(Libération a écrit :
Économie 23/04/2009 à 06h51
«Conti» et Molex ne désarment pas
CLAIROIX (OISE), VILLEMUR-SUR-TARN (HAUTE-GARONNE), envoyés spéciaux SONYA FAURE (à Clairoix) et GILBERT LAVAL (à Villemur-sur-Tarn)
Si, hier, les salariés de Caterpillar ont accepté un référendum sur un plan social revisité (450 postes supprimés contre 733), chez les «Conti» et les «Molex» on tente de gérer un conflit radicalisé, entre saccage de sous-préfecture (Continental) et séquestration de dirigeants (Molex).
Continental : A Clairoix, «on ne regrette rien»
Sur les grilles de l’usine de Clairoix, une page photocopiée, signée de la direction : «En raison de la destruction par des salariés du pavillon d’accueil abritant l’ensemble des systèmes de contrôle de sécurité de l’usine, nous […] n’avons pas d’autre choix que de suspendre la production jusqu’à nouvel ordre.» Mardi, après le rejet de leur demande d’annuler la fermeture de l’usine par la justice, des «Conti» ont saccagé la sous-préfecture de Compiègne (Oise) et le poste de garde de l’entreprise (Libé d’hier). Une enquête a été ouverte et «l’identification des casseurs» était en cours hier.
A midi, au restaurant «Le bon coin», de table en table, on entend : «Fillon l’a bien dit ce matin…» ou «Luc Chatel a été clair…» Les politiques sont de toutes les conversations. Pour dire qu’on ne leur fait plus confiance. Mais aussi parce qu’ils sont pour certains le dernier espoir face à une direction devenue invisible.
Quatorze heures, AG. Xavier Mathieu, délégué CGT, cite François Fillon : «Un saccage inacceptable», «une minorité très violente de salariés» qui «sera poursuivie». Les centaines de salariés hurlent. «Ce qui s’est passé hier n’était pas prévu, reprend Mathieu. On nous dit que la violence c’est pas bien. Mais, deux heures après, Chatel nous proposait la réunion tripartite [syndicats, direction et Etat, ndlr] qu’on réclame depuis trois semaines ! Rien que pour ça, on n’a rien à regretter.» Applaudissements.
Les dégâts matériels d’hier en ont effrayé. Quelques-uns dénoncent le rôle de proches de Lutte ouvrière dans la radicalisation. Parmi les salariés présents, en tout cas, pas de dissension. Hier soir, ils étaient près d’un millier (anciens, salariés, ex-intérimaires) à prendre un train affrété de Compiègne à Hanovre pour aller défiler avec leurs collègues allemands, eux aussi condamnés à la fermeture. Les syndicats ont appelé à «manifester pacifiquement» : «Les Allemands sont un peu effrayés de ce qu’ils ont vu…»
Marc, vingt-sept ans de maison, est «agent de mélange». Il «crache du noir» deux ou trois heures après le travail et gagne 1 800 euros net. «Des salariés qui ont trente ans de boîte et qui étaient des agneaux sont maintenant prêts à tout. Les syndicats doivent faire gaffe, il y en a qu’on ne pourra plus maîtriser. M ais, dans ce monde, si tu n’es pas violent, on te laisse crever.» Après les saccages, Marc était «dégoûté».«La préfecture, bon, mais ce qui m’a choqué, c’est le poste de sécurité de l’usine.» Il croit encore à l’Etat : «On a fait comme Sarkozy a dit, on a voté oui au retour à 40 heures pour sauver l’usine. Qu’il prenne ses responsabilités.»
Manu, 28 ans, n’attend, lui, «rien du gouvernement» et sait déjà qu’il pointera au chômage dans un an. Saïd, 36 ans, non syndiqué : «Chaque génération, c’est la même histoire. Nos parents, nos grands-parents… Il faut toujours que ça pète pour que les choses bougent» Un troisième : «Comment tu dis à un collègue "Ne casse rien", alors que toi-même ça te démange ?» Ils sont tous passés chez la psy, de la cellule psychologique de l’usine. «Mais aucun médecin ne peut nous soigner de ça.» Hier soir, Manu, Saïd et Marc ont pris le train pour Hanovre.
Molex : A Villemur, «le couvercle va sauter»
Même l’accès à la cantine est interdit. La responsable de la sécurité remonte son col ; les vigiles enfilent un blazer. Le vent qui souffle à l’entrée de Molex à Villemur (Haute-Garonne) glace le fond de l’air. Deux ouvriers semblent tétanisés : «vingt-deux et trente-cinq ans de boîte, et on nous met dehors de chez nous ! Y a de quoi dégoupiller.»
Les grévistes de la veille sont les «lock-outés» de ce mercredi. Le patron cogérant de cette filiale américaine du groupe Molex l’a décidé : le travail doit reprendre aujourd’hui. Le temps que les esprits «se calment». «En fait, c’est lui qui est fatigué», dit le délégué CGT Guy Pavon. Le boss, Marcus Kerriou, doit se remettre d’une séquestration. «Nous ne sommes pas des sauvages, raconte Pierre Bellegarde (CGT). Il avait même l’ADSL pour communiquer avec les Etats-Unis.» C’est plutôt sa «libération» qui aurait fait monter la température. «Il avait un de ces regards narquois quand il nous est passé sous le nez, raconte Paul à ses collègues. Un type fragile de la cafetière, il pétait un plomb.» Ils racontent : «Les autorités de l’Etat ont fait libérer Kerriou en quelques heures sous la menace d’écoper de 5 à 20 ans de prison. Nous, ça fait quatre mois qu’on a déposé une plainte pour "entrave" contre la direction qui cache tout au Comité d’entreprise (CE) et on ne voit toujours rien venir.»
La matinée aurait pu être apaisante. Le Premier ministre, sur France Inter, hier, jurait que de tels comportements patronaux pourraient être «poursuivis». Et le secrétaire du CE, Denis Parise, était entendu par un officier de police judiciaire sur cette plainte. Mais voilà.« On est cuit. Sans stock et sans Kerriou, on n’a plus de levier pour agir», résume Fred. Puis il y a ce nouveau document intercepté. Qui achève d’accabler les salariés. C’est un mail, daté du 20 avril à 14 h 01. Il émane du «manager achat» de Peugeot. Il parle de l’utilisation des pièces de Molex Villemur «clonées» aux Etats-Unis.
Jean Marty est écœuré. «Peugeot pioche dans les 3,5 milliards du plan d’aide à l’industrie automobile et se fait complice d’un équipementier qui rapatrie en cachette les productions de Villemur aux Etats-Unis. Il nous reste quoi à faire ?» Serge, chef d’équipe à l’assemblage, raconte comment il a rabroué l’huissier de justice qui le menaçait de correctionnelle s’il ne quittait pas son atelier. «J’y ai répondu : "J’en ai rien à foutre de ta correctionnelle."» Il dit ça en riant, Serge. Mais le rire en écho de ses copains laisse entendre qu’ils pourraient, eux, en avoir «rien à foutre» pour de vrai. Et, dans le désespoir, se lancer dans des actions encore plus radicales.