Friedrich Engels. “Manifeste du Parti Communiste”. Publié à Londres, en février 1848.
En fait, Marx et Engels ne prédisent pas qu'il n'y aura plus que des ouvriers d'un coté, des bourgeois de l'autre. Comment auraient-ils pu croire que la grande industrie pouvait se développer sans techniciens, ingénieurs, comptables, petits chefs, etc. ? Comment auraient-ils pu oublier que le développement de la production de marchandises n'iraient pas sans un développement concomitant des moyens de vendre ces marchandises, le commerce, avec son cortège de petits employés ?
Marx et Engels écrivaient que on ne trouverait plus que des gros capitalistes d'un coté, des prolétaires de l'autre, c'est à dire des personnes qui ne vivent qu'en vendant leur force de travail.
Ce prolétariat ne sera pas homogène : il y aura une aristocratie dans la classe ouvrière ; les employés de commerce, de banque, etc. qui sont bel et bien des gens qui ne vivent qu'en vendant leur force de travail pourront constituer une autre aristocratie prolétaire, qui refusera d'ailleurs le terme prolétaire, une "classe moyenne" vivant mieux que les prolos de base. En ce sens, le Manifeste ne s'est pas trompé : une infirmière dans un hosto est une salariée, elle vend sa force de travail. Mais...
Ce que nos deux jeunes compères prédisaient, c'était la disparition des «
Petits industriels, marchands et rentiers, artisans et paysans », c'était la disparition de cette classe moyenne. Faut dire que l'exemple anglais était là : il n'y avait pratiquement plus de paysans indépendants.
Léon Trotsky ne s'y trompe pas. Il voit où le bat blesse :
a écrit :« Se référant surtout à l'exemple de la "révolution industrielle" anglaise, les auteur du Manifeste se représentaient de façon trop rectiligne le processus de liquidation des classes intermédiaires sous la forme d'une prolétarisation totale de l'artisanat, du petit commerce et de la paysannerie. En réalité, les forces élémentaires de la concurrence sont loin d'avoir achevé cette œuvre à la fois progressiste et barbare. Le Capital a ruiné la petite bourgeoisie beaucoup plus vite qu'il ne l'a prolétarisée. En outre, la politique consciente de l'Etat bourgeois vise depuis longtemps à conserver artificiellement les couches petites bourgeoises.
Le développement de la technique et la rationalisation de la grande production, tout en engendrant un chômage organique, freinent, à l'opposé, la prolétarisation de la petite bourgeoisie. En même temps, le développement du capitalisme a accru de façon extraordinaire l'armée des techniciens, des administrateurs, des employés de commerce, en un mot de tout ce qu'on appelle "la nouvelle classe moyenne". Le résultat en est que les classes moyennes, dont le Manifeste prévoit de façon si catégorique la disparition, constituent, même dans un pays aussi industrialisé que l'Allemagne, à peu près la moitié de la population. La conservation artificielle des couches petites-bourgeoises depuis longtemps périmées n'atténue cependant en rien les contradictions sociales. Au contraire, elle les rend particulièrement morbides. S'ajoutant à l'armée permanente des chômeurs, elle est l'expression la plus malfaisante du pourrissement du capitalisme. »
Léon Trotsky. "90 Ans de Manifeste Communiste". Préface première édition en langue africaane. 1938.
Donc, logan, pour te répondre: oui et non... "ouvriers", "prolétaires", "salariés", bon, tiens, je vas aller prendre de l'aspirine...
Et aussi, une remarque: ne pas confondre le "marxisme" de certains crétins, genre Martelli, avec ce que fut le marxisme vivant.