par Nestor Cerpa » 30 Juin 2004, 13:02
un article de red:
Marxisme et religions
"C'est l’opium du peuple » Cette formule de Marx (K. Marx, Contribution à la critique de la philosophie de Hegel. 1843) reste l'une des plus connues de sa pensée et semble pouvoir résumer l'opinion de notre courant politique à l'égard de la religion : l'idée matérialiste d'un projet émancipateur de l'humanité passe de fait par une négation du dogme, des croyances et de la superstition religieuse.
« L'homme fait la religion, ce n’est pas la religion qui fait l’homme » disait d’ailleurs Marx. Or, si l'Homme a créé Dieu, c'est avant tout par peur. Peur du futur, de la mort. L'idée d'une vie éternelle où « les premiers seront les derniers » permet ainsi d'attendre en toute tranquillité et d’accepter l'ordre social, peut-être voulu par Dieu.
Les défenseurs de la laïcité républicaine mettent en avant le caractère privé de la religion, la liberté d opinion. Certes, il ne saurait être question de remettre en cause cette liberté fondamentale de chacun et chacune à la foi religieuse. Mais la religion est loin de constituer une « chose privée », elle a su dans l'histoire être un frein majeur aux révoltes et aux révolutions.
Aussi, «le véritable bonheur du peuple exige que la religion soit supprimée en tant que bonheur illusoire du peuple ». Car l'idée d'une société injuste envoyée par Dieu est précisément celle des monarchies de droit divin, jusqu'au Gott mit uns (« Dieu avec nous ») nazi. Les positions
du Vatican sur la société et les événements historiques en sont caractéristiques.
Puisque tout est dans l'ordre des choses, il en va de même pour les mœurs patriarcales. Ainsi les religions se sont-elles faites les chantres de l'idéologie réactionnaire. En 1999, après que Christine Boutin a brandit la Bible à l'Assemblée Nationale pendant le débat sur le PACS, sa grande manifestation homophobe était le lieu d'une allianœ « historique » des religions, curés, pasteurs, rabbins et imams se réconciliant sous la bannière de l'hétérosexisme le plus obscurantiste. Ne sont-œ pas les pays où la présence de la religion reste très forte qui sont les plus réfractaires aux avancées progressistes ? Ainsi voit-on l'IVG toujours interdit au Portugal ou en Irlande, tandis que les pays appliquant la charia (loi islamique) punissent l’adultère et l'homosexualité.
De même, la droite extrême et l'extrême droite françaises ont su utiliser le catholicisme dominant pour diviser les travailleurs et les travailleuses entre hommes en femmes (la place de ces dernières restant bien entendu au foyer), homos et hétéros, français et immigrés, croyants et athées etc. C'est en revanche vers une unité sans fondement social que tend l'idéologie religieuse. Si tous les hommes sont les enfants de Dieu, toute vision de la société comme divisée en classes sociales dont les intérêts sont antagonistes s'effondre. Si le patron est bon chrétien, pratique la charité et se retrouve dans la même église que les ouvriers le dimanche, comment s’affronteraient-ils durant la semaine ? Le rôle des prêtres comme grands réconciliation et promoteurs de l'idéologie dominante prévaut ainsi, tant que la religion continue de trouver un écho. Il en va de même pour les syndicats chrétiens, pratiquant de la manière la plus édifiante la collaboration de classe.
Toutefois, combattre la religion par les discours scientifiques et matérialistes est vain contre une foi souvent inébranlable. Car justement fondée sur l’immatériel, l’indémontrable et la confiance aveugle en un être qui dépasse l’homme. Mais tout cela ne signifie en rien un caractère irréconciliable entre luttes sociales et religion, bien au contraire. L'erreur d'une lutte anti-religieuse radicale serait en effet d'à son tour diviser entre athées et croyants, en rejetant par exemple quelqu'un d'un mouvement de lutte, sous-prétexte que celui-ci est contradictoire avec la religion de cette personne. Comme la formule Lénine (Lénine : « De l’attitude du parti ouvrier à l’égard de la religion 1909 ») « Seule la lutte de classe des masses ouvrières amenant les plus larges couches du prolétariat à pratiquer à fond l’action sociale, consciente et révolutionnaire, peut libérer en fait les masses opprimés du joug de la religion (…). Un marxiste est forcément tenu de placer le succès du mouvement (…) au premier plan, de réagir résolument contre la division des ouvriers, dans cette lutte, entre athées peut s’avérer superflue et nuisible (…) du point de vue du progrès réel de la lutte de classe qui, dans les conditions de la société capitaliste moderne, amènera les ouvriers chrétiens (…) à l’athéisme cent fois mieux qu’un sermon athée pur et simple ». En effet, le mouvement anéantira de fait d'une part la peur du futur, le monde meilleur et plus juste étant finalement possible ici-bas, et d'autre part l'immobilisme imposé par l'acceptation de l'ordre social, celui-ci n'étant pas une fatalité.
Il n'y a donc pas de contradiction, tout du moins flagrante, entre présence dans une lutte sociale et croyance, dès lors que cette dernière n'a pas pu empêcher quelqu'un de participer au mouvement. De plus, de nombreux exemples démontrent que la religion est un instrument interchangeable, c'est-à-dire pouvant être à la base d'un mouvement social, notamment dans les pays où elle est omniprésente. Outre des associations relieuses progressistes, défendant les droits de l’Homme et la justice sociale présentes dans beaucoup de pays, on trouvera dans les mouvements les plus radicaux de libération nationale des éléments, voire des fondements religieux. S'il est nécessaire d'insister continuellement sur le caractère avant tout politique des conflits, comme en Palestine, en Irlande du nord, au Tibet etc., force est de constater que certaines oppressions nationales vont de pair avec la domination d'une religion sur un autre ou un athéisme forcé. Le sort de la lutte nationale se trouve ainsi lié temporairement à celui de la religion opprimée et permet souvent le développement d’une solidarité internationale dont la première cause est religieuse. S'il est nécessaire de dépasser cette base religieuse, elle ne peut cependant pas être niée. De même, la théologie de la libération, née en Amérique Latine dans les années 1970 est-elle un exemple, certes exceptionnel, d'utilisation à des fins sociales de la religion presque omni-présente puisqu'il explique les poussées révolutionnaires du Nicaragua, du Salvador ou « l’émergence d’un nouveau mouvement ouvrier et paysan au brésil » (M. Lowy : « Le marxisme de la théologie de la libération »).
Aussi, tant qu'elle reste affaire privée ou ne se met pas en contradiction avec le combat pour le progrès social, la religion n'est pas un ennemi immédiat, surtout lorsqu'elle est elle-même minoritaire et opprimée. Mais sa nature de fait anti-matérialiste, justifiante d'un ordre moral et d'une passivité sociale doit pousser ses pratiquant-e-s à s'en émanciper au cours des luttes. Ainsi, ni complaisance, ni sectarisme ne doivent caractériser l'attitude des révolutionnaires à son égard.